Une seringue est plantée dans la rondeur d’une pastèque. Reza entend du bruit et cache soigneusement ses pastèques trafiquées. Viennent en effet fouiller sa maison, Abbas et son fils, gardiens de la révolution dans le village, à l'affût de ce qui pourrait être un trafic illicite. Ils repartent en confisquant le fusil de Reza dont le port d'armes est périmé. Reza se contente pourtant d'élever tranquillement des poissons rouges dans les bassins d'eau douce à proximité de sa maison. Hadis sa femme, se charge d’éduquer des jeunes filles dans le seul lycée de la région, quelque part en Iran, loin au nord de Téhéran, tandis que son fils va au collège.
Reza refuse de soudoyer le directeur de la banque locale pour obtenir une rallonge sur le crédit qui lui a permis de créer son exploitation. Il préfère vendre sa voiture. Du coup, la mystérieuse compagnie privée qui détient le pouvoir économique sur le village coupe l’alimentation en eau de ses bassins.
Quand Reza veut ouvrir les vannes, il est pris à parti par Abbas et se retrouve en prison. Il espère s'en tirer avec une simple amende. Mais Abbas a fait établir un faux certificat comme quoi son bras était cassé. Une lourde caution lui est donc réclamée. Quand Hadis veut la lui amener, elle trouve porte close. Le lendemain, elle n'a pas plus de succès. C'est finalement le frère d'Hadis qui se décide à soudoyer les gardiens pour libérer son beau-frère. Reza, humilié par cette corruption, remercie néanmoins sa femme. Il se douche et le désir d'Hadis monte vers lui (métaphore du lait qui bout).
Le lendemain cependant, Reza est réveillé par le cri des corbeaux. Il les chasse à la hâte avec Hadis mais il ne peut que constater les dégâts : l'eau des bassins a été empoisonnée et tous les poissons sont morts. Reza appelle des experts pour analyser l'eau et porter plainte pour empoisonnement. Il s'enquiert auprès de la compagnie d'assurance pour être indemnisé. Hélas celle-ci ne peut rien puisqu'il s'agit d'un acte criminel. Un avocat consulté ne lui laisse guère de chance de voir sa plainte aboutir.
Reza, à bout de force, dont le couple commence à battre de l'aile, décide de vendre sa ferme à la compagnie privée. Mais celle-ci ne veut plus l'acheter prétextant que les rumeurs diront qu'elle l'a acquis à vil prix... Le représentant local lui propose alors sans vergogne de l'acheter pour la moitié de son prix, laissant Reza interloqué.
Sa femme veut venir à son secours en faisant pression sur la fille d’Abbas, qui compte parmi ses élèves. Déjà pleine de remords d'avoir abusé de sa position dominante sur son élève, elle prend peur lorsque son assistante lui révèle la méchanceté de la famille d'Abbas qui tue même ses propres enfants. Le lendemain, elle apprend que la jeune fille ne reviendra plus à l'école et que l'on va la marier.
Hadis est de plus obligée de renvoyer une enfant, au motif qu’elle n’est pas musulmane, face à sa mère éplorée dont le mari a déjà perdu son emploi pour la même raison.
Reza part à Téhéran consulter un avocat spécialisé qui lui confirme qu'il n'a aucune chance de gagner son procès. Reza en profite pour voir la femme d'Omid, son ancien ami étudiant, révolté comme lui, aujourd'hui incarcéré pour "activités contre la sécurité nationale" et "propagande contre le régime iranien". La femme d'Omid lui rappelle le passé : alors que l'on disait qu'en Iran il n'y avait que deux solutions, être oppresseur ou opprimé, lui avait fait le choix d'être intègre en abandonnant tout pour aller élever des poissons rouges au nord du pays.
En rentrant de Téhéran Reza assiste à une scène atroce : l'adolescente exclue du lycée s'est suicidée et la famille est obligée de déterrer le corps de son enfant, pour le remettre à la morgue car les non-musulmans ne peuvent être enterrés dans un cimetière public.
Reza trouve encore un peu de réconfort dans la grotte d'eau chaude où il déguste son alcool de pastèque. En rentrant par un café, il reçoit la proposition d'un homme mystérieux de l'aider à combattre la corruption de la compagnie privée qui cherche à s'approprier les terres des villageois. L'homme lui remet de l'argent et Reza s'en va acheter de la drogue qu'il cache dans la voiture d'Abbas avant de le dénoncer à la police. Tout le village sait qu'un seul homme a pu s'en prendre à Abbas. Le soir, le fils de celui-ci vient en moto signifier qu'il sait qui est le responsable de l'arrestation de son père. Reza décide alors d'éloigner sa famille qui trouve refuge chez le frère d'Hadis
Reza se donne un dimanche de liberté qu'il passe à se promener dans la montagne avec Hadis et son fils. En rentrant tard le soir, il croise des cortèges de motos. Ce sont des curieux venus assister à l'incendie de sa maison.
Loin de se décourager, Reza retourne voir son mystérieux membre du conseil municipal qui lui remet encore une grosse somme d'argent. Reza empoisonne un bonbon qu'il met au-dessus de la liasse de billets. Il donne celle-ci au directeur de la prison pour Abbas. Quand celui-ci meurt, Reza menace le directeur de le dénoncer pour complicité. Reza assiste à l'enterrement d'Abbas. Le représentant de la compagnie privée, loin de le menacer, lui offre de prendre la place de son ennemi.
Reza n'a plus qu'à pleurer dans sa grotte. Après tout cela, il va encore devoir choisir entre devenir un oppresseur ou continuer à être un opprimé.
Rasoulof n'a pas tourné Un homme intègre clandestinement, contrairement à son précédent film, Les manuscrits ne brûlent pas (2013). Il a profité d'une incohérence du système pour le réaliser sans l’aval des autorités. Néanmoins, après la tournée internationale de son film, lauréat du prix Un certain regard au Festival de Cannes 2017, Mohammad Rasoulof est interpellé le 16 septembre, à l'aéroport de Téhéran. Son passeport confisqué, privé de sa liberté de circuler, il est passible de six années de prison pour "activités contre la sécurité nationale » et « propagande contre le régime iranien". Le film est bien entendu interdit en Iran. Rasoulof avait déjà été arrêté avec Jafar Panahi en 2010 pour « actes hostiles à la République Islamique d’Iran ».
Corruption généralisée
Le réalisateur est incontestablement explicite dans sa dénonciation de la corruption. Reza, installé en pleine nature avec sa femme et son fils, mène une vie retirée et se consacre à l’élevage de poissons d’eau douce. Une compagnie privée qui a des visées sur son terrain est prête à tout pour le contraindre à vendre. Le refus de Reza tourne au cauchemar : on empoisonne son eau et Reza se retrouve englouti dans une marée solide de cadavres de poissons rouges, de dettes, d'hypothèques et de contraventions. Les fausses accusations pleuvent et le conduisent au poste où il doit prouver l’impossible à des policiers eux aussi corrompus et de connivence avec la compagnie, et où une famille pieuse, hypocrite, et sanguinaire fait la loi.
Un système mafieux lie en réseau des compagnies privées, des banques, et des fonctionnaires, à commencer par les autorités de justice et de police, jusqu’à des ramifications dans le système éducatif. La force du récit est d’abord de confronter cette gangrène aux valeurs morales d’un homme prêt à tout pour agir conformément à ses idéaux, mais impuissant face à l’étau qui se resserre
Ce que les yeux noirs de colère, la mâchoire serrée, le regard insistant, pourrait avoir d'excessif exprime néanmoins le courage à affronter le harcèlement des financiers, l’intimidation du voisinage, les agissements des adeptes des pots-de-vin. Rien ne semble décourager Reza mais il a conscience du rapport de force inégal.
Décider et décider encore d'être intègre
Les ellipses laissent hors champ le déroulement principal de l'action pour mieux marquer, d'une part la décision qui s'exprime dans le regard de Reza puis sa façon de supporter une humiliation qui nous est épargnée. Ainsi, on ne le verra pas emmener son fils faire des excuses, se bagarrer avec Abbas qui est venu avec son bâton alors qu'il tente de laisser l'eau s'écouler. On ne verra ni l'empoisonnement des poissons ni l'achat de la drogue. Même le patron de la compagnie privée est laissé hors champ. Peut-être est-ce d'ailleurs lui, le mystérieux membre du conseil municipal qui propose son aide et son argent à Reza pour l'aider à se débarrasser d'un collaborateur devenu trop encombrant.
Face à la corruption généralisée, comme souvent dans les films iraniens, la voiture arrêtée est l’endroit où les personnages peuvent se livrer à des transactions ou discuter sans crainte d’être espionnés. Rasoulof utilise aussi le repli sur l'intime, la source d'eau chaude et la maison avec la douche... et le lait sur le feu, métaphore du désir sexuel au moins depuis Quai des orfèvres. L'ellipse est ici très belle : amorcée par le bruit de l'eau et la simple sortie du champ de Hadis. Ce repli sur l'intime est néanmoins fragile comme le montre peut-etre la plus forte scène du film, celle qui, justement suit la douche : Reza endormi dans ses draps propre est réveillé par le cris terribles des corbeaux ayant repérés tous les poissons morts.
Jean-Luc Lacuve, le 28 décembre 2017.