Automne 1988. Kat Connors a dix-sept ans lorsque sa mère disparaît sans laisser de trace. Alors qu’elle découvre au même moment sa sexualité, Kat semble à peine troublée par cette absence et ne paraît pas en vouloir à son père, un homme effacé.
Peu à peu cependant, ses nuits sont peuplées de rêves où elle erre dans le blizzard retrouvant sa mère dans la même position qu'elle l'avait découverte, allongée sur son lit, peu de temps auparavant. Elle consulte alors la doctoresse Thaler, une psychologue qui ne croit pas à l'interprétation des rêves et vis à vis de laquelle elle a l'impression de jouer un rôle. Elle évoque néanmoins avec elle ses premières années avec sa mère, leurs jeux complices sous les draps, les gâteaux cuisinés ensemble, puis la révélation que ses parents ne s'entendaient pas, le père cachait des revues érotiques dans un coffre au sous-sol pendant que sa femme faisait chambre à part. Elle se souvient pourtant, émerveillée, comment les femmes de son bureau admiraient son père. Adolescente sa mère devint jalouse d'elle, l'observant se maquiller dans la salle de bain et jouant les intruses lorsque Kat était avec son petit copain, Phil. Celui-ci, son voisin qu'elle méprisa immédiatement lui permit néanmoins de perdre sa virginité.
Sa mère disparue, Kat confie à ses amis Beth et Mickey, que Phil semble se détacher d'elle. En manque de sexe, elle s'en va provoquer le détective Scieziesciez, la quarantaine virile, qui devient son amant.
Printemps 1991. Kat a maintenant 20 ans et poursuit ses études à l'université de Berkeley. Lassé de son petit ami trop parfait, elle rentre pour de courtes vacances chez son père. Celui-ci est heureux de lui annoncer qu'il a une nouvelle petite amie, May.
Kat revoit Phil qui se montre distant et son amant, Scieziesciez. Elle lui avoue être toujours travaillée par le souvenir de sa mère et celui-ci lui confie qu'une enquête approfondie avait été menée trois ans plus tôt laissant penser que son père avait tué sa mère qui, selon la voisine, aurait eu un amant. Kat est bouleversée par cette révélation d'autant plus qu'elle pressent que Phil aurait bien pu être cet amant. Quand elle confie ses doutes à Beth et Mickey, ceux-ci n'en sont guère étonnés ayant pressentis cela depuis longtemps. Alors qu'ils se dirigent vers le congélateur pour en extraire des glaçons, ils constatent qu'il est fermé par un cadenas. Le père vient alors faire une scène aux adolescents, intimant à Beth et Mickey l'ordre de partir.
Kat est en colère mais, alors qu'elle raccompagne ses amis, voit Phil rentrer de nuit et le supplie de lui dire la vérité; Phil affirme ne rien savoir mais lui demande d'interroger son père qui, dit-il, connait la vérité. Le lendemain matin, Kat passe devant la porte de la chambre de son père qu'elle découvre, allongé près d'une bouteille d'alcool. S'armant de courage, se rappelant la combinaison de la clé du coffre aux journaux érotiques, elle ouvre le congélateur... et ne découvre que des légumes. Elle interroge son père, alerté par le bruit, qui nie toute implication dans la disparition de sa femme. Père et fille se séparent à l'aéroport, silencieux et gênés.
Dans l'avion qui la remmène vers Berkeley, Kat dit que c'est la dernière fois qu'elle revit son père vivant. Quelques temps après, celui-ci, saoul, avoua avoir tué sa femme. Elle l'avait surpris dans la chambre à coucher avec Phil. Ne supportant pas son rire méprisant, il l'avait étranglée. Il l'avait enterrée le soir de la tentative d'ouverture du congélateur. Dans la tombe creusée en forêt, on ne découvrit presque plus rien d'un corps qui s'était immédiatement décomposé. Kat regardant les nuages affirme qu'elle s'attend dès lors a toujours pouvoir revoir sa mère. Elle est là pour elle comme sa mère fut là pour elle-même étant enfant.
White bird est l'histoire d'un déni de l'amour d'une fille pour sa mère. Mais peu à peu, ses nuits peuplées de rêves, vont l'affecter profondément et l’amener à s’interroger sur elle-même et sur les raisons véritables de la disparition réelle et symbolique de sa mère. La profondeur des rêves révèle alors la profondeur de cet amour que les pulsions et préoccupations adolescentes avaient fait oublier. La mise en scène d'Araki est construite sur ces jeux délicats de rimes et de réminiscences, subtilement disséminées dans des décors baroques et chatoyants.
Chatoiement de l'adolescence et névrose de l'âge adulte
White bird est l'adaptation d'un roman de Laura Kasischke mais Gregg Araki le transpose en Californie, transforme les amies de Kat en excentriques marginaux. Ce sera Beth, une noire obèse qui s'assume interprétée par Gabourey Sidibe, l'actrice de Precious et Mickey, un gay ironique, comme lui. Il est bien différent de Phil et du père, transformés pour le film en homosexuels refoulés. Araki trouve aussi dans ce roman son amour pour les années 80 (pas de téléphones portables) et l'accompagne de ses goûts musicaux (Joey Division, Depeche mode, Cure...).
Les jeunes gens semblent y vivre déjà une sexualité libre (belles séquences du dépucelage et de la séduction du policier) alors que les parents sont en proie au désenchantement. Eve, femme au foyer qui voit sa beauté se faner et ne plus rien espérer d'autre que sa vie actuelle, est jalouse de sa fille qui lui rappelle toutes ses pulsions adolescentes et ses espoirs. Loin semble l'enfance, ses souvenirs pastels chaleureux de cuisine et de jeux sous les draps.
Rimes et réminiscences
Pourtant, la dernière image, Kat rêvant dans les nuages au possible retour de sa mère, renvoie bien à celle d'Eve cherchant sa fille sous les draps d'un jeu qu'elles partageaient ensemble quant cette dernière était petite.
Si la mère envie sa fille, c'est bien au-dela de la jalousie comme le découvre Kat dans son rêve où l'image de sa mère, couchée dans la neige, renvoie à sa vision de celle-ci dans le lit, bien habillée mais devant se résoudre à seulement préparer le diner du soir.
La combinaison du cadenas du congélateur est retrouvée par Kat en se souvenant de celle du coffre aux revues érotiques qu'elle découvrit enfant.
Phil est surnommé "Poubelle" par les lycéens. Or quand Kat revient vers lui durant les vacances de 1991, bien en évidence à l'arrière-plan de leur discussion, figure un panneau indiquant qu'il faut prendre soin de vider les poubelles. Le film ne délivre pourtant pas toutes les clés périphériques à la résolution du déni de l'amour maternel. Ainsi Phil a-t-il pu aussi coucher avec la mère comme avec le père.
American Beauty (Sam Mendes, 1999) ou Virgin suicides (Sofia Coppola, 1999) traitaient de la vie de façade en banlieue et du déclin du rêve américain, Gregg Araki donne à ces thématiques un ton plus baroque tout en étant perçues comme dans un rêve ouaté, mystérieux et intrigant, à l'image des tableaux de M.C. Escher qui décorent la chambre de Kat, Jour et nuit (1938) et Oeil (1946).
Jean-Luc Lacuve (et le ciné-club de l'INSEE), le 05/11/2014