Accueil Fonctionnement Mise en scène Réalisateurs Histoires du cinéma Ethétique Les genres Les thèmes Palmarès Beaux-arts

Contes du hasard et autres fantaisies

2021

(Gûzen to sôzô). Segment Magique ? ; avec : Kotone Furukawa (Meiko), Ayumu Nakajima (Kazuaki), Hyunri Hyunri (Tsugumi). Segment Porte ouverte ; avec : Kiyohiko Shibukawa (Segawa), Katsuki Mori (Nao), Shouma Kai (Sasaki). Segment Encore une fois ; avec : Fusako Urabe (Natsuko) , Aoba Kawai (Aya). 2h01.

Magique ? . Meiko pose pour une séance de photo dans une banlieue de Tokyo avec, au maquillage, son amie Tsugami. Celle-ci lui propose de la partager le taxi qui les ramène chez elles. Dans la voiture, Tsugami raconte l’aventure magique qu’elle vient de vivre avec un homme, Kazuaki. Ils ont parlé durant des heures avec une intensité telle qu’une relation sexuelle n’aurait rien ajouté. Tsugami ajoute que Kazuaki, architecte d’intérieur et investisseur, est encore bouleversé par sa rupture, il y a deux ans de la femme qu'il aimait et qui l'a odieusement trompé.

Meiko dépose Tsugami chez elle puis demande au chauffeur de faire demi-tour. Elle rejoint des bureaux encore éclairés alors que la nuit est tombée. A une employée surprise de sa visite tardive, Elle demande à voir Kazuaki qui se révèle être ainsi son ancien amant. Celui-ci la laisse entrer. Alors que l'employée s'en va, Meiko constate qu'il a des bureaux prouvant sa réussite. Kazuaki en convient tout en constatant qu'il est toujours loin d'être le sexe-toy que Meiko rêvait qu'il soit. Celle-ci l'agresse en lui révélant être l'amie de Tsugami et en étant en colère de la nuit "magique". qu'il a passé avec elle. Kazuaki trouve qu'elle ne manque pas d'aplomb alors que c'est elle qui l'a trompé et a plusieurs reprises. Meiko ne dément pas mais affirme avoir toujours été elle-même et que c'est précisément cela qu'aime Kazuaki. La réconciliation est proche lorsque surgit l'employée venue chercher son ordinateur oublié. Confidente de Kazuaki, elle enjoint celui-ci à ne pas poursuivre, comme il s'appétait à le faire, Meiko qui s'est enfuie.

Trois jours plus tard, Meiko et Tsugami prennent un thé dans leur quartier. Tsugami est rayonnante, elle doit voir Kazuaki le soir même. C'est alors que celui-ci passe par hasard devant elles et est immédiatement convié à entrer par Tsugami. Kazuaki et Meiko font semblant de ne pas se connaitre avant que celle-ci affirme qu'elle est l'ancienne amoureuse de Kazuaki et demande à celui-ci de choisir sur le champ entre elles deux. Tsugami s'enfuie et Kazuaki ne tarde qu'un bref moment avant de courir à sa poursuite. Meiko, restée seule, se prend la tête entre les mains. Elle imagine une autre situation : Kazuaki entre et elle s'en va discrètement, seule. Elle se retourne et prend en photo le trou d'un chantier en construction. autour duquel s'élèvent de hauts bâtiments

Porte ouverte. Dans une salle de cours de l'université, un professeur laisse ses élèves s'exprimer quand une scène, dans le bureau d'en face, attire leur attention. Un jeune étudiant se prosterne devant un professeur, Segawa, le suppliant de lui accorder son unité de valeur en français, nécessaire à son embauche. Mais Segawa reste inflexible.

Cinq mois plus tard, Nao vient rejoindre son jeune et fougueux amant, Sasaki, l'étudiant qui  s'était vainement humilié devant Segawa. Le journal télévisé informe que le professeur vient de recevoir un prix prestigieux pour son premier roman. Sasaki est aigri d'autant plus que Nao, étudiante de quatrième année, fut l'élève  de Segawa, l’admire et a acheté son dernier livre. Il exige que Nao piège Segawa.

Nao va ainsi réciter l’ouvrage de son ancien professeur Segawa et lui fait promettre de se masturber en écoutant sa voix enregistrée. Elle lui a en effet révélé le piège dans lequel elle voulait le faire tomber mais a changé d'avis. Mais en envoyant le mail, dérangé par l'arrivée inopinée de son mari et de son jeune fils, elle écorche le nom de Segawa et envoi l'enregistrement compromettant au siège de l'université.

Quatre ans plus tars. Nao rencontre Sasaki dans un bus. Arrogant et vantard, il lui explique être devenu directeur de collection dans une maison d'édition grâce à son inculture, gage de venets à un large public. Nao est simple correctrice indépendante et a divorcé après le scandale de la révélation de son enregistrement qui a entrainé la démission de Segawa et sa disparition. Elle lui demande de se taire mais il a beau jeu de lui faire remarquer qu'elle est seule coupable de son incroyable méprise.

Encore une fois. Un mystérieux virus informatique, responsable d’un piratage généralisé et d’une fuite de toutes les données personnelles, signe le retour à un monde pré-numérique. Natsuko est revenue à Sendai pour une réunion d'anciens élèves. Dix-huit ans ont passé et elle ne reconnait pas grand monde. Elle échange brièvement avec un ancien condisciple avant de s'éclipser. Le lendemain sur le chemin de la gare pour rentrer à Tokyo, elle croise le regard attentif d'une femme sur un escalator. Elle retrouve ainsi celle qu'elle souhait voir. Celle-ci l'invite chez elle car elle doit réceptionner un paquet important pour son fils. Sur le chemin, elles discutent sans vraiment se reconnaitre. Aya comprend vite que Natsuko cherche en elle son amour de jeunesse mais lui révèle qu'elle s'est trompée de personne. Elle-même. Elle souffre d'avoir appris par la fuite des mails par le virus que son mari cherche toujours à revoir son amour de jeunesse

Sur le chemin du retour, Natsuko propose à Aya de rejouer leur rencontre et de faire un instant comme si elles se retrouvaient. C’est d'abord Natsuko qui retrouve en Aya son amour puis Aya qui s'essaie à retrouver la jeune femme qu'elle admirait jouant du piano. Les deux femmes se séparent. Aya remonte pourtant une dernière fois l'escalator; elle vient de se souvenir du nom de celle qu'elle aima autrefois. Les deux femmes s'étreignent, joyeuse de leurs souvenirs si forts remontés à la surface.

Hamaguchi a réalisé Contes du hasard et autres fantaisies durant la pause due au Covid-19 du tournage de Drive My Car. Son titre original, Hasard et imaginaire, est transformé en Wheel of Fortune and Fantasy lors de sa sélection au Festival de Berlin 2021, et devient son titre international pour de nombreux pays. Il ne sort en France qu'en avril 2022, après le prix du scénario  à Cannes en mai 2021 et l'oscar du meilleur film étranger pour Drive my car. Le titre choisi par les distributeurs français fait référence aux Contes moraux et Contes des quatre saisons d'Eric Rohmer dont Hamaguchi revendique la filiation. La parole, le hasard, les retournements de situation, l'apparent dépouillement de la mise en scène d'éléments trop visibles sont en effet des points communs aux deux cinéastes. Il n'en reste pas moins que les thèmes sont éminemment différents; la prise de conscience de son rapport au réel pour Rohmer; le retour sur le passé, garant de l'intégrité de sa personne, pour Hamaguchi.

Hasard et Imaginaire

Le hasard joue incontestablement un grand rôle dans le film. Dans Magie ?, Tsugami est amoureuse de l'ancien petit ami de Meiko; l'employée, revenue chercher son ordinateur, empêche Kazuaki de poursuivre Meiko ; Kazuaki passe par hasard devant le café où sont réunies Tsugami et Meiko. Dans Porte ouverte, Nao écorche le nom du destinataire, Segawa quand son mari lui fait part d'une livraison de Sagawa express, l'entreprise de livraison japonaise ; elle retrouve Sasaki dans le bus. Dans Encore une fois, la situation du retour dans son lycée fait imaginer à Natsuko qu'Aya est son ancienne petite amie.

Ce hasard active l'imaginaire des personnages qui, grâce à la conversation, vivent avec intensité un moment important de leur vie. Dans l'épisode central, il est fait deux fois référence à la psychanalyse comme à un moyen de résoudre un traumatisme nuisible. Ici, c'est bien plutôt l'éclosion, à nouveau, d'un moment incertain, paradoxal et émouvant qui est trouvé.

Puissance de la parole

Il ne s'agit en effet pas de gagner quelque chose ; ces moments resteront sans doute sans suite. Les personnages auront néanmoins pris conscience de leur singularité, seule à même de leur faire vraiment rencontrer quelqu'un pour partager une émotion avec lui. Cet appel à la singularité comme base d’un réel échange avec l'autre va à l'encontre d'une société japonaise corsetée où le divorce et l'homosexualité sont tout juste tolérés

Hamaguchi présente des personnages singuliers. Deux infidèles, Meiko et Nao, et Natsuko qui se reproche ne pas avoir été assez fidèle à ses sentiments. On est assez loin de Rohmer où la parole entrave la liberté que le protagoniste retrouve par hasard, quand sa machination a échoué.

Chez Hamaguchi , c'est le retour vers le passé qui permet la régénérescence. Il s'agit de deux ans dans le premier épisode, de cinq ans dans le second et vingt-deux dans le troisième.

Une structure propice aux bifurcations

Hamaguchi recourt de nouveau à une structure fractionnée.Le film comporte trois histoires, après quatre dans Senses et deux dans Asako I et II. Elles sont de nouveau centrées sur des parcours féminins. L’effet de collection de récits fait écho à Quatre aventures de Reinette et Mirabelle (1987) ou aux Rendez-vous de Paris (1995). Y étaient aussi à l'œuvre des effets de miroir à travers les épisodes où les hasards s'acumulaient mais en ne présentant pas ainsi trop de renversements de situations dans chacune des narrations. Il ne s'agit pas ici de "magie" entre les personnages comme l'indique le point d'interrogation du premier épisode mais, selon le titre original et la phrase de Meiko, "de quelque chose de moins assuré" : une mise en scène qui scrute la béance laissée entre le passé et le présent pour savoir si le personnage est encore désirant, resté un personnage étrange, mystérieux qui ne s'est pas fondu dans le grand tout indifférencié.

Hamaguchi réalise l'un des plus beaux films de confinement après Bad luck banging, Lonnnely porn et Tromperie.

Jean-Luc Lacuve, le 22/04/2022

Retour