Alice, petite fille de six ans, fait toujours le même cauchemar. Son père la rassure, elle n'est pas plus folle que tous les gens bien et un pincement suffit à réveiller d'un cauchemar.
Désormais âgée de 19 ans, Alice, qui a perdu son père, doit se fiancer avec un aristocrate niais et suffisant. Elle fuit la cérémonie et se retrouve dans le monde fantastique qu'elle découvrit dans ses cauchemars d'enfant. Elle y retrouve ses amis le Lapin Blanc, Tweedledee et Tweedledum, le Loir, la chenille et le chat et, bien entendu, le Chapelier Fou. La jeune fille se lance alors dans une aventure extraordinaire au cours de laquelle elle accomplira son destin : mettre fin au règne de terreur de la redoutable Reine Rouge...
"Ce n'est pas la vraie Alice !" ne cesse de répéter Mac Twisp, le lapin blanc, Mallymkun, le loir, Tweedledee et Tweedledum et Absolem la chenille bleue alors qu'Alice est revenue parmi eux, treize ans après sa première venue dont elle ne garde aucun souvenir. "Ce n'est pas la vraie Alice !" se plaindront aussi les spectateurs qui voudraient retrouver tel quel le dessin animé de 1951. "Ce n'est pas le vrai Burton" se plaindront enfin ceux qui ne voient dans cette nouvelle adaptation du conte de Lewis Carroll que l'occasion de recycler un décor sans que Tim Burton ne penne soin de ses personnages.
Triple reproche pourtant injustifié puisque de savoir "qui est Alice ?" est justement le sujet du film et que ce n'est qu'à la fin du parcourt que l'on découvrira cette vraie Alice. Si Burton s'éloigne du dessin animé de 1951, c'est qu'il adapte aussi le conte suivant de Carroll, A travers le miroir transformant une succession d'aventures loufoques en un roman d'initiation avec aventures et affrontements. Enfin, si l'on retrouve nombre d'allusions aux anciens films de Burton, celui-ci prend la peine de dessiner une héroïne qui agit et se transforme.
D'un conte sur le non-sens au film d'aventures...
C'est le poème Jabberwocky qu'Alice lit dans le premier chapitre d'A travers le miroir qui fournit une grande partie de la matière de la fiction du film. Elle devra se préparer pour "le jour frabieux" où elle affrontera le Jabberwocky, animal terrible à qui la reine rouge doit tout son pouvoir même si elle est aussi aidée par l'oiseau Jujube, et le griffu Bandersnatch.
Ces animaux terribles que l'on ne connaissait pas dans Alice au pays des merveilles et qui ne sortent pas du poème dans le conte de A travers le miroir, Burton les fait se rencontrer dans le film et construit ainsi une fiction qui n'est plus une suite de rencontres où prédominent le non-sens mais un monde farfelu où les êtres marginaux parviennent à se trouver une identité.
A contrario, Tim Burton a coupé dans le bestiaire infini d'Alice au pays des merveilles. Il a gardé le loir mais éliminé la souris, le canard, le Dodo, le Lori, l'Aiglon, Bill le lézard, le pigeon, le lièvre de mars, le Griffon, la simili-tortue.
On retrouve des éléments de décors familiers du gothique de Tim Burton : les buissons taillés, le château et le père bienveillant et mort trop tôt proviennnent d'Edward. Les grosses têtes et la soif de destruction (coupez-lui la tête !) de Mars Attacks. Le personnage d'Ilosovic Stayne, le valet de coeur, fait penser au cavalier inquiétant coupeur de têtes de Sleepy hollow. Têtes coupées que l'on retrouve dans les douves du château.
...comme une ode à la plussoyance
Burton reconstruit donc un monde à la mesure des romans d'initiation adolescent que furent Beetlejuice , Edward aux mains d'argent ou Sleepy Hollow. L'opposition est toujours très marquée entre un monde très noir, celui de la reine rouge ou plutôt de son valet de coeur et celui presque trop blanc de la reine Blanche. Mais au milieu, c'est le no man's land du domaine d'Alice et surtout du chapelier. Celui-ci, étrangement lié à la reine blanche, a vu son monde s'écrouler d'un coup et ne rêve que de danser à nouveau. Jamais, il n'est présenté comme un amoureux possible d'Alice.
Burton réussit donc une fois de plus à dépasser l'univers archaïque et inquiet pour imposer une morale extrêmement nette qui creuse les contes et les légendes pour en révéler le vide intérieur. Seul importe, en guise de morale aussi bien que d'esthétique, de faire tenir ensemble les personnages les plus disparates possibles qui ne pourront que s'inventer une morale nouvelle, celle du centre ayant disparue.
Alice comme tous les héros de Burton ne rejoindra jamais le monde sinistre des gens, bourgeois ou aristocrates, qui occupent la place, qui occupent le centre, acceptant les conventions et s'y ennuyant (Dans le roman de Carroll, Alice s'ennuyait auprès de sa sur, ici son fiancé fricote avec une autre femme).
Alice devra affronter son destin, cesser de dire non à la violence pour devenir la vraie fille de son père, se transformer tel le chat et le papillon et devenir une aventurière. Les principales étapes en seront le vol sur le chapeau, le cheminement sur le Bandersnatch, le combat contre le Jabberwocky, autant d'épisodes qui ne sont jamais étirés en longueur mais des moments poétiques de plussoyance, moment d'envol de la jeunesse et de douceur des matières.
Jean-Luc Lacuve le 29/03/2010
Jabberwocky de Lewis Carroll
(poème dans le chapitre premier d'A travers le miroir, traduction
de Henri Parisot)
`Twas brillig, and the slithy toves "Beware the Jabberwock, my son! He took his vorpal sword in hand: And, as in uffish thought he stood, One, two! One, two! And through and through "And, has thou slain the Jabberwock? `Twas brillig, and the slithy toves |
Il e'tait grilheure; les slictueux toves «Prends garde au Jabberwock, mon fils! Le jeune homme, ayant pris sa vorpaline épée, Or, comme il ruminait de suffêches pensées, Une, deux! Une, deux! D'outre en outre! «Tu as donc tué le Jabberwock! Il e'tait grilheure; les slictueux toves |