Hollywood, vers 1950. Il est 4h00 du matin et Eddie Mannix se confesse d'avoir trompé sa femme... en lui mentant au sujet de deux cigarettes qu'il a fumées alors qu'il avait promis d'arrêter. Eddie Mannix est fixeur chez Capitole, un des plus célèbres Studios de cinéma de l’époque. Il y est chargé de régler tous les problèmes inhérents à chacun des films produits sur les quinze plateaux. Un travail qui ne connaît ni les horaires, ni la routine. Ainsi doit-il, dès cinq heures, empêcher Gloria DeLamour, une starlette de faire des photos compromettantes pour sa carrière... et la réputation du studio. Il doit gérer les susceptibilités des différentes communautés religieuses, pour pouvoir valider l'adaptation de la Bible en Technicolor, la fameuse superproduction biblique Ave César avec la grande star du studio, Baird Whitlok. Mais celui-ci est drogué sur le plateau et enlevé par un obscur groupuscule d’activistes politiques qui réclament bientôt une rançon pour son enlèvement : 100 000 dollars à cacher sur le plateau 8.
Eddie Mannix doit aussi calmer la colère du précieux réalisateur vedette Laurence Laurentz qui n’apprécie que modérément qu’on lui ait attribué le jeune espoir du western, Hobie Doyle, comme tête d’affiche de sa prochaine comédie sophistiquée. Il doit aussi sauver la réputation et la carrière de DeeAnna Moran, la reine du ballet nautique qui attend un enfant. Il doit aussi essayer de juguler les ardeurs journalistiques des deux jumelles et chroniqueuses ennemies, Thora et Thessaly Thacker qui veulent publier des révélations sur le premier film de Baird Whitlok mis en scène par Laurence Laurentz, L'envol des aigles. Eddie Mannix doit aussi dans la journée répondre à la sollicitation des dirigeants de Lockheed qui veulent l'embaucher.
C'est Hobie Doyle qui, profitant d'une soirée de gala avec Carlotta Valdez, découvrira que le chef communiste ayant ravi la rançon n'est autre que le virtuose des claquettes, Burt Gurney. Celui-ci quitte le sol américain dans un sous-marin. Les écrivains communistes lui lancent la rançon mais il la laisse tomber pour se saisir de son chien. Hobie Doyle en profite pour ramener Baird Whitlok au studio encore sous le coup des révélations du fonctionnement du système capitaliste mais qui se fait vertement tancer par Eddie Mannix. Tant est si bien qu'il va sur le plateau pour la bouleversante scène de conversion aux pieds du christ crucifié.. où il oublie le denier morde son texte.."Foi". Mannix lui a toujours foi en son métier et, renonçant à l'offre de Lockheed, repart pour une nouvelle journée de travail, sa secrétaire Nathalie toujours sur ses talons.
Barton Fink (1990), la précédente incursion des Coen dans l'univers hollywoodien en faisait un petit monde cauchemardesque, truffé de clichés desquels le scénariste-écrivain restait prisonnier. Film maniériste mais doté d'une réelle épaisseur psychologique et critique somme toute classique d'Hollywood, Barton Fink avait plus de chances de plaire qu'Avé César, bien plus formaliste. Ici l'usine à clichés est joyeusement assumée... tant qu'on a la capacité de la dépasser par la mise en scène.
Dépasser le scénario par la mise en scène
Le film se déroule sur deux jours avec deux intrigues principales. La première concerne la folle journée de Mannix qui doit décider s'il quitte le studio Capitole pour l'avionneur Lockheed alors que s'accumulent les problèmes à régler. La seconde est celle de la journée, toute aussi folle, de Baird Whitlok qui aura la révélation de la machinerie du système capitaliste par un groupe de scénaristes communistes qui l'a enlevé. Ni l'un ni l'autre, connaissant pourtant la puissance mensongère, corruptrice et manipulatrice du cinéma, n'y renonceront. Tout juste Whitlok aura-t-il du mal à prononcer, une fois seulement sans doute, le mot foi. Cette même foi dans le cinéma que garde Mannix au prix de sa vie de famille sacrifiée et d'une offre de l'avionneur bien plus avantageuse financièrement.
Lorsqu'on lui fait cette offre qui lui simplifierait la vie, Eddie interroge le prêtre au confessionnal : "Est-ce un péché de choisir ce qui est simple ?" Oui sans doute car cette voie trop droite vers la technologie est aussi celle qui, sans conscience, amène à la bombe H dont une photographie d'explosion est exhibée avec fierté! Le "Would that it were so simple", tournure littéraire et un peu archaïque pour dire "si seulement ça pouvait être aussi simple" que tente de faire prononcer Laurentz à Doyle est aussi redoublé par dans la répétition, jamais réussie, de la fameuse phrase qu'il conviendrait de dire simplement. Finalement, ce sera le drolatique "C'est compliqué" qui sera retenu.
Toute création nécessite un détour, un renoncement au vrai et au simple. Mais cette fausseté intrinsèque de l'industrie hollywoodienne n'empêche donc pas que l'on tombe sous son charme. Et c'est donc en recourant au faux que les frères Coen lui rendent hommage avec des moments de spectacle "too much" intégrés au déroulé de l'histoire comme des moments musicaux pouvaient l'être dans les comédies musicales de la grande époque. La séquence de claquettes renvoie à de nombreux numéros avec Gene Kelly, Un jour à New York (Stanley Donen, 1949) ou La jolie fermière (Charles Walters, 1950) où Gene Kelly danse sur des journaux comme Burt danse sur des nappes de table. Le "too much" est ici réduit au passage, fort peu en contrebande, de l'homosexualité masculine avec la courte allusion à la sodomie des marins qui vont s'embarquer sans femme. La première sirène (Mervyn LeRoy, 1952) est le modèle des ballets de DeAnna Moran mais les trucages numériques magnifient la chorégraphie et les feux d'artifice d'écume blanche. La séquence de western de Hobie Doyle est encore bien plus virtuose que celles des premières bobines des westerns avec Tom Mix. Sa reconversion dans la comédie sophistiquée "Dansons gaiement" pourrait rappeler le passage de Gary Cooper des westerns à La huitième femme de Barbe-bleue (Ernst Lubitsch, 1938). Le scénario d'Avé César se rapproche de celui de Ben-Hur (William Wyler, 1959) ou de La tunique (Henry Koster, 1953) où un centurion est confronté au Christ.. mais avec le cabotinage virtuose de George Clooney. Des détails scénaristiques enfin renvoient à des films célèbres : Eddie évite un chantage aux photos compromettantes à la starlette Gloria DeLamour comme Phillip Marlowe au début du Grand sommeil (Howard Hawks, 1946), le chien de Burt Gurney lui fait perdre la valise d'argent comme le chien de l'aéroport dans L'ultime razzia (Stanley Kubrick, 1956) jetait la valise à terre ; auto-référence enfin avec les studios Capitole déjà vus dans Barton Fink.
Ceci n'est pas une histoire vraie
Les personnages principaux sont ainsi souhaités sans épaisseurs même si les Coen ont le culot de s'appuyer sur le personnage réel et controversé de E. J. Mannix (1891–1963) tout en évitant de présenter leur film comme inspiré d'un fait réel. Producteur de la Metro-Goldwyn-Mayer, E. J. Mannix n'a produit que quatre films et était surtout connu par son surnom "The Fixer" car il avait la réputation de régler tous les problèmes causés par les employés et les stars récalcitrantes ou capricieuses du studio qui pouvaient mettre sa réputation en danger. Il n'est dès lors ici pas question de croire en des archétypes d'idiots comme les Coen savent les construire : Jerry Lundegaard et Carl Showalter dans Fargo (1996), The Dude dans The big Lebowski (1997) ou Harry Pfarrer dans Burn after reading (2008). En revanche c'est dans le foisonnement, le périphérique et le baroque que les Coen excellent : le petit groupe de communistes entreprenants et satisfaits d'Avé César est à la hauteur des nihilistes de The big Lebowski ou les espions de Burn after reading.
Reprenant les thèses de Jean Baudrillard exprimées dans Les stratégies fatales (1983), les Coen font la démonstration que c'est en cherchant à aller plus loin dans la fausseté d'un système qu'on en découvre sa vérité : sa capacité à nous émerveiller par la virtuosité de sa mise en scène.
Jean-Luc Lacuve le 23/02/2016