Monte, muni de son casque d'astronaute, répare l'un des panneaux de protection à l'extérieur du vaisseau spatial. Il est en relation avec son bébé, la jeune Willow, grâce à un interphone et répond ainsi à ses gazouillis ou ses cris. Lors de l'un d'entre eux, particulièrement fort, il en fait même tomber l'un de ses outils. Monte, revenu à bord, va "au rapport" devant son ordinateur. Le message qu'il enregistre au contenu très plat lui assure un jour de survie supplémentaire. Monte s'occupe ensuite de Willow, la change et l'amuse. Il prend bien soin de lui parler du tabou : on ne doit jamais manger sa pisse ou sa merde (si, si !). Monte et Willow sont désormais seuls à bord mais il n'en a pas été toujours ainsi. Monte passe devant la chambre de cryogénisation et, pris d'une impulsion soudaine, décide de passer par-dessus bord les cadavres de ses compagnons qu'il prend le temps d'emmitoufler dans leur scaphandre spatial souple. Il se souvient...
Le navire est en réalité une prison, où l’on a rassemblé des condamnés à mort qui ont accepté, en quête de rédemption ou, tout simplement pour ne pas mourir, de se prêter à un programme d’expérimentation spatiale. Le rapport qu'ils doivent effectuer quotidiennement leur assure un jour de survie supplémentaire. Le vaisseau n°7 du capitaine Chandra s’approche d’un trou noir pour en rechercher les sources d’énergie possibles qui seront sans doute bientôt taries sur Terre. La doctoresse Dibs est chargée d’appliquer les protocoles expérimentaux visant à créer dans l'espace des bébés par insémination.
Le capitaine Chandra est victime d'un AVC mortel. Du coup, Dibs s'autorise à prélever du sperme sur Monte pour remplir une éprouvette qu'elle introduit nuitamment dans le corps de Boyse. Une fois Willow née, Boyse se tue après avoir assassiné Mink à coups de pelle, pour prendre sa place dans la capsule en approche du trou noir. Mais comme elle n'y connait rien en conduite, elle se fait tuer par la gravitation dans la capsule qui revient automatiquement à bord du vaisseau n°7. Tcherny finit par se suicider dans le jardin écologique.
L'équipage s'étant ainsi entretué, Monte est resté seul avec Willow devenu une jeune fille. Il repousse sa tendresse qui pourrait devenir incestueuse car il sait ce qu'est un tabou. Il voit s'approcher le vaisseau n°9 mais c'est un vaisseau de chiens qu'il découvre. Le dernier espoir du père et de la fille est ainsi de foncer vers le trou noir désormais à portée de navette.
Alors que Claire Denis avait réussi avec Trouble every day un extraordinaire film fantastique, son film de science-fiction, qui garde des traces plastiques de 2001 l'odyssée de l'espace (Stanley Kubrick, 1968) et Solaris (Andrei Tarkovski, 1972) est hélas terriblement lent, lourd et démonstratif.
La dystopie d'un monde sans amour
Le scénario joue sur une vague trame de dystopie. Seul un intellectuel indien, interviewé dans un train, vient critiquer le problème de prisonniers condamnés à mort dont on se débarrasse en les envoyant dans l'espace pour une mission scientifique sans retour. Là les relations amoureuses y semblent interdites où passées de mode. Il ne reste plus qu'une chasteté qui donne une force morale extraordinaire à Monte. Ettore qui se rend coupable de voyeurisme et de tentative de viol est battu à mort. Il ne reste ainsi à chacun qu'une gymnastique masturbatoire épuisante dans la fuck-box.
Si l'amour entre adultes est refusé, reste l'amour du père pour sa fille mais qui cesse, tabou oblige, quand celle-ci devient adulte. Dès lors, le trou noir devient la seule solution.
Psychanalyse à tous les étages
Dibs, cheveux bruns descendant jusqu’aux reins, est une sorte de Médée. Elle est très fière d'être une vraie criminelle : elle a tué ses enfants et son mari sans avoir le courage de se tuer ensuite. Psychanalytiquement, elle répare en créant des bébés par éprouvette et ne jouit plus dans la fuck-box qu'avec un pénis en métal gainé de caoutchouc.
Des flashes-back espacés viennent nous renseigner lourdement sur le crime commis enfant par Monte. Il a tué sa compagne de jeu qu'il accusait d'être plus ou moins responsable de la mort de son chien. Le souvenir du chien perdu dans son enfance doit continuer à le hanter davantage que la mort de sa petite camarade car, lorsqu'il voit s'approcher le vaisseau n°9, c'est un vaisseau de chiens qu'il découvre. Sachant l'attachement à ses animaux trop exclusif, il refuse sous prétexte de contagion microbienne, d'en ramener un à sa fille. Monte digère plus ou moins la notion de tabou, celui de la merde ou de la pisse qu'on se doit de ne pas ingurgiter étant une initiation (un équivalent, un exemple !?) à celui de l'inceste.
Tcherny cherche à ce que sa femme et ses enfants soient fiers de lui après sa condamnation. Il va se ressourcer dans le jardin, sorte de paradis artificiel écologique, purement décoratif, car personne ne fait la cuisine. Il aime en fait mettre ses pieds dans la terre et trouvera ainsi plaisir à se suicider recouvert d'un linceul de terre.
A la fin, le père et la fille foncent vers un trou noir. Ce n'est que là qu'ils espèrent trouver l'espoir. Claire Denis a saupoudré son film de thèmes contemporains disparates sans chercher à en creuser les conséquences. Elle ne trouve ainsi que cette fin abrupte à l'épopée de sa boite d'allumettes géante flottant dans l'espace.
Jean-Luc Lacuve, le 16 novembre 2018.