1919. le train du cirque des frères Medici, en fait du seul Max, traverse les Etats-Unis depuis Sacramento en Floride, jusqu'à Joplin dans le Missouri.
Milly et Joe, attendent leur père, Holt Farrier qui revient de la guerre. Ils constatent qu'il a perdu un bras. Holt espère néanmoins reprendre son numéro de cavalier. Mais Max le ramène à la dure réalité : le cirque a périclité et les chevaux sont vendus. Comme travail, il lui propose de s'occuper des éléphants. Madame Jumbo, sa dernière acquisition, attend en effet un éléphanteau qui devrait attendrir le public, espéré donc en grand nombre.
Holt n'a pas d'autre choix que d'accepter. Sa femme est morte un an auparavant de la grippe espagnole et il ne sait guère comment parler à ses enfants. Milly, adolescente intelligente et obstinée, refuse d'apprendre un numéro car elle veut quitter le cirque et devenir scientifique. Joe, son jeune frère, aimerait se produire sous le chapiteau mais ne manifeste aucun talent. De la luxueuse tente familiale d'autrefois ne subsiste plus qu'un lieu vide. Holt doit de plus affronter Rufus Sorghum, le méchant dresseur d'éléphants qui lui en veut de prendre sa place et n'a aucune pitié pour Madame Jumbo.
Quand le bébé de madame Jumbo naît, c'est la déception : ses oreilles démesurées sont particulièrement laides. Il risque d'être la risée du public. Mais Milly et Joe, attendris par l'éléphanteau, découvrent que ce dernier sait voler. Il suffit de déclencher cette capacité en lui faisant aspirer une plume dans la trompe. Ils n'en disent cependant rien à personne.
L'annonce ayant été faite de la présence de l'éléphanteau avant que Max ne découvre la catastrophe de ses oreilles, le public est nombreux à se presser au spectacle. Le bébé est présenté dans un landau avec les oreilles camouflées. Mais attiré par une plume, l'éléphanteau tombe du landau et déséquilibre les lettres de l'inscription "bébé jumbo". Celles-ci sont déplacées : le j tombe et le b du haut tourne sur lui-même faisant apparaître le nom "Dumbo" en même temps que le public s'esclaffe et proteste devant ses grandes oreilles. Les éléphants apeurés par les cris de la foule trépignent et font trembler les structures du cirque. Holt parvient à les calmer mais Rufus vient avec son fouet et provoque la catastrophe, le chapiteau s'effondre et Rufus est tué.
Max est désespéré et revend Madame Jumbo à Hans Brugelbecker pour la moitié de son prix. De leur coté, Milly et Joe promettent à Dumbo le retour de sa maman s'il parvient à enrichir le cirque en volant. Max retrouve retrouve ainsi l'espoir et propose un numéro avec Dumbo en vedette. Il est chargé d'éteindre l'incendie simulé d'une façade d'immeuble en s'élevant sur une grande échelle de pompiers puis de prendre son envol. Du coup, le spectacle est un triomphe et fait la une des journaux.
C'est alors qu'intervient V. A. Vandevere, célèbre promoteur de spectacles, qui propose à Max de s'associer avec lui s'il lui amène Dumbo comme clou de son spectacle. Il lui fait aussi la promesse d'engager toute sa troupe. Ce sera la trapéziste française Colette Marchant, que Vandevere affiche comme sa compagne, qui partagera la vedette avec Dumbo.
Colette, Holt et Milly et Joe travaillent à mettre au point le numéro dans une complicité qui va croissante. Lors du spectacle, Holt proteste avec vigueur contre l'absence du filet de sécurité. En lançant une corde, il sauve Colette de justesse. Dumbo après son vol aérien est en effet allé retrouver sa maman dont il a reconnu le cri depuis la partie sombre du parc de Dreamland : "île aux animaux" où éléphants, loups et crocodiles sont maquillés en bêtes féroces et tenus derrière des barreaux pour effrayer les visiteurs.
Le spectacle est un échec qui entraîne le retrait du banquier. Vandever décide de licencier la troupe de Max et de tuer Madame Jumbo. Holt se révolte alors et décide de sauver Madame Jumbo et de libérer Dumbo. Lors du spectacle, il perce la toile du cirque permettant à Dumbo et Colette de fuir alors que la troupe de Max s'empare du camion venu emporter Madame Jumbo. De rage, Vandever incendie son propre parc. Toute la grande famille du cirque, autour de Colette et de Holt, Milly et Joe Ferrier, se retrouve au port pour voir Dumbo et sa maman s'embarquer pour l'Afrique.
Max est maintenant à la tête du cirque de "La famille Medici". De leur coté, Dumbo et sa maman ont retrouvé l'Afrique et leurs congénères.
Après Alice au Pays des merveilles, c'est la seconde fois que Tim Burton reprend un dessin animé de Disney pour faire un film en prises de vues réelles en utilisant aussi les techniques de numérisation modernes. Cette invention technique est pourtant paradoxalement mise au service d'un éloge de la vie de bohème par rapport aux parcs d'attractions formatés et sophistiqués. Comme lors de son précédent essai, Tim Burton s'éloigne fortement du modèle classique. Contrairement au Dumbo de 1941 : les animaux ne parlent plus et la souris Timothée est remplacée par toute une galerie de personnages. La famille Farrier, Vandevere, Colette, la troupe du cirque créent un conte à la modernité inquiétante, en adéquation avec l'imaginaire de Tim Burton tout à la fois nostalgique, somptueux et attachant où la liberté est la valeur première.
Une modernité inquiétante
Si le film est en prise de vue réelle, il s'accompagne de techniques numériques qui parsèment le film de moments fantastiques : l’intérieur d’un tunnel qui se pare des couleurs d’un chapiteau de cirque, les éléphants en images de synthèse avec les les différents vols aérien de Dumbo, la création de Dreamland, ou les éléphants roses sous forme de bulles.
Tim Burton a néanmoins une méfiance certaine pour la technologie. Ses savants sont soit irresponsables, soit de véritables fumistes (le dandy poseur et fumeur de pipes de Mars Attacks!). Le progrès technologique n'engendre en tout cas pas dans ses films une amélioration de la condition humaine. Au rationalisme, il préfère l'imaginaire, synonyme de liberté. Le train, invention du XIXe, est filmé sous son aspect merveilleux au tout début, lors des voyages de Sacramento à Joplin. Bien vite cependant, intervient la guerre qui prive Holt d'un bras. Celui-ci avec sa main dorénavant constituée d'une prothèse en mousse rejoint la lignée des héros burtoniens aux mains malhabiles, à l'écart de la normalité, fragiles et nostalgique d'un amour qui leur parait devoir leur être refusé désormais.
Les héros de Burton ne peuvent s'adapter au capitalisme triomphant : ce sont des mélancoliques profonds et des dépressifs inguérissables. Max s'est inventé un frère et cache un singe dans son tiroir. Holt, privé d'un bras, s'assume mal comme père. assis sur sa selle, il contemple le coucher de soleil dans une solitude qui rappelle celle que l'on éprouve devant le Coucher de soleil sur la voie ferrée (Edward Hopper, 1929). Colette lui fera pourtant remarquer qu'il n'a pas besoin d'être un père parfait mais d'un père qui soutient ses enfants dans leur projet.
Preuve s'il en est de cette nostalgie assumée, si Burton reprend les plus célèbres thèmes musicaux de la version de 1941 dont When I See an Elephant Fly et Pink Elephants on Parade, seul l'attendrissant Baby Mine est chanté avec ses paroles. La version d'Arcade Fire bénéficie d'une mise en musique au coin d'un feu de camp par Miss Atlantis et Puck lorsque Dumbo vient retrouver sa maman qui l'enlace, de sa trompe seulement, car elle est enfermée avant d'être vendue le lendemain.
Destruction par le feu du capitalisme
Chez Disney, Dumbo, une fois qu'il avait appris à voler, restait le roi du cirque. Burton rajoute une seconde partie où le cirque est racheté par Vandevere. Il multiplie ainsi par deux la durée du film initial. La partie inventée avec Vandevere décrit le cynisme du capitalisme moderne, plein de promesses ambiguës (contrat d'embauche sans indication de durée), de femme considérée comme une parure, et d'employé des basses oeuvres.
Dans Dreamland, les inventions technologiques du XXe siècle présentées initialement dans un univers bourgeois confortable sont remises en cause lorsqu'elles se dérèglent en une frénésie cauchemardesque. C'est dans le parc de Dreamland que l'on retrouve l'expressionnisme néogothique de Burton, les animaux fantastiques, les méchants (Vandever, cynique et colérique, et son âme damnée, Neils Skellig) et puis la destruction en règle du parc d'attraction moderne, incendié de toutes parts et qui finit dans un immense brasier.
Débarrassé du cauchemar capitaliste et des parcs d'attraction à la Disney, Burton veut bien retrouver alors le même message que dans le Dumbo de Disney : se dépasser pour atteindre son rêve. La clé ou la plume ne servent à rien, il suffit de croire en soi. Et le film se clôt sur l'éloge de la famille : Colette devient la femme de Holt et nouvelle mère de Milly et Joe. C'est au sein de la "Famille Medici" que Milly fera vivre les inventions des autres, proposera de les faire comprendre. Le second cercle de la famille est composé des personnages hors normes et attachants chers à Burton : Pramesh Singh, le dresseur de serpents, Rongo, l'homme fort et polyvalent, Miss Atlantis et Puck.
En revanche, pas question de faire famille avec les animaux sauvages. Ceux-ci sont rendus à leur domaine naturel : Madame Jumbo et Dumbo retrouvent la jungle de leurs congénères. La liberté d'être soi-même, sans servitude d'aucune sorte, est la première des valeurs de Tim Burton.
Jean-Luc Lacuve, le 11 avril 2019