Clothilde, seule, pleure. Son enfant, Charlotte, se réveille et voit ses parents se séparer au travers du trou de la serrure. Charlotte retourne au lit.
Titre 1 : J'ai gardé les anges
Clothilde revient du bureau, alors que Louis a aidé leur enfant, Charlotte,
à faire ses devoirs. C'est lui qui dorénavant s'en va répéter
au théâtre et elle qui garde l'enfant.
Louis marche avec Claudia. Ils passent devant le lieu de leur premier baiser
puis courent en riant vers leur petit appartement, au dernier étage
d'un immeuble.
Chez elle, Charlotte attend son père devant la porte.
Claudia attend Louis au bar qui arrive avec son ami comédien, Antoine. Tous deux disent le plus grand bien de Lucie qui joue la sur du personnage interprété par Louis. Sur le chemin du retour, Louis embrasse Claudia.
Un autre jour, Louis prend soin de Charlotte sous l'abribus puis la ramène chez elle. Sa mère câline alors Charlotte.
Louis et Claudia rendent visite au vieux metteur en scène qui fit débuter celle-ci. Il sent la mort approcher et cite Sénèque : "Le sage vit autant qu'il le peut et non autant qu'il le doit... Ce qu'il y a de beau dans la vie, c'est qu'elle ne force personne à la subir". Il envisage un spectacle de lecture partagée avec elle sur des textes de Sénèque comme autrefois ils le firent sur du Maïakovski. Elle lui lave les pieds et raconte comment elle embrassa la statue de Maïakovski à Moscou sur la bouche et vint vers lui qui avait écrit sa biographie.
Chez eux, Claudia lit de la poésie pendant que Louis répète son texte en se rasant; ce qui la gêne un peu. Esther, la sur de Louis, vient au théâtre surprenant une discussion qui va bon train entre lui et Lucie. Claudia plante soudainement son amie au restaurant et court rejoindre son appartement ou elle avait craint que Louis soit partie. Il la rassure. Au bar, elle revient d'un bout d'essai sans suite. Elle n'a pas joué depuis six ans. Claudia veut retenir Louis mais il est en retard pour le théâtre. Elle se décide à l'attendre au café puis rencontre un homme. Elle le suit jusque chez lui. En rentrant, énervée, elle fait une scène à Louis.
Louis présente pour la première fois Charlotte à Claudia. Un bonnet et une sucette nouent une complicité. Clotilde a du mal à cacher son dépit devant la joie de sa fille après cette rencontre et le souvenir du sandwich collectif. Clothilde lui sert à manger et la borde.
A la sortie du théâtre, Louis embrasse furtivement Lucie mais renonce à aller plus loin. En rentrant, il fait une déclaration à Claudia allongée sur le lit : "Je sais qui je suis depuis très longtemps. C'est une chance mais c'est aussi une douleur. C'est aussi pour ça que je sais que je t'aime. Je t'aime pour ce que tu es, pour ce que tu penses. Je t'aime. Je t'aime et c'est définitif. Je t'aime définitivement". Il vient la chercher à la sortie de son cours de danse.
Titre 2 : Le
feu aux poudres
Louis part en tournée et revient au bout de quelques jours, toujours plus amoureux de Claudia. Au théâtre, sa sur lui demande de l'héberger. Alors qu'il se prépare, une femme vient lui dire qu'elle a beaucoup aimé son père.
Un soir au théâtre, une amie de Claudia lui présente Henri qui s'intéresse tout de suite à elle. Louis répète. Claudia déprime dans leur petit appartement et s'en prend à Louis. Louis accompagne sa fille au théâtre et drague sa voisine qui lui donne son numéro de téléphone. Rentrant chez lui avec sa fille, il trouve un mot d'excuse de Claudia pour la soirée de la veille. Au repas, Charlotte révèle à Claudia que Louis a toujours dit que son père, Jean-Pierre, est la personne qu'il a aimée le plus. Louis sait que sa fille lui en veut que ce ne soit pas elle. Il explique que son père lui a beaucoup manqué.
A son ancien professeur, Louis dit vouloir vivre et aimer à fond. Celui-ci lui répond qu'il connait peut-être mieux les personnages qu'il interprète que lui-même.
Claudia montre à Louis, éberlué, le nouvel appartement qu'Henri lui a donné. Elle lui avoue être infidèle mais vouloir continuer de vivre avec lui.
Louis pleure. Louis saigne du nez avant d'entrer en scène. Louis et Claudia reçoivent leurs amis dans leur petit appartement. Dès qu'ils sont partis, Claudia annonce à Louis qu'elle le quitte. Il en reste estomaqué. Il la surveille. Il prend un revolver et se tire une balle dans le cur. Il s'est raté ; sa sur le veille à l'hôpital. Plus tard dans la rue, il croise Lucie qui s'en va pour une nouvelle pièce en tournée. Avec Esther et Charlotte, il se promène dans un parc. Louis rentré chez lui, absent à lui-même, éteint la lumière
Sur le générique de fin, la chanson "Ouvre ton cur"
de Jean-Louis Aubert : "Pleure des jours et des heures, pleure toujours
s'il le faut. Dépose ici ton fardeau. Tourne le dos au malheur..."
La jalousie est un drame sentimental, mais un sentiment étendu sur une gamme bien plus large que celle habituellement dévolue au sentiment amoureux. Certes Claudia est jalouse de Louis, puis Louis de Claudia mais Esther est aussi jalouse de Louis, Charlotte de Louis et Clothilde de Charlotte. Qui plus est, le tiers qui menace le sentiment d'amour exclusif varie selon les personnages.
Ainsi condensé en 1h17, ces variations du sentiment sur des images d'une splendeur tranquille, font de La jalousie un film de poésie pure, de fragments de bonheurs et de malheurs, de vivants, de morts et de fantômes. Un film sur la beauté de l'amour, de l'enfance, des pères, des mères, de la vie d'artiste, du chagrin et de l'hiver.
Triangle de la jalousie
La jalousie est un sentiment qui s'impose à soi lorsqu'on sent que quelqu'un que l'on croit à soi s'éloigne, réellement ou imaginairement, au profit de quelqu'un d'autre. C'est un sentiment d'amour exclusif envers quelqu'un dont la possession semble menacée par quelqu'un d'autre. C'est un sentiment triangulaire qui implique le jaloux, celui qu'il croit à lui, et le tiers qui lui enlève.
La jalousie est ici partout de Charlotte pour le père de Louis qu'elle soupçonne d'aimer plus qu'elle ; de Clothilde pour Claudia qui a offert un bonnet à sa fille ; d'Esther pour Louis qui connut leur père mieux qu'elle mais surtout jalousie de Claudia pour la vie d'artiste de Louis.
La vie d'artiste mène à la solitude, ainsi des professeurs respectifs de Louis et Claudia. Cette solitude est toutefois apaisée et créative. La vie d'artiste est dure et ingrate parfois : des répétitions non payées; pas de grosse voiture, des bars et non des restaurants, des petits appartements au dernier étage plein de livres et sans télévision. Mais pas de haine envers la richesse (l'ami qui entretenait les Porsche, les discussions sur les femmes riches) juste une vie pleine en dehors de toute forme de bourgeoisie, en communion avec la grâce de l'hiver et de la nuit, du dépouillement.
L'enfant et la vie d'artiste plus forts que le suicide
Depuis 1999, tous les films du cinéaste se terminent par un suicide. Overdose de barbituriques pour Serge dans Le vent de la nuit (1999), overdose d'héroïne pour Lucie dans Sauvage innocence (2001), un mystérieux comprimé pour François dans Les amants réguliers (2005), barbiturique et alcool pour Carole et saut dans le vide pour François dans La frontière de l'aube (2008), accident de moto pour Frédéric dans Un été brûlant (2011) et coup de revolver ici pour Louis.
A la différence de ces précédents films, Louis se rate dans La jalousie et continue de vivre. Garrel, marqué par le suicide de son amie et actrice, Jean Seberg, en 1979, distingue en effet deux types de suicide : ceux dont sont victimes les personnages ayant été jusqu'au bout d'un parcours et ayant rencontré l'échec de la révolution ou l'hôpital psychiatrique et qui se suicident par drogue et barbituriques (voir : développement ici)... et les autres. Pour ceux-là, Garrel n'a cessé de répéter que le suicide est une fausse solution, une diablerie même qu'il met en scène à la fin de La frontière de l'aube. C'est bien ici le cas pour Louis qui tente de se suicider au revolver. Garrel respecte bien entendu sa souffrance et filme le coup de feu hors champ mais tout indique que ce suicide est théâtralisé. Le choix romantique du revolver renvoie au suicide de Werther auquel ses amis de manquent pas de le comparer en ironisant lorsqu'il avait dit, sans réfléchir et mécaniquement, qu'il se suiciderait si Claudia le quittait. Le plan qui suit celui du coup de feu est celui où on le retrouve avec un masque à oxygène sur son lit d'hôpital? Ce plan presque burlesque renvoie bien plus surement aux difficultés de vivre qui attendent Louis qu'à une éventuelle envie de renouveler sa tentative de suicide. C'est bien ce que semble dire la chanson finale de Jean-Louis Aubert : il faut continuer de vivre et affronter le chagrin inhérent à la vie.
Car entre le suicide raté et la chanson a lieu la rencontre avec Lucie, appelée vers d'autres pièces, et surtout la ballade avec Charlotte et Esther dans le parc en hiver. L'enfant et la mort est toujours l'une des deux finalités chez Garrel comme si les autres choix n'existaient pas. Un ami de François lui disait dans La frontière de l'aube que "faire un enfant c'est comme sauter par la fenêtre mais du bon côté".
Poésie lyrique par abstraction du monde dans un visage ou un pan de mur.
Plus encore qu'à l'universel de la thématique de la jalousie, Garrel atteint à la quintessence de son univers fragile, intime (les enfants du cinéaste, Louis et Esther jouent des personnages portant leur prénom) et poétique dont rendent compte, par exemple, les titres des deux parties.
Garrel a indiqué que l'histoire de Louis, joué par son fils, était inspirée par un épisode de la vie de son père, Maurice. Louis joue donc le rôle de son grand-père, hommage émouvant à celui-ci, décédé en 2011, dans un univers discrètement contemporain. Une affiche appelant à ce que les peuples ne paient pas les erreurs des banques, un vieux téléphone à touches et une télévision pas très moderne chez le professeur de Claudia et la grosse voiture de Henri sont presque les seuls signes de contemporanéité.
Pour le reste, l'univers presque constamment dépouillé, les habits presque toujours identiques d'une scène à l'autre des personnages installent le film dans un no man's land temporel propice à l'esthétique de l'abstraction lyrique. Gilles Deleuze nommait ainsi les films capables de faire surgir le monde à partir d'un visage ou d'une image abstraite ou de l'y ramener après ces plans. Le visage, celui de Charlotte notamment, recadré avec sa mère chez elle ou avec son père dans l'abribus réfléchit la lumière, réduit l'espace par abstraction, compression du lieu, par artificialité et définit un champ opératoire où son pur visage devient un pur signe qui nous conduit à l'univers de l'enfance, des pères et des mères. Certaines images abstraites, dépouillées : le baiser à Claudia sur fond de lierre, le jardin du professeur de Louis, Louis devant le grand mur lépreux de l'IUFM près de la station de métro Chardon Lagache renvoient elles à l'universel de l'amour, de la vie d'artiste, du temps qui passe, du chagrin et de l'hiver.
Deleuze proposait de dénommer icône, non seulement le gros plan de visage déterritorialisé mais aussi certains insert d'objet ou très gros plans de visage lorsque le gros plan garde le pouvoir d'arracher l'image aux coordonnées spatio-temporelles pour faire surgir l'affect en tant qu'exprimé. Même le lieu présent dans le fond perd ses coordonnées et devient "espace quelconque". La jalousie ne cesse de nous proposer de telles icônes inoubliables.
Jean-Luc Lacuve (le 08/12/2013 après le débat du ciné-club du jeudi)