"Il n'y a de vrai au monde que de déraisonner d'amour" (Alfred de Musset). Des jeunes gens parlent de leur difficulté à aimer n'en masquant pas les côtés dérisoires et ridicules et néanmoins tragiques.
Francis et Marie sont deux bons amis. Lors d'un dîner, ils rencontrent Nicolas, un jeune homme de la campagne qui débarque tout juste en ville. Sa beauté et son aisance les fascinent. Nicolas envoie des lettres à chacun d'eux, devient leur ami. Ils se laissent l'un et l'autre la possibilité de séduire Nicolas. Une soirée au théâtre pour Marie qui se termine pourtant mal : la pièce est mauvaise et le lieu choisi pour le diner d'après théâtre est déjà investi par Francis et ses amis. Francis se poste près d'un endroit fréquenté par Nicolas pour lui offrir, comme à l'improviste, un poster d'Audrey Hepburn amoureusement choisi.
Pourtant ni Francis ni Marie ne parviennent à se déclarer à Nicolas. Sans joie, ils font l'amour avec des amants de passage.
Nicolas entraîne ses amis dans une bibliothèque où il leur lit un passage des Fragments d'un discours amoureux de Barthes, dans une fête organisée pour son anniversaire et qui sera l'occasion pour Francis d'offrir un pull en cachemire orange et pour Marie un canotier chic. Au matin, la mère de Nicolas vient rendre visite à son fils, sorti avec Marie louer une voiture pour partir à la campagne et ne trouve que Francis, interrompu dans sa masturbation frénétique dans les vêtements de Nicolas.
Nicolas emmène donc Marie et Francis dans la superbe maison de campagne de son richissime père. La complicité entre Nicolas et Francis autour de chamalos partagés près du feu de camp irrite Marie qui se retire dans sa chambre. Au matin, s'apercevant que Nicolas et Francis ont passé toute la nuit à discuter, elle décide de partir. Francis essaie de la rattraper. Ils se battent. Nicolas décide de revenir en ville.
Chacun de leur coté, Marie et Francis tentent d'obtenir un rendez-vous avec Nicolas. Au cours de l'un d 'eux, Francis avoue difficilement à Nicolas qu'il l'aime. Celui-ci lui répond sèchement "Comment as-tu pu croire que j'étais gay ?" Marie n'a pas plus de chance. Ses coups de fils pour voir un film avec Audrey Hepburn ou sa lettre avec les poèmes de Miron ne trouvent pas d'écho. Lorsqu'elle croise Nicolas par hasard, celui-ci lui indique ne plus souhaiter la revoir
Un an est passé. Francis et Marie sont de nouveau amis. Dans une fête débarque Nicolas toujours aussi à l'aise après huit mois passés en Asie. Francis le rejette dans un cri désespéré. Marie le réconforte. Et puis, soudain, les deux amis sont fascinés par un bel invité et, d'un même pas, se dirigent vers lui.
Dans sa superbe mise en scène de fragments d'un discours amoureux, Dolan réussit un film à la fois évidemment brillant mais aussi parfaitement émouvant.
Les amours imaginaires n'est pas loin d'être la mise en image des Fragments d'un discours amoureux (1977) de Roland Barthes. Ce qu'Eisenstein avait projeté de faire avec Le capital, ce que Godard avait tenté dans Luttes en Italie en adaptant Idéologie et appareils idéologiques d'état de Louis Althusser, Dolan le réussit avec ces Amours imaginaires. Le texte de Barthes est cité deux fois. Une première fois dans la bibliothèque où Nicolas lit à ses amis le passage sur l'aspect toujours décevant de la demande d'un regard amoureux car jamais dirigé vers l'endroit d'où il est demandé. Plus explicitement encore, Barthes est repris lors de l'une des interviews où une jeune femme narre les états d'esprit successifs dans lesquels elle passe en attendant celui qu'elle aime et qui est en retard.
Plus notable encore, le sentiment du chagrin amoureux qui imprègne le texte de Barthes comme le film avec tous ses extraits musicaux beaux et tristes à pleurer. On retrouve également tout ce qui relève de la folie interprétative qui saisit l'amant au moindre signe de l'être aimé (un regard, une demande de rendez-vous, un pied posé contre le sien), le soin apporté au choix du cadeau vécu comme une déclaration d'amour (le chapeau ou le pull). Formidablement assumée enfin la forme fragmentaire, ou s'entrecroisent l'aventure des trois héros et les interviews aussi pleines d'humour qu'émouvantes ou les flashes culturels, (Bernard-Marie Koltes, Audrey Hepburn, le David de Michel Ange, les quatre poses figées dans les tons successivement rouge, vert, jaune et bleu de l'acte sexuel sur la musique de Bach).
Les ralentis magnifient la beauté de Nicolas et l'inscrivent dans la splendeur adolescente comme le fait, certes plus discrètement, Gus van Sant dans Elephant. Dolan rend aussi hommage au cinéaste de Last days dans la séquence de cache-cache dans la forêt. Les autres citations cinématographiques (Tarantino, Wong Kar wai, Honoré avec Louis Garel, son acteur fétiche) concourent aussi à l'aspect fragmentaire du film qui juxtapose ainsi émotion sur émotion.
Jean-Luc Lacuve le 11/10/2010