Joong-rae Kim, réalisateur coréen, prépare son prochain film. Ne parvenant pas à finir son scénario, il décide de partir à Shinduri, une station balnéaire de la côte ouest pour trouver l'inspiration. Il demande à son ami chef-décorateur Chang-wook de l'accompagner. Mais Chang-wook emmène avec lui sa petite amie, Moon-sook, une compositrice.
Au restaurant, Joong-rae se met soudainement en colère sous le fallacieux prétexte qu'ils auraient été mal reçus. Chang-wook, se sentant manipulé, réagit avec une violence plus grande encore réclamant des excuses au cinéaste après cette conduite qu'il juge scandaleuse. Moon-sook qui a compris qu'elle était l'enjeu de cette dispute a déjà choisi son camp et se moque de la colère surjouée de son compagnon.
Le soir dans la chambre, l'intimité est grande entre Joong-rae et Moon-sook et Chang-wook a bien du mal à se faire entendre. Joong-rae se met en colère lorsqu'il apprend que Moon-sook a couché avec des asiatiques.
Joong-rae et Moon-sook profitent d'une absence aux toilettes de Chang-wook pour sortir sur la plage. Lorsque ce dernier les appelle sur leur portable, ils l'envoient se faire promener à l'autre bout de la plage afin de s'embrasser à leur guise à l'exact opposé de l'endroit indiqué. Joong-rae entraîne ensuite Moon-sook dans la chambre ouverte d'un hôtel voisin où ils font l'amour.
Au matin, Joong-rae semble abandonner Moon-sook qui repart avec Chang-wook tandis que le réalisateur décide de rester terminer son scénario.
Joong-rae reste ainsi seul dans la station balnéaire abandonnée. Il rencontre Tae-woo et Sun-hee, deux jeunes commerçantes désuvrées auxquelles il demande un entretien pour des confidences qui l'aideront à terminer son film. Sun-hee manuvre pour rester seule avec Joong-rae et passe avec lui une soirée sur la plage où ils crient qu'ils s'aiment.
Mais Moon-sook est revenue et se cache en voyant Joong-rae et Sun-hee revenir ensemble de la plage. Joong-rae et Sun-hee deviennent amants mais sont dérangés au petit matin par Moon-sook en colère qui frappe à la porte. Ils n'ouvrent pas et alors que Moon-sook s'est endormie devant la porte, Joong-rae parvient à faire sortir Sun-hee par le balcon.
Il réveille ensuite Moon-sook et lui déclare qu'il n'a jamais cessé de l'aimer. Moon-sook accepte plus ou moins ses explications et s'en va se promener avec lui sur la plage. Elle apprend que Dori a été abandonné et joue avec lui avec Joong-rae. Celui-ci se fait mal et est contraint de garder la chambre. Face à Moon-sook qui lui demande d'être honnête et d'avouer sa liaison avec Sun-hee, Joong-rae lui explique qu'il est obsédé par des images clichés qui se sont gravées dans sa tête et qu'il compte sur elle pour lui faire aimer la totalité de la vie. Moon-sook est séduite. A ce moment là, Sun-hee appelle pour réclamer un portefeuille qu'elle aurait perdu dans la chambre de Joong-rae. Moon-sook lui dit ne pas l'avoir trouvé mais accepte une invitation à déjeuner de la jeune femme.
Moon-sook abandonne alors Joong-rae pour rejoindre Sun-hee et avoir une explication avec elle. Mais celle-ci continue de nier sa relation avec Joong-rae. Moon-sook erre alors longuement dans la nuit avant de rentrer dans la chambre de Joong-rae. Celui-ci a terminé son scénario et refuse d'avouer sa relation avec Sun-hee. Il décide de rentrer à Séoul abandonnant une nouvelle fois Moon-sook.
Au petit matin, Moon-sook découvre le portefeuille de Sun-hee sous le lit, elle le lui remet et rembarre gentiment Joong-rae au téléphone qui vient la relancer. Si elle l'admire comme cinéaste, elle ne l'aime pas comme homme.
Avec sa voiture, elle s'en va faire un dernier tour sur la plage, s'ensable,
se fait aider de deux jeunes hommes et repart, la mer à ses côtés.
Woman on the beach est tout d'abord une méditation sur le choix amoureux vécue au bord d'une plage durant quatre jours. C'est aussi un impressionnant art poétique délivré par Hong Sang-soo qui s'exprime au travers du personnage de Joong-rae... seulement lorsqu'il parle de cinéma.
Une comédie sentimentale
La méditation amoureuse s'incarne dans de splendides et majestueux plans longs qui rappellent ceux de Rohmer, dans Conte d'été notamment. Ici aussi, un homme va hésiter entre plusieurs femmes, se confronter à son désir pour elles et à leurs demandes et repartir aussi seul. Il emportera seulement ce qu'il était venu chercher : un scénario.
Rien ne laissait pourtant prévoir cette fin amère et notamment pas les deux très belles scènes de plage la nuit. Dans la première, Moon-sook parle de la beauté de l'univers, se ravise pour dire qu'elle sait son discours stéréotypé puis s'abandonne pour avouer que, profondément, elle n'a confiance que dans les étoiles et leur permanence. Emu, Joong-rae commence à effleurer ses mains et son visage avant qu'ils ne s'embrassent. Puis Moon-sook enverra avec cruauté, mais non sans humour, balader Chang-wook à l'autre extrémité de la plage pour continuer d'échanger des baisers avec Joong-rae. Même séquence amoureuse vécue avec Sun-hee où les deux futurs amants s'amusent à crier "je t'aime" à la cantonade sur une plage déserte (il est des fois où le cinéma donne des idées de jeux amusants).
Comme très souvent chez Hong Sang-soo, le film est construit sur une structure duale, une seconde partie venant au milieu du film rejouer d'une manière différente une première partie qui prend alors un sens nouveau. Dans La femme est l'avenir de l'homme, deux vieux copains décident au terme d'une beuverie de rendre visite à une fille qu'ils ont aimée tous les deux. Night and Day repose en partie sur le trio avec l'appartement des deux étudiantes pour centre de gravité.
Woman on the beach ne fait pas exception. A la première partie, vécue avec Moon-sook, s'en rajoute une seconde séparée par le carton "deux jours plus tard" que l'on pourrait nommer "Moon-sook, le retour". La piste d'abord amorcée d'une aventure avec Sun-hee renvoie davantage à un autre thème majeur du film qui est l'impossibilité d'une relation triangulaire.
Une méditation sur l'abandon.
La première histoire d'amour entre Joong-rae et Moon-sook insiste plusieurs fois sur l'abandon dont est victime Chang-wook. Il en est ainsi de ses tentatives pathétiques pour exister en se mettant en colère ou en se mêlant aux conversations au restaurant puis dans la chambre et, finalement, à son renvoi à l'autre extrémité de la plage. Exclusion aussi de l'amie de Sun-hee lorsque celle-ci l'abandonne à sa course à pied pour aller, seule, au rendez-vous de Joong-rae. Joong-rae abandonne enfin Sun-hee au retour de Moon-sook. Abandon aussi de Sun-hee par son mari qui l'a trompé tout comme Joong-rae a divorcé parce qu'il ne supportait pas l'image de sa femme dans les bras de son meilleur ami, même si cela avait eut lieu avant son mariage.
Cet abandon toujours en suspend lorsque l'on est trois est symbolisé par l'abandon de Dori, le chien blanc, par ses maîtres.
L'abandon de Dori vient prendre
place au milieu du film
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L'un des plus beaux plans du film symbolise aussi cet abandon. Lorsque Sun-hee et Joong-rae rentrent de la plage pour faire l'amour, ils passent devant la voiture bleue que l'on ne sait pas alors être celle de Moon-sook. La voiture allume ses feux, semble vouloir démarrer avant que le moteur ne soit coupé. Moon-sook sort alors du plan après avoir constaté, qu'en haut, Joong-rae et Sun-hee ferment les rideaux.
Joong-rae et Sun-hee rentrent ensemble
sans voir Moon-sook dans la voiture . Toujours dans le même plan,
Moon-sook sort de sa voiture puis du cadre pour laisser seul le couple...
enfin pour un temps
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Un échec amoureux
Le sujet central est toutefois bien celui de la formation du couple amoureux. Juste après le carton qui sépare les deux parties, Joong-rae implore des arbres totémiques pour que Dieu lui vienne en aide. Il demande une sorte de miracle. Il téléphonera ensuite à Moon-sook en espérant que le message qu'il laisse sur son répondeur la fera revenir. Le retour ne servira toutefois à rien.
Avoir une seconde chance ne permettra pas à Joong-rae de conquérir Moon-sook parce qu'il refusera de lui avouer sa liaison avec Sun-hee. Son comportement puéril est souligné plusieurs fois dans le film (il hésite à se déshabiller en entier, sortie fort peu amoureuse après avoir couché avec Moon-sook... qui se moquera de ses "prouesses" le lendemain) finira par dégoûter Moon-sook qui ne répondra pas à la troisième tentative qu'il fait pour la rappeler.
Si Moon-sook apprécie Joong-rae comme metteur en scène, elle ne peut l'aimer comme homme. Laissant Joong-rae à sa névrose, elle quitte la plage après être sortie de l'ensablement de son aventure. Le dernier plan qui figure l'immensité de la plage dans laquelle elle est finalement englobée laisse supposer que son aventure l'a aguerrie pour l'avenir.
Un art poétique
Il n'est évidement pas innocent que le personnage central du film soit un réalisateur. Hong Sang-soo ne le délivre pas de sa névrose en tant qu'homme mais nous donne à entendre par lui ce que peut être le travail de cinéaste.
Celui-ci doit écrire un scénario. Son producteur s'en inquiète. Une fois rassuré de savoir que le Kim qui est mort ce n'est pas lui. On notera l'allusion au nombre restraint de noms propres en Corée et de l'obligation de désigner les cinéastes par leur nom puis par leurs deux prénoms réunis par un tiret. Le Kim mort pourrait ainsi ironiquement désigner Kim Moon-saeng (Wonderful days) ou Kim Jee-Woon (Le bon, la brute et le cinglé)
A la fin du film, le scénario sera écrit sur deux petites pages. Sans doute est-ce bien suffisant pour une comédie où ce sont moins les péripéties qui importent que la façon de les faire advenir.
La mise en scène est plus difficile à définir. Joong-rae s'essaie une première fois à expliquer le scénario qu'il a en tête dans un plan absolument admirable qui part d'une petite étoile de mer pour s'élargir au trio des personnages en pleine escarmouche amoureuse avant que Hong ne resserre le cadre pour laisser s'exprimer Joong-rae sur son scénario. Celui-ci s'appellerait "A propos de miracles". Dans celui-ci, un homme ayant entendu trois fois la même musique, se croirait destinataire d'un message divin qui le rendrait accessible à la connaissance des dessins de Dieu dont, pendant dix ans, il partira en quête des signes. Le plan se termine par les réactions plus que sceptiques de Moon-sook et Chang-wook. Joong-rae a beau se plaindre de la bêtise des spectateurs qui ne s'attachent qu'aux choses tangibles, il sait que ce scénario trop déterministe n'est pas le bon.
Un seul plan pour expliquer un scénario...
pas très bon
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Joong-rae fera ensuite une seconde tentative de leçon de cinéma
lorsque Moon-sook sera dans sa chambre. Il lui dira, schéma à
l'appui, que les gens (les spectateurs) sont sensibles a trop peu d'éléments
tirés de la vie (un film). Ils ne retiennent souvent que trois points
qui fonctionnent comme un cliché. Si on arrive à retenir plusieurs
points, alors on échappe au cliché et on se rapproche d'une
bonne perception de la vie.
Une deuxième tentative plus
réussie
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Tel est bien finalement le double scénario qu'écrit Joong-rae. Le scénario du miracle, c'est celui qui voudrait qu'à la suite de la prière aux arbres, Moon-sook lui soit rendue et que leur histoire d'amour fonctionne. Joong-rae est pourtant bien prêt d'y arriver. Sur la plage, il propose à Moon-sook de l'amener dans ce lieu où il fit la prière. Ils rencontrent alors le gardien de l'hôtel avec Dori qu'il a recueilli. Moon-sook et Joong-rae s'amusent alors avec le chien avant que Joong-rae se blesse. Le miracle n'aura pas lieu et l'histoire d'amour va se déliter.
Quant au spectateur, c'est bien à la leçon de mise en scène promise qu'il a eu droit.
Les signes dans le cadre
C'est dans le cadre que les signes et les tensions se font jour. Ainsi du long plan au bord de la plage durant lequel Joong-rae découvre que Moon-sook n'est pas la petite amie de Chang-wook mais seulement celle dont il a fort envie de faire sa maîtresse et qu'il n'a embrassé qu'une fois. A ce plan des tensions de deux hommes avec une femme répondra, symétriquement, le plan d'un homme avec deux femmes. Lorsque Joong-rae sort de l'épicerie, il croise Sun-hee et son amie. Il prend le temps de déboucher une bière devant la plage avant de revenir sur ses pas pour demander une interview à Sun-hee et son amie qui sortentde l'épicerie.
Trois dans le cadre
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Cet exercice consistant à ramener trois personnages dans le cadre pour saisir les signes d'une relation, culmine avec le plan du retour de Moon-sook et de la découverte de l'inconstance de son amant, évoquée plus haut.
Cette attente des signes qui se révèlent dans le cadre est antinomique avec le fait de faire advenir des signes par des artefacts de mise en scène. Hong Sang-soo refuse ainsi le champ contrechamp qui fabrique artificiellement une liaison entre deux personnages. En alternant deux visages qui se regardent, on peut ainsi créer une relation immédiate à l'autre sans en chercher les fondements.
Hong Sang-soo préfère ainsi l'effet moins appuyé du rétrécissement ou de l'élargissement de champ. L'exemple le plus frappant de l'élargissement de champ est celui se déroulant lors de la conversation du soir dans la chambre louée. L'intimité semble grande entre Joong-rae et Moon-sook, filmés en plan serré. Et tout à coup, alors que l'on est installé dans cette discussion, une parole hors-champ dérange leur intimité. Le cadre s'élargit, Chang-wook se tient là, peinant à exister.
Une voix surgit hors de l'intimité
du cadre, celui-ci s'élargit.
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A l'inverse, le champ se rétrécit sur les personnages pour en marquer l'intimité croissante. Ainsi lorsque Joong-rae interviewe Sun-hee et son amie. Alors que celle-ci vient pourtant de déclarer que, comme le réalisateur, elle a peur des chiens, Hong l'exclut du plan en le resserrant sur Joong-rae et Sun-hee, marquant l'intérêt amoureux de celui-ci.
Joong-rae ne s'intéresse pas à l'amie
de Sun-hee. Le cadre, en se resserrant, l'exclut..
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Ce plan est aussi marqué par l'humour des dialogues. Le prétexte de l'interview est de retravailler un personnage imaginaire qui est évidemment celui de Moon-sook auquel, sans doute, Joong-rae pense et veut rendre hommage. Pourtant Sun-hee va répondre à l'exact opposé de ce que Joong-rae attend : elle ne s'intéresse qu'à elle et non aux étoiles; ce n'est pas son père qui lui mine la vie mais sa mère qu'elle déteste.
Cette subtilité de la mise en scène qui n'appuie jamais ses effets par un gros plan ou un changement de plan significatif permet aussi au spectateur attentif de découvrir des signes qu'il ne perçoit pas toujours à une première vision. A-t-il fait ainsi attention aux deux coureuses en jogging qui croisent nos trois personnages du début et qui se révéleront être Sun-hee et son amie ? A-t-il vu, une fois le chien abandonné, ses deux propriétaires croiser Joong-rae sur l'aire d'autoroute ? A-t-il reconnu dans le jeune homme à moto qui importune Joong-rae et Sun-hee sur la plage le vendeur du restaurant agressé, celui-ci n'enlevant son casque qu'une fois sa ronde terminée pour faire pipi sur la plage ?
Les surprises toujours possibles
dans un plan long
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Interrogation sur la perception des sentiments, sur la difficulté à sortir des schémas tous faits, cette comédie sentimentale cruelle est certainement le chef-d'oeuvre de Hong Sang-soo.
Jean-Luc Lacuve le 14/02/2010, après le débat du 12/02 au Café des images dans le cadre du ciné-club de jeudi.
Editeur : Blaq out. Avril 2013. 20 €..
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