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La cité sans voiles

1948

(The Naked City). Avec : Barry Fitzgerald (Lt. Dan Muldoon), Howard Duff (Frank Niles), Dorothy Hart (Ruth Morrison), Don Taylor (Jimmy Halloran), Frank Conroy (Capitaine Donahue), Ted de Corsia (Willie Garzah dit Willie l'Harmonica), House Jameson (Docteur Stoneman), Anne Sargent (Mme Halloran), Adelaide Klein (Mme Paula Batory), Grover Burgess (M. Batory). 1h36.

La ville de New York, une heure du matin. Une jeune femme, Jane Dexter, est assassinée par deux hommes. L'un des deux hommes, Backalis, est tué par son complice. L'enquête commence, menée par un vétéran des affaires criminelles, l'inspecteur Dan Muldoon, et un jeune inspecteur, Jimmy Halloran au commissariat du 10e district dans Chelsea. Ils interrogent le médecin de Jane Dexter, le docteur Stoneman, puis son amie Ruth Morrison. Jane sortait aussi avec Frank Niles, fiancé à Ruth Morrison. Niles, interrogé par la police, ment de toute évidence. Tout laisse penser à une affaire de vol. La bague de Jane, un saphir noir, avait été volée. Niles vend au docteur Stoneman un étui à cigarettes, volé aussi.

La bague de fiançailles de Ruth Morrison est un bijou volé également. Ils se rendent chez Niles qui vient d'être attaqué. L'agresseur s'enfuit, Niles est arrêté.

Le corps de Backalis est repêché. Par une série de coïncidences, les recherches se précisent : le suspect numéro un est un acrobate joueur d'harmonica nommé Willie Garzah. Halloran parvient à apprendre où habite Garzah. Le quartier est cerné par les hommes de Muldoon. Garzah s'échappe par les toits, vers le pont de Brooklyn. Cerné, il tire. Les policiers ripostent. Garzali est mortellement touché et tombe dans le vide.

C'est probablement au producteur Mark Hellinger que revient l'idée d'un tournage en environnement naturel combiné avec une approche semi-documentaire. Le genre policier sera un prétexte au producteur pour faire en définitive un portrait de la ville de New York. Le récit de l'histoire est confié à Malvin Wald qui veut une enquête réaliste et le script est fignolé par l'écrivain Albert Maltz, ami de Jules Dassin et qui sera lourdement condamné par le maccarthysme puisqu'il sera l'un des "Dix de Hollywood" emprisonnés pour outrage au Congrès. Même enthousiasme pour Jules Dassin qui déclara « J'ai accepté de faire Naked City en dépit de l'histoire... J'ai dit oui, si on me laisse tourner dans les rues de New York, dans des intérieurs réels, avec des inconnus".

Un documentaire sur New York superbement photographiée

Dès l’ouverture de The Naked City sur de superbes vues de Manhattan filmées d’hélicoptères, la voix-off du producteur commente le film pour un générique oral à la Sacha Guitry et une présentation de l'aspect innovant du film :

"Mesdames et messieurs, le film que vous allez voir a pout titre The naked city. Je m'appelle Mark Hellinger et je l'ai produit. Franchement il est un peu différent des films que vous avez pu voir. Il a été écrit par Albert Maltz et Malvin Wald, photographié par William Daniels et réalisé par Jules Dassin. Comme vous voyez, nous survolons une ile, une ville, une ville bien particulière. Voici l'histoire de plusieurs personnes et aussi l'histoire de la ville elle-même. Ce film n'a pas été tourné en studio. Au contraire, notre vedette, Barry Fitzgerald, Howard Duff, Dorothy Hart, Don Taylor, Ted de Corsia et les autres acteurs ont joué leur rôle dans les rues, les immeubles et les gratte-ciels de New York. A leurs côtés, des milliers de Newyorkais ont joué leur propre rôle. C'est la ville telle qu'elle est  : des trottoirs brulants, des enfants qui jouent, des maisons en pierre de taille, des gens sans fard. (Un fondu-enchainé sur des vues de nuit) Commençons notre histoire comme ceci : 1 heure du matin par une chaude nuit d'été. Voici le visage de New York endormie.. Autant que peut l'être une ville".

La voix off introduit alors le récit des métiers de nuit et du meurtre commis qui va entrainer l'enquête policière.

Pour ce premier film tourné entièrement en décors naturels dans les rues de New York, William Daniels innove en utilisant le plus possible des focales grand-angle pour dévoiler au maximum tous les recoins de la ville, met au point des projecteurs légers et souples d’emploi. Il utilise un camion avec miroir sans tain pour éviter que la foule ne regarde la caméra : les hommes et femmes qui se pressent dans le métro ; les enfants s’arrosant au milieu d'une rue surchauffée ; les jeunes filles faisant du lèche-vitrines...

Un film de détectives

A l’aspect documentaire du portrait d'une ville se mêle l'aspect documentaire d'une enquête de police. Le film suit les policiers dans leur fastidieuse enquête dans toutes sortes de lieux (pharmacie, bijouterie, bureaux des policiers) et à différents moments de la journée. Ce travail, presque scientifique, lent, consciencieux, patient, laborieux valorise la police de New York qui n'a alors pas toujours bonne réputation. Le maire et la police de la ville sont d'ailleurs remerciés dans le générique final.

L'action est menée par un duo attachant. Le lieutenant Muldoon est un vétéran avec ses trente-huit ans de service dont vingt-deux ans au sein de la Brigade Criminelle. Barry Fitzgerald, y interprète un vieux flic solitaire irlandais qui chantonne le matin chez lui en se faisant son petit déjeuner. Il sert de mentor bienveillant au jeune lieutenant Jimmy Halloran, époux d'une jolie brune et père d'un jeune garçon turbulent à souhait

Le 4 mars 1948, Universal sort le film à New York sans le promouvoir dans sa campagne pour les Oscars. Les dirigeants sont les premiers surpris lorsque le film de Jules Dassin reçoit trois nominations. William H. Daniels est récompensé pour la photographie en noir et blanc, Paul Weatherwax pour le montage alors que Malvin Wald était aussi nominé pour l'histoire originale.

Jules Dassin, déçu que son film ait été remonté par le producteur tournera néanmoins Thieves' Highway avec lui, dans les rues de San Francisco cette fois. Puis, sur le point d'être inquiété pour ses prises de positions gauchistes, il s'expatrie et part pour l'Angleterre où il tourne Les Forbans de la nuit.

Premier film tourné en décors naturel aux états-unis, contemporain d'Allemagne, année zéro (Roberto Rossellini), La cité sans voiles est parfois qualifié pour ces raisons de film néoréaliste américain. Il n'en a toutefois pas la modernité, la radicalité d'une situation trop stupéfiante pour permettre une réaction des personnages par une action qui en changerait le cours. Bien au contraire, il ne s'agit pas même d'un film noir ou interviendrait un destin tragique (si on excepte le beau rôle de Ted de Corsia mourant du haut du Williamsburg Bridge, tel King Kong abattu du haut de l'empire state building). The naked city est en effet un simple, mais plaisant film de détective qui vaut principalement pour ses décors et sa superbe photographie.

Jean-Luc Lacuve le 31/03/2016

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