2005
En août 1945 au Japon, l'Empereur Hirohito exhorte l'armée et son peuple à mettre fin aux hostilités. Par cet appel, il permet aux Alliés de débarquer sans rencontrer de résistance.
Le général Douglas MacArthur le convoque pour savoir s'il doit le traiter en criminel de guerre. Refusant les conseils de son entourage, Hirohito se dépouille des oripeaux de la grandeur, et prend plaisir à manger et discuter simplement avec MacArthur.
Hirohito renonce sans peine à ses origines divines, se tourne vers sa famille et son goût pour la science. Il arrivera ainsi à rester le symbole de la nation et de l'unité de son peuple.
Après avoir réduit Hitler au ridicule (Moloch) et montré le pathétique de Lénine à la fin de son règne (Taurus), Alexandre Sokourov se tourne vers un nouveau personnage historique, du côté de l'Orient, cette fois : l'Empereur Hirohito, considéré comme le descendant du dieu soleil (le titre du film).
Le but de Sokourov n'est pas de dresser un portrait complaisant d'un dictateur qu'il ramènerait à sa dimension humaine pour l'exonérer de ses crimes contre l'humanité à la manière du très controversé La Chute. Certes, contrairement à Hitler ou Lénine, Sokourov ne nous montre pas un tyran assoiffé de pouvoir, juste un homme, empereur par hasard, dépassé par l'immensité de son statut.
Mais ce qui intéresse Sokourov c'est le chemin qui mène un homme à se dépouiller d'un cérémonial de la grandeur au crépuscule tout en repoussant humiliation, indignité et pourriture qui le menacent. La dimension politique du film réside moins dans le fait de savoir si Hirohito a su prendre des décisions pour préserver l'avenir de son peuple en acceptant une paix sans condition et en renonçant à son ascendance divine que de montrer l'inanité d'un cérémonial associé à l'idéologie d'une gloire vécue avec aveuglement qui a conduit le Japon à la ruine.
L'atmosphère de fin des temps est rendue par la couleur sombre et embrumée : celle du bunker avant la fin de la guerre puis du jour terne, sans soleil, que vient à peine percer un rai de lumière épars. L'aura de l'Empereur n'irradie plus, et si le soleil continue de se lever, il éclaire le palais d'un morne éclat brun grisâtre, à demi éteint. Même les rares scènes d'extérieur sont plongées dans un brouillard de lendemain d'apocalypse.
Tous, autour de Hirohito, s'attachent pourtant au cérémonial
de la grandeur : ministres, chambellant, serviteurs et traducteur, voir Mac
Arthur qui pourrait faire de lui un criminel de guerre.
Devant un fond d'or qui est sensé refléter l'action de l'empereur
soleil, Hirohito affirme à ses ministres sa volonté de sortir
du passé et revendique une stratégie moderne de négociation
pour "rendre la mer calme" . On ne sait s'il est entendu, car dans
une scène suivante Hirohito se réveillera d'un cauchemar de
guerre.
Sans doute comme à son vieux seriteur il devra répéter avant d'être compris. Répéter c'est d'ailleurs ce que font incessamment ses lèvres agitées d'un tic nerveux qui semblent continuer de parler après qu'il ait finit de la faire.
La perte de la magnificence qui hante toujours le cinéma de Sokourov est cette fois appelée de ses vux par Hirohito, De ce fait, c'est l'un des films les plus joyeux et humoristique de Sokourov. Moments étranges où le réel survient : l'épisode de la grue, des roses, de l'empereur en Charlot, des bougies éteintes chez macArthur comme vengeance au cigare mal allumépar celui-ci.
Si Sokourov dépouille son personnage du cérémonial, s'il le rend présent au monde, il fait peser sur lui son lot de ridicule et de terreur. Poète raté, petit homme chétif et maigrelet, passionné par la science, Hirohito est un homme terrorisé. Son grand-père, le grand Meiji a vu une aurore boréale, son père a transmis la légende et il sait lui que cela ne peut être qu'exceptionnel ce qui lui confirmera modestement l'homme de science. Seule l'impératrice peur lui donner l'amour maternel dont il a besoin avant que la pourriture du corps (la mauvaise haleine ou le tic nerveux ) ne vienne à bout de lui comme des autres hommes.
Jean-Luc Lacuve le 27/03/2006