Au-delà

26 décembre 2004. Marie Lelay passe des vacances en Indonésie avec son amant Didier. Celui-ci, peu décidé à ramener des cadeaux pour ses enfants, la laisse aller, seule, acheter des colliers à une jeune vendeuse de l'ile. Didier, à l'abri de son hôtel, voit déferler la vague du Tsunami qui balaye irrémédiablement arbres, constructions et milliers d'hommes, femmes et enfants se trouvant dans les rues. Marie est emportée par la vague, tente vainement de sauver la jeune marchande, passe sous maisons, arbres et automobiles avant d'être violemment heurtée par une embarcation. Elle coule alors, œil fixée vers la lumière de la surface. Quelques temps après, elle est ramené sur le toit d'un hôtel protégé de la vague par deux secouristes qui constatent son décès. Marie a lors une étrange vision à 360° d'un monde blanc en apesanteur. Elle pourrait parler avec les étranges occupants de ce monde mais est ramenée à la vie. Elle tousse, elle vomit de l'eau, elle est sauvée.

San Francisco. George Lonegan reçoit la visite de son frère, Billy qui lui emmène un de ses clients, Christo pour une séance un peu spéciale. George en veut à son frère de lui imposer cela mais Billy insiste. George accepte de prendre les mains de Christo, ce qui d'éclanche immédiatement une courte vision d'un monde blanc en apesanteur d'où surgit la figure d'une femme brune d'une quarantaine d'années. Il s'agit, comme le confirme Christo de sa femme qui lui conseille de refaire sa vie. George croit que le mois de juin (june) est important pour lui mais peut-être se trompe-t-il. Plus tard, Christo confie à Billy que June est le nom de l'infirmière dont il a toujours été amoureux. Billy, éprouvé par son contact avec les morts, trouve réconfort en écoutant du Dickens et en suivant des cours de cuisine où il rencontre la jolie Mélanie. Rentré chez lui, il trouve sur son palier Candace, une femme noire renseignée par Christo qui l'implore de lui accorder une séance de medium. Elle a perdu sa fille unique.

Londres. Jason et Marcus, frères jumeaux, sont chez le photographe pour offrir un cadeau à leur mère. Celle-ci rentre droguée à la maison le soir sans voir la photo des deux enfants. Au matin, les services de la protection de l'enfance débarquent à l'improviste en ayant bien l'intention d'enlever les deux jumeaux à la responsabilité de leur mère. Jason et Marcus nettoient la maison en un tourne main, font sortir leur mère par l'arrière afin qu'elle donne ensuite l'impression de revenir des courses. La mère remercie chaleureusement les enfants et envoie Marcus à la pharmacie. Jason prétexte que ce dernier n'a pas fini ses devoirs pour aller lui-même faire les courses. En fait il veut savoir ce que contient l'ordonnance. Marcus, qui communique avec son frère par portable, l'informe que, d'après une recherche sur Google, il s'agit de médicaments destinés à empêcher le besoin de se droguer. Jason est heureux. Sur le chemin du retour, il est agressé par une bande de jeunes qui en veulent à son téléphone. Il leur échappe mais traverse la route sans regarder et meurt écrasé par un camion.

Paris. Marie Lelay s'en veut un peu de ne pas ter restée en Indonésie couvrir les événements du tsunami. A Pris, elle reprend néanmoins son poste de présentatrice du magazine d'actualité vedette de France2. Au cours de l'interview de Guillaume Belcher, patron exploitant le travail des enfants en Asie, elle semble pourtant étrangement absente, une nouvelle fois brièvement aspirée par l'au-delà. Didier, s'inquiète du manque d'implication de Marie et lui propose de prendre du recul, d'écrire un livre. Marie présente son projet sur Mitterrand au comité de direction de la maison d'édition de son ami Michael qui est convaincu par son exposé.

San Francisco. Au second cours de cuisine, George a ramené Melanie chez lui. Elle entend au téléphone, Billy s'excuser pour la visite de Candace et promet de ne plus lui demander d'exercer ses talents de medium. Melanie exige une séance pour elle. George tente de l'en dissuader mais elle insiste. George, entré en contact avec son père, lui transmet son message de demande de pardon pour l'avoir violée étant enfant. Melanie, bouleversée et choquée, s'enfuit sachant qu'elle ne reverra jamais George. Celui-ci est victime d'une réduction de personnel dans son usine et se retrouve au chômage. Billy le convainc de réessayer de gagner de l'argent avec ses talents de medium. Lorsque George découvre l'exploitation dont il va être victime, il s'enfuit en Angleterre laissant une lettre à son frère.

Londres. Marcus cherche désespérément à entrer en contact avec son frère mort. Il n'hésite pas à voler l'argent de ses parents adoptifs pour rencontrer de nombreux medium qui se révèlent être tous des charlatans. Le 7 juillet 2005 à Londres à 8h50 au métro de King's Cross, il perd la casquette de Jason à laquelle il tient plus que tout. Le temps de la retrouver, il rate son métro. Celui-ci explose dans un attentat terroriste.

Paris. Marie a rencontré le docteur Rousseau en Suisse et renoncé à son livre sur Mitterrand pour un livre sur l'au-delà. Elle essuie un refus humiliant de Michael et comprend que Didier à choisi Jasmine, la nouvelle présentatrice à sa place professionnelle et amoureuse. Michael la rappelle pour lui indiquer qu'une maison néo-zélandaise est intéressée par son livre. Effectivement celle-ci lui propose d'en faire une lecture publique à Londres dès sa sortie mondiale.

Londres. Au salon du livre, George, venu pour écouter Derek Jacobi lire du Dickens, rencontre Marie dont il tombe immédiatement amoureux... et Marcus qui le poursuit sachant en ayant consulté internet qu'il est medium. George tente d'échapper à Marcus mais le jeune garçon fait le pied de grue devant son hôtel. George va le chercher dehors. Il entre en contact avec son frère qui affirme à Marcus qu'il doit cesser de le rechercher puisque eux deux ont fusionné en lui-même. Reconnaissant, Marcus donne à George l'adresse de l'hôtel de Marie qu'il a cherché auprès de son éditeur. George et Marie se retrouvent à Charing cross. Le contact de leurs mains et de leurs lèvres ne déclenche aucune vision chez George.

Au-delà est moins un film fantastique qu'un mélodrame. Il s'agit avant tout de connecter le spectateur à des personnages suffisamment crédibles pour nous faire ressentir les souffrances du monde.

Des traumatismes mondiaux à ceux de l'enfance

Non seulement Eastwood en appelle à l'au-delà mais encore au tsunami du 26 décembre 2004, aux attentats du 7 juillet 2005 à Londres et au scandale des enfants exploités par les multinationales en Asie. La dimension universelle du film est magnifiée par le choix des villes de Paris, Londres et San Francisco. Les Champs-Elysées et la tour Effel, le golden Gate de San Francisco, le pont de Londres et le marché couvert de Coven garden sont des moyens d'exprimer efficacement l'universalité des problèmes dont il est ici question.

Comme souvent chez Eastwood, il s'agit des traumatismes liés à l'enfance. Ici, George a été victime d'une difficile et douloureuse opération à l'origine de son pouvoir de voyance durant son enfance. Mélanie a été violée, enfant, par son père. Candace a subit la mort de son enfant et Marcus à perdu son frère jumeau. Ces traumatismes de l'en-deçà de la vie adulte contrebalancent largement ceux de l'au-delà.

Eastwood, au sein d'un dispositif très simple permis par le genre fantastique, tente de trouver le surgissement de l'émotion lové au sein des plis de la souffrance et de l'histoire. Le dispositif adopté, le contact des mains entre medium et traumatisé, est à la fois très simple, sobre et efficace. Il délivre une émotion à chaque fois pure et touchante.

George n'est que quatre fois en situation de dialogue avec les morts : avec la femme de Christo, l'enfant perdu de Candace, le père de Mélanie et Jason. Le second contact, avec l'enfant de Candace, fait l'objet d'une ellipse. Ainsi, si l'on ajoute les deux brèves connexions de Marie et la première au cours de cuisine entre George et Mélanie ; cela ne fait que six très brèves séquences de dialogues avec les morts. Toutes identiques pour probablement moins d'une minute de film.

En revanche, les dialogues qui succèdent aux contacts brefs avec l'au-delà sont bien plus développés et tous réussis. Le premier use habilement de la révélation retardée du rôle du mot "June". Le second avec Mélanie, amorcé très artificiellement avec le message sur le téléphone, doit beaucoup au jeu de Bryce Dallas Howard, sans cesse tendue, survoltée et sensuelle dont la tension permanente s'effondre avec la révélation de son viol. Le troisième et dernier contact filmé, celui avec Marcus touche par sa justesse psychologique, par la résilience qu'elle offre au jeune garçon, exemple parfait des moments de grâce offerts chez Eastwood entre un fils et un père de substitution (Honkytonk man, Un monde parfait...)

Les longueurs de l'inutile épisode français

Les tourments auxquels est livrée Marie Lelay sont en revanche bien ternes. De son traumatisme post-mortem, elle ne fait que des comptes-rendus semblables à l'archétype ultra connu du contact avec les morts. On a bien du mal à croire qu'elle se convainc, comme le docteur Rousseau, qu'il puisse s'agir d'autre chose que d'un conditionnement. Sa prétendue capacité journalistique en prend un sérieux coup et l'on reste aussi septique que son éditeur Michael.

Plus consternant encore, l'aveuglement de Marie vis à vis du monde médiatique sans pitié que l'on aura bien du mal à assimiler à une naïveté enfantine.

Du coup, le film se dispersant et se diluant dans l'épisode français, perd de son intensité. La séquence finale est ainsi bien peu émouvante. Au-delà, en dépit de ses qualités, est un film un peu inutile dans la carrière du grand Clint Eastwood.

Jean-Luc Lacuve le 20/01/2011