(1927-1999)
17 films
   
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histoire du cinéma : puissances du faux

Pierre Perrault et Jean Rouch, chacun de leur côté et presque simultanément inventent "le cinéma vérité", "le cinéma direct" ou "Le cinéma du vécu". Autant de termes qui cachent un extraordinaire travail de mise en scène qui fait d'eux des cinéastes majeurs des puissances du faux. Pour Gilles Deleuze en effet lorsque le personnage réel se met à fictionner, quand il entre "en flagrant délit de légender", il contribue ainsi à l'invention de son peuple.

Mettre en scène le réel...

Pour Rouch, il s'agit de sortir de sa civilisation dominante et d'atteindre aux prémisses d'une autre identité. Pour Rouch "je est un autre" selon la formule de Rimbaud. De son coté Perrault n'a pas besoin de devenir un autre pour rejoindre son propre peuple. Pour Perrault, il s'agit d'appartenir à son peuple dominé, et de retrouver une identité collective perdue, réprimée. Ce n'est plus Naissance d'une nation, mais constitution, reconstitution d'un peuple, où le cinéaste et ses personnages deviennent autre ensemble et l'un par l'autre, collectivité qui gagne de proche en proche, de lieu en lieu.

Quand Perrault critique toute fiction, c'est au sens où elle forme un modèle de vérité préétablie, qui exprime nécessairement les idées dominantes ou le point de vu du colonisateur, même quand elle est forgée par l'auteur du film. La fiction est inséparable d'une vénération qui la présente pour vraie qui la présente pour vraie, dans la religion dans la société, dans le cinéma, dans les systèmes d'images.

 

...Pour créer un peuple qui s'invente.

Quand Perrault s'adresse à ses personnages réels du Québec, ce n'est pas seulement pour éliminer la fiction, mais pour libérer du modèle de vérité qui la pénètre et retrouver au contraire la pure et simple fonction de fabulation qui s'oppose à ce modèle.

Ce qui s'oppose à la fiction, ce n'est pas le réel, ce n'est pas la vérité qui est toujours celle des maîtres ou des colonisateurs, c'est la fonction fabulatrice des pauvres, en tant qu'elle donne au faux la puissance qui en fait une mémoire, une légende, un monstre. Tel le dauphin blanc de Pour la suite du monde, le caribou du Pays de la terre sans arbre et par-dessus tout la bête lumineuse, le Dyonisos de la bête lumineuse.

Ce que le cinéma doit saisir, ce n'est pas l'identité d'un personnage, rée ou fictif, à travers ses aspects objectifs et subjectifs. C'est le devenir du personnage réel quand il se met lui-même à fictionner, quand il entre "en flagrant délit de légender", et contribue ainsi à l'invention de son peuple.

Le personnage n'est pas séparable d'un avant et d'un après, mais qu'il réunit dans le passage d'un état à l'autre. Il devient lui-même un autre quand il se met à fabuler sans jamais être fictif. Et le cinéaste de son côté devient lui-même un autre quand il "s'intercède" ainsi des personnages réels qui remplacent en bloc ses propres fictions dans leurs propres fabulations. Tous deux communiquent dans l'invention d'un peuple. Je me suis intercédé Alexis (Le règne du jour) et tout le Québec, pour savoir qui j'étais "en sorte que pour me dire, il suffit de leur donner la parole." C'est une simulation d'un récit, la légende et ses métamorphoses, le discours indirect libre du Québec, un discours à deux têtes, à mille têtes, petit à petit. Alors le cinéma peut s'appeler "cinéma vérité" d'autant plus qu'il a détruit tout modèle du vrai pour devenir créateur, producteur de vérité : ce ne sera pas un cinéma de la vérité, mais la vérité du cinéma.

 

Biographie

Pierre Perrault se destine d'abord au droit. Après des études classiques, il s'inscrit à la Faculté de droit de l'Université de Montréal, en 1948. Par la suite, il mène des études à l'Université de Paris en histoire du droit et à l'Université de Toronto en droit international privé. Il pratique le droit à Montréal, de l954 à l956, année où il devient auteur radiophonique à Radio Canada. Au fil des ans, il écrira aussi des dramatiques pour la télévision. Ses débuts en cinéma, il les fait chez Crawley Films, où il produit une série de films intitulée "Au Pays de Neufve-France" dont il écrit également les textes de la narration.

Son entrée à l'Office national du film du Canada sera marquante. En 1963, Pour la suite du monde sort sur les écrans et étonne. Il s'agit d'une nouvelle écriture, d'un nouveau cinéma qui exalte la langue des gens de mer de l'Île-aux-Coudres, et leur vécu hors fiction. Au-delà du simple documentaire, il nous livre une fresque qui vaut à ses réalisateurs (Pierre Perrault, Michel Brault et Marcel Carrière) une reconnaissance dans toute la francophonie.

Il réalisera avec Bernard Gosselin d'autres longs métrages de même facture et avec les mêmes gens de l'Île-aux-Coudres : Le Règne du jour (1966) et Les Voitures d'eau (1968). En 1968-1969, Perrault et Brault se font les témoins du réveil acadien à l'Université de Moncton et nous livrent L'Acadie, l'Acadie qui sortira en 1971. Toujours avec Bernard Gosselin à la caméra il réalise Un pays sans bon sens ! (1970), sorte de poème à plusieurs voix sur la notion du pays.
En 1976, c'est l'Abitibi qui retient l'attention de Pierre Perrault et Bernard Gosselin. Ils y tournent Un royaume vous attend, Le Retour à la terre et C'était un québécois en Bretagne, madame, sorte de plaidoyer pour la terre et le courage des colons des années 30 et une évocation des Gens d'Abitibi aux prises avec un royaume qu'ils attendent toujours.


Au début des années 80, il entreprend, en collaboration avec Martin Leclerc à la caméra, de raconter la chasse et les chasseurs dans La bête lumineuse . En 1984, il refait le voyage de Jacques Cartier au cours d'une traversée à voile de Saint-Malo à Québec à la recherche mémoire d'où émergera dans La Grande Allure. Puis de 87 à 91, ce sera l'ultime voyage, en plusieurs étapes, au Grand-Nord, sur la terre d'Ellesmere, à quelques kilomètres du Pôle. De cette aventure qui le conduira à la rencontre du boeuf musqué naîtront ses deux derniers films : Cornouailles, puissante métaphore sur l'occupation du territoire, avec le boeuf musqué comme symbole de la résistance, et L'Oumigmag ou l'Objectif documentaire dans lequel le cinéaste livre sa réflexion sur la démarche documentaire.

Sources :

 

FILMOGRAPHIE:

1963

Pour la suite du monde

(coréalisé avec Michel Brault). Avec : Léopold Tremblay (marchand et president de la pêche), Alexis Tremblay (Cultivateur). 1h45.

Pendant des siècles, les habitants de l'île-aux-Coudres, une petite île située dans le fleuve Saint-Laurent près de la ville de Québec, chassaient les bélugas en plongeant une " fascine " (assemblage de branchages) d'arbrisseaux dans la boue proche du littoral à marée basse. La pratique a été abandonnée après 1920. En 1962, une équipe de cinéastes de l'Office national du film, dirigée par Pierre Perrault et Michel Brault, arrive sur l'île pour faire un documentaire sur les habitants et leur vie isolée, et encourage les insulaires à faire renaître la pratique de la pêche aux bélugas.

   
1967 Le règne du jour
 

Avec : Alexis Tremblay, Marie Tremblay, Léopold Tremblay, Marie-Paule Tremblay, Louis Harvey, Marcellin Tremblay, Abbé Jean-Paul Tremblay, Diane Tremblay, Simon Tremblay. 1h58.

Alexis Tremblay, le merveilleux conteur de " Pour la suite du monde ", s'en va en France avec sa femme, à la recherche de ses ancêtres. À Tourouvre, il foule le sol de La Filonnière, ferme des premiers Tremblay, et tient dans ses mains le contrat de mariage de Philibert, "celui qui a fondé un nom au dit pays de la Nouvelle-France".

   
1968 Les voitures d'eau
  Avec : Yvan Tremblay, Aurele Tremblay, Eloi Perron (Capitaine du M.P. Emilie), Nérée Harvey (Capitaine du G. Montcalm). 1h50.

A l'automne, Laurent Tremblay et les autres capitaines de l'île-aux-Coudres montent leurs caboteurs du Saint-Laurent (leurs goélettes) en cale sèche et en entreprennent les réparations avant l'hiver. Dans son atelier, au milieu de plusieurs discussions sur la navigation et de récits du passé, Eloi Perron construit un canot pour Léopold Tremblay après en avoir fait un plan en bois.

   
1968 Le beau plaisir
  Avec : Louis Harvey, Alexis Tremblay. 0h15

Tourné avec les habitants de l'Île-aux-Coudres, " Le Beau Plaisir " nous invite à la pêche au marsouin, astucieux mammifère marin dont la capture exige de déployer toutes les ruses imaginables.

   
1970 Un pays sans bon sens!
  Avec : Didier Dufour (docteur-en-sciences), Maurice Chaillot (docteur-en-lettres), Benjamin Simard (biologiste), André Lepage (mécanicien à Sept-Îles), Donald Carrick (avocat à Toronto), Allan Dale (professeur à Winnipeg), René Lévesque (chef du Parti Québécois), Pierre Bourgault (journaliste), Majorique Duguay (draveur et bûcheron), Alfred Desrochers (Voix), Charly O'Brien (Chasseur de caribous). 1h57
   
1971 L'Acadie, l'Acadie,
   
   
1973 Tickets s.v.p
  0h10
   
1976 Le retour à la terre,
   
   
1976 Un royaume vous attend
  1h50
   

1977

C'était un Québecois en Bretagne, Madame
  Avec : Hauris Lalancette. 1h00
   
1977 Le goût de la farine
  1h48
   
1980 Gens d'Abitibi
  1h47
   
1980 Le pays de la terre sans arbre ou Le mouchouânipi
  1h45
   
1982 La bête lumineuse
 

Avec : Louis-Philippe Lécuyer, Philippe Cross, Stéphane-Albert Boulais, Maurice Chaillot, Bernard L'Heureux, Michel Guyot. 2h08.

Une partie de chasse à l'orignal. Stéphane-Albert, plus communément appelé Albert, y retrouve son éternel compagnon d'enfance, Bernard, avec d'autres amis et membres de la famille.

   
1985 La grande allure
  Avec : Christine Prud'homme, Michel Serres 1h01 + 1h14
   
1993 L'oumigmag ou l'objectif documentaire
   
   
1996 Cornouailles
  (Icewarrior). Avec : Neil Shee (voix). 0h53.
   
   
Ciné-club de Caen