Les destinées sentimentales

2000

D'après le roman Porcelaine de Limoges de Jacques Chardonne. Avec : Charles Berling (Jean Barnery), Emmanuelle Béart (Pauline), Isabelle Hupert (Nathalie), Olivier Perrier (Philippe Pommerel), Julie Depardieu (Marcelle), Dominique Reymond (Julie Desca), André Marcon (Paul Desca), Jean-Baptiste Malartre (Frédéric Barnery), Mia Hansen-Løve (Aline). 2h59.

La bourgeoisie charentaise et limousine protestante de la fin du XIXe siècle. Philippe Pommerel est un fabricant de cognac, très croyant. Il appartient à la famille Barnery par sa femme, disparue et apprécie Jean Barnery le pasteur de Barbazac, neveu de Robert Barnery le propriétaire des Porcelaines de Limoges. Jean Barnery vient de renvoyer son épouse, Nathalie, dont la rumeur dit qu'elle est infidèle mais qui est surtout trop rigide, incapable d'être heureuse; et qui accepte à regret mais docilement de partir avec sa fille .

Pauline, la fille du frère de Philippe Pomerol, décédé en Égypte après avoir suivi l'amour de sa vie, vient habiter chez son oncle à Barbazac. Pauline s’accoutume mal à ce monde, empreint de convenances, de restrictions, de conservatisme, de froideur. Elle est attirée par Jean Barnery, ce pasteur un peu désincarné, qu’elle ne parvient pas à appeler par son prénom. Jean torturé par le remord d'avoir abandonné sa femme la rappelle près de lui. Pauline s'en va travailler à Paris. Mais Jean s'aperçoit bien vite de son erreur et renvoie une seconde fois Pauline, cette fois en demandant le divorce. Il lui lègue toute sa fortune ainsi qu'à sa fille. Il tombe gravement malade.

Pauline vient à son chevet et ils décident de partir en Suisse où ils se marient. Ils vivent heureux jusqu’aux cinq ans de leur fils, Félix. Mais Robert décède et, par testament, il donne la gérance de la fabrique à Frédéric que tous considèrent comme en étant incapable, notamment Julie, la fille de Robert, mariée au pragmatique Paul Desca. Au grand chagrin de Pauline, Jean accepte d'assumer ce qu’il croit être son devoir familial et social en prenant les rênes de l'entreprise.

Il devient un homme d’affaires, plongé dans les nécessités des restructurations industrielles, des calculs de coût, des choix de la clientèle. La guerre de 14 vient cependant interrompre ses efforts. Il se durcit dans cette guerre atroce et en rentrant fait peu de cas de Pauline. Puis c'est la crise de 1929 qui lui retire la clientèle américaine. Il ne doit la survie de son usine qu'au recours aux licenciements et au "service céladon". Alors que la reprise s'annonce, Jean qui n'a pu finir sa nouvelle fabrique doit faire face à une concurrence toujours plus  vive mais trouve dans le "service ivoire", aussi simple que luxueux le salut pour l'entreprise. Il se blesse au genou qui réveille une vieille blessure l’entrainant vers la mort. Pauline qui l'a toujours soutenu ne quitte pas son chevet et il reconnait, « Il n’y a pas de vie perdue quand on a aimé (…) L’amour… il n’y a rien d’autre dans la vie… rien ».

Les destinées sentimentales est une fresque intimiste qui suit un couple pendant une trentaine d'années. L'ampleur est très éloignée de 1900 ou du Guépard avec une réflexion humaniste sur les rapports de classes, entre patrons et ouvriers, qui reste de l'ordre de la discussion oiseuse, du fait qu'on ne quitte jamais le camp Barnery. Le sens du travail, sa place dans la société, la conception de l’entrepreneur dans une société déjà un peu mondialisée, ne sont basés que sur le travail de Jean Barnery. Les ouvriers sont tout juste capables d'une émeute. Pareillement l'histoire d'amour reste conventionnelle; Pauline amoureuse et dévouée dont le mari n'entrevoit la grandeur que lorsqu'il la voit grimper au cerisier. Les échappées lyriques permises par la nature seront plus convaincantes dans les films ultérieurs d'Assayas.

La composition de Charles Berling tend vers le cabotinage, alors qu'Emmanuelle Béart joue perpétuellement le ton en-dessous et la mine boudeuse, confiante dans son sourire. Tous les seconds rôles, notamment Isabelle Hubert ou Mia Hanson-Love, sont plus réussis et font du film une fresque décorative agréable... mais c'est tout.

Jean-Luc Lacuve, le 2 septembre 2021