Dans une clinique, Claude Ridder se débat entre la vie et la mort à la suite d'une tentative de suicide. Un mystérieux personnage s'intéresse à son cas. Dès sa sortie de clinique, on lui propose d'aller dans un centre de recherches afin de devenir le sujet d'une expérience sans précédent que les savants s'apprêtent à réaliser dans le plus grand secret : un voyage dans le temps d'une durée de une minute.
Claude accepte. On le prépare médicalement puis il est enfermé dans une sphère. L'expérience réussit et Claude se retrouve une année auparavant, à l'instant exact prévu par les savants, sur une plage de la Méditerranée avec sa femme, Catrine. C'est une période de bonheur : ils s'aiment et plaisantent ensemble. Pour mettre fin à l'expérience, Claude doit retourner quatre minutes dans la machine. Mais bien avant que ce temps ne soit écoulé, il replonge dans son passé. Les savants s'inquiètent. Le mécanisme ne fonctionne plus. Impossible de le faire revenir dans le présent. La mémoire de Claude lui fait revivre plusieurs fois de suite ce même épisode puis d'autres plus anciens ou plus proches comme les éléments d'un puzzle. Ses rapports avec sa femme se dessinent mieux. Leurs caractères également. Claude ne peut arracher Catrine à une vision pessimiste des choses. Catrine est morte asphyxiée. Mais est-ce un suicide, un meurtre, ou un accident ?
Revenant à lui-même, Claude cherche désespérément à sortir de la sphère. Il se retrouve dans le présent, sur la pelouse du centre de recherche. Mais les savants ne pourront rien faire pour le sauver.
Hyper intellectuels les films de Resnais font aussi toujours preuve d'un grand sens du romanesque. Bien souvent, l'histoire d'amour constitue le principal de l'histoire racontée, le principal des plans. Ici l'histoire de Claude Ridder et de Catrine est l'une des plus tragiques racontée par Resnais.
Une tragique histoire d'amour
Claude ne peut arracher Catrine à une vision pessimiste des choses. Malgré sa légèreté, son goût de vivre, son détachement de toute forme de croyance, il ne peut empêcher de sombrer celle qu'il a justement choisie comme un défi. Aussi détaché qu'elle de la réalité des choses, il devrait nager perpetuellement pour la ramener aux rives du bonheur. Mais, lui comme elle finiront noyés. Ce thème est figuré par l'épisode des deux nageurs noyés et par l'image totalement détachée de toute référence à l'histoire de Claude où il est dans la mer en chemise.
On en trouve aussi bien sur l'écho dans la célèbre description de Catrine par Claude sur la plage normande : "Toi, tu es étale, tu es un marécage, de la nuit, de la boue. Lugubre, tu donnes envie de se laisser couler en toi lentement mais à pic.. Tu sens la marée basse, la noyade, la pieuvre."
Leurs moments de bonheur ne peuvent être que passagés : l'apparition de Catrine huit ans avant, la discussion dans le café, l'épisode dans le sud, la baignade près de la mer mais aussi dans l'arrière pays montagneux, le scarabée inondé, la plage normande où Catrine révèle que Dieu a créé le chat à son image.
Mais bien vite les tensions se révèlent notamment avec les infidélités de Claude. A l'arrêt de tramway devant le kiosque de France-soir, Catrine évoque une femme qui fut sans doute une maîtresse de Claude et qui est peut être la femme du tramway et de l'escalier.
Claude se trouve piégé par Catrine comme l'indique la prédominance des scènes de retour dans leur chambre à la couverture rouge et au poster de Magritte
Claude n'a pas tué Catrine. Certes "l'assassin" habite au 21. Mais le seul plan qui le montre voyant le poêle à gaz s'éteindre est un plan en caméra subjective, indicateur d'irréalité. Resnais avait en effet d'abord envisagé de ne pas montrer Claude Rich à l'écran et de ne le filmer qu'en caméra subjective. Il ne reste que ce plan qui, comme chaque fois que Ridder n'apparait pas de face au centre de l'image, évoque un cauchemar. La présence de Nicole, la femme à la baignoire lors de l'interrogatoire, dit aussi clairement qu'il s'agit d'un rêve. La séquence suivante commence enfin avec Ridder se revaillant en sursaut et allumant sa lampe de chevet.
Prisonnier du passé
Resnais confronte toujours le passé au présent et Gilles Deleuze avait bien raison de trouver la structure du film assez simple :
"Malgré l'appareil de science-fiction, Je t'aime, je t'aime est le film de Resnais où la figure du temps est la plus simple, parce que la mémoire y concerne un seul personnage. La machine mémoire ne consiste pas à se souvenir, mais à revivre un instant du passé. Seulement, ce qui est possible pour l'animal, pour la souris, ne l'est pas pour l'homme. L'instant passé pour l'homme est comme un point brillant qui appartient à une nappe, et ne peut en être détaché. Instant ambigu, il participe même de deux nappes, l'amour pour Catrine et le déclin de cet amour. Si bien que le héros ne pourra revivre qu'en parcourant à nouveau ces nappes, et en en parcourant dès lors beaucoup d'autres (avant qu'il connut Catrine, après la mort de Catrine ). Toutes sortes de régions sont ainsi brassées dans la mémoire d'un homme qui saute de l'une à l'autre, et semblent émerger tour à tour du marécage originel, universel clapotement incarné par la nature éternelle de Catrine "
La volonté inconsciente de Claude le ramène perpétuellement au passé. Après les deux balbutiements très rapides du plan de plongée sous-marine, la troisième plongée, lors de cette minute de 16 heures du 5 septembre 1966, dure très exactement 57 secondes sur le DVD soit, au rythme 24 et non 25 images par secondes au cinéma, la minute voulue par l'expérience.
Mais y aura ensuite seize nouveaux retours dans la sphère soit, au total, vingt plongées dans le passé à partir de la sphère-cerveau. A celles-ci s'ajoutent celles à partir des retours pris en charge par les savants depuis l'extérieur de la sphère.
Les amorces sont d'abord majoritairement le plan dans l'eau (neuf fois), la sortie (huit fois), le tramway (trois fois) mais aussi, quand le film se centre sur la mort de Catrine, la chambre de Glasgow et l'annonce du meurtre à la confidente ("J'ai tué Catrine à Glasgow, il y a deux mois".)
Jean-Luc Lacuve le 15/01/2008
Quelques moments phares: