Minuit dans le jardin du bien et du mal

Le journaliste new-yorkais John Kelso se rend à Savannah pour rendre compte du grand événement mondain de la ville : la réception de Noël offerte à quelques privilégiés par le riche antiquaire Jim Williams dans sa somptueuse demeure, Mercer House.

Sonny Seiler, l'avocat de Williams veut lui faire signer un engagement de confidentialité qu'il refuse, ce qui lui attire le respect immédiat de Williams. Dans leur promenade ils emmènent Uga, le chien mascotte de l'université, et rencontrent M. Glover qui promène Patrick, un chien fantôme qui lui rapporte 15 dollars par semaine. Williams, dans sa remise d'antiquaire, montre à Kelso un tableau de George Stubbs, Newmarket heath avec remise, dont l'empâtement semble cacher une autre peinture que Williams s'amuse de ne pas vouloir connaitre.

Avant l'événement mondain du lendemain, il ya une première fête pour célibataires à Mercer House que John décline puisque Williams refuse qu'il la couvre comme journaliste. John s'endort non sans avoir mit, en fond sonore, le bruit de la ville de New York. Mais, au milieu de la nuit, débarque la charmante Mandy Nicholls, venue, vêtue d'un paréo, lui emprunte des glaçons pour la réception de Joe Odom, un riche oisif qui squatte une somptueuse demeure.

Au cours de la réception officielle de Williams, John assiste à une violente altercation entre Jim et son compagnon du moment, un jeune voyou nommé Billy Hanson. Quelques heures plus tard, la police fait irruption à Mercer House : Billy a été tué de plusieurs balles par Jim, qui déclare avoir agi en état de légitime défense.

John décide de rester à Savannah afin de couvrir le procès. Il fait la connaissance de personnages attachants et mystérieux : Frank De Veau, une extravagante "drag queen", vedette de cabaret sous le nom de Lady Chablis ; ou encore Luther Driggers, toujours armé d'une mystérieuse fiole dont le contenu pourrait empoisonner les réserves d'eau de la ville.

Tandis que Jim, du fond de sa prison, continue de vendre et d'acheter des antiquités à de riches étrangers ignorant tout de sa situation, deux personnes s'activent pour le tirer d'affaire : son avocat Sonny Seiler, prompt à dénoncer les négligences de l'enquête préliminaire, et Minerva, une prêtresse vaudou qui s'efforce d'apaiser les mânes de Billy.

Finley Largent, pour l'accusation, fait valoir que les mains de la victime ne portaient pas de traces de poudre, ce qui tendrait à prouver qu'il n'a pas tiré sur son meurtrier, comme celui-ci l'affirme. Avec l'aide de Lady Chablis et de Mandy, John fouine à la morgue, où il découvre que les mains du cadavre n'ont été ensachées de plastique que longtemps après son arrivée à l'hôpital, laissant ainsi supposer que des traces de poudre ont pu être effacées.

Mais avant que John, triomphant, ait annoncé la bonne nouvelle à Jim, ce dernier lui avoue avoir abattu Billy qui le menaçait d'un revolver, puis avoir tiré plusieurs balles avec ce même revolver afin de faire croire à une agression. John ayant décidé de garder le silence, Jim sera acquitté. Toutefois, par une sorte de justice immanente, il mourra terrassé d'une crise cardiaque à l'endroit même où il avait abattu Billy.

En dépit de ces circonstances tragiques, John, définitivement conquis par Savannah, choisit de s'y installer auprès de Mandy.

Film étrange, Minuit dans le jardin du bien et du mal, fait l'apologie de l'ambivalence, caractère de ce qui comporte deux composantes de sens contraire. Eastwood réussit ainsi une sorte de condensé dans une ville intemporelle, de son art appliqué habituellement à un lieu et à une époque donnée. Il scrute en effet là aussi les fondations mythiques, légendaires, mensongères de l'histoire afin d'examiner, dans les plis du temps, le secret qui fonde la croyance dans le présent tout en le corrodant.

La Mercer house de Savannah

Dès son arrivée à Savannah, John écoute l'histoire de la ville dans le bus qui le conduit chez Williams. Savannah fut la première ville et la capitale de la province de Géorgie avant de céder la place à Atlanta, à 400 kilomètres au nord. C'est l'une des plus belles villes de l'Amérique du Nord. Ses 22 squares, ornés de statues et de fontaines et tous plantés d'arbres vénérables et moussus font la gloire de la ville, avec les nombreuses maisons datant d'avant la guerre de Sécession. Savannah a en effet été épargnée par les nordistes durant la guerre civile.

Williams lui racontera par la suite que La Mercer House, située au 429 Bull Street, fut construite dans les années 1860 par le général Hugh Weedon Mercer dont l'arrière petit fils, Johny, est mort en 1976. C'est la tombe de ce dernier qui fait l'objet de la première séquence du film : une succession de mouvements de caméra, travellings-avant et plongées, reliés par des fondus-enchainés jusque sur la tombe de John Herndon Mercer (Johny) avec l'épitaphe "18 novembre 1909-25 juin 1976 et les anges chantent". La caméra s'élève alors pour cadrer la statue de la jeune fille aux deux plateaux que l'on retrouvera, à la fin, au-dessus de la tombe de Jim Williams. Il s'agit donc déjà de relier les vivants et les morts puisque Williams, antiquaire et restaurateur de demeures historiques de Savannah acquiert la maison à la mort de Johny alors qu'elle menace ruine et en refait l'une des attractions de Savannah

L'action débute le 1er mai 1981, la veille du meurtre de Danny Lewis Hansford par Williams. Celui-ci fut jugé à quatre reprises et acquitté. John Berendt en fit un roman, publié en 1994, où c'est une sorte de justice divine vaudou qui relie les vivants et les morts. Minuit dans le jardin du bien et du mal évoque cette heure des morts où le cimetière passe d'un dialogue positif avec les morts, la demi-heure avant minuit, à son versant plus sombre, la demi-heure après minuit, où les morts se vengent des vivants.

Des ambivalences pour relier les vivants et les morts

Revenu de toutes ses croyances et illusions, le new-yorkais John Kelso, qui avait même besoin de l'ambiance sonore de sa ville pour s'endormir, finira par rester à Savannah. Il est en effet aussi romancier et ne peut retrouver sa vocation que loin de New York qui l'accapare comme journaliste. C'est l'une des nombreuses ambivalences du film.

Le film est adapté d'un roman mais basé sur une histoire réelle. Il s'agit d'une enquête menée par un journaliste mais aidé par une magicienne vaudou. Les personnages y font preuve de respectabilité et d'une pseudo-liberté tout en masquant ce qui pourrait l'affecter, leur homosexualité. Ceux qui s'affichent sont autre chose que ce que leur apparence laisse supposer, ainsi du travesti Chablis Deveau.

Cette volonté de rester dans l'indécision, Eastwood le métaphorise aussi avec l'attitude de Jim Williams qui refuse d'examiner ce qui est caché sous la toile de George Stubbs, Newmarket heath avec remise à bouchonner (1765). C'est aussi le sens de sa phrase : "La vérité, comme l'art, est dans le regard du spectateur. Croyez ce que vous voulez, moi je crois ce que je sais."

Le tableau de George Stubbs cache-t-il une autre peinture ?

Newmarket heath avec remise à bouchonner
( George Stubbs , 1765)

Cette possibilité de lier vérité et simulacre est l'essence même de Savannah, ville pleine de mystères propres à la création et à l'amour : "J'ai toujours plein de questions" dit John à Minerva lors de leur dernière rencontre. Celle-ci lui avait déjà répondu de ne pas s'y attarder... puisqu'il n'y a pas de réponses.... et de vivre : "Tu sais tout ce que tu dois savoir sauf une chose : ne communique pas avec les morts trop longtemps, tu vas oublier les vivants. Je t'aime mon petit mais je ne suis pas la seule" lui dit-elle en s'effaçant et en lui désignant Mandy.

Jean-Luc Lacuve le 18/10/2013 (remplace l'ancienne version du 25/06/2009).