La huitième femme de Barbe-bleue

1938

Thème : Le couple

(Bluebeard's Eighth Wife). Avec : Claudette Colbert (Nicole de Loiselle), Gary Cooper (Michael Brandon), Edward Everett Horton (Le marquis de Loiselle). 1h27.

Nice - Un magasin de vêtements où l'on lit "English Spoken, American understood" (on parle anglais, on comprend l'américain). Michael Brandon, milliardaire américain, veut n'acheter que la veste d'un pyjama, ce qui pose de gros problèmes au vendeur qui doit en référer au directeur. A ce moment Nicole de Loiselle, aristocrate française ruinée, offre d'acheter le pantalon. Leur rencontre va permettre à Brandon de voir ou revoir des gens qui le suivent à la trace : le père de Nicole, qui veut lui vendre l'unique baignoire de Louis XVI, son secrétaire, amoureux de Nicole...

Nicole, qui a aimé Michael dès qu'elle l'a vu, accepte de l'épouser (il a déjà divorcé 7 fois) à condition qu'il lui garantisse, après un éventuel divorce, une pension alimentaire double de celles qu'il verse à ses six femmes (l'une est morte "naturellement"). Elle va se refuser à son mari dès le départ du voyage de noces (Prague, Venise, Paris) pour l'amener à la conquérir au moment où, devenue riche et indépendante après son divorce, elle peut enfin se remarier avec Michael.

Le scénario marque la première collaboration du tandem prestigieux de Charles Brackett et Billy Wilder ; il s'inscrit dans une thématique familière à tout un courant de l'époque, qu'on a pu qualifier de comédie du remariage.

Le début du film est un peu trop lent. Deux gags méritent pourtant de figurer parmi les meilleurs de Lubitsch. Si Michael Brandon ne veut que le haut du pyjama, il refuse de payer le bas. Pour satisfaire à sa demande, l'employé consulte son chef, lui-même demandant au directeur du magasin avant de joindre par téléphone le directeur de la firme chez lui….qui dort avec le seul haut de son de pyjama mais qui refusera pourtant la demande. Enfin Brandon retrouvera chez le père de celle qu'il aime le fameux bas de pyjama.

Un peu plus tard, Brandon engage son employé de banque (connaissant son salaire, il refuse finalement de l'augmenter malgré un premier mouvement généreux) comme secrétaire particulier. Or celui-ci ne sait pas taper à la machine : non seulement il tape doigt après doigt mais il barre aussi les lettres qu'il vient de frapper. Rendu à la ligne, la machine émet sa sonnerie habituelle, le secrétaire n'y connaissant rien, la prend pour la sonnerie de la porte et dit "entrez").

Les épisodes les plus réussis et les plus originaux du film ont pour cadre la résidence parisienne qu'après le fiasco de leur voyage de noces (où comme dans Haute Pègre, Venise est vu sous un jour ironique, antiromantique après Prague), les Brandon occupent tout en faisant chambre à part. L'équilibre entre la comédie sophistiquée et la comédie loufoque est parfait. La sophistication tient à quatre éléments ; : le style Art déco très dépouillé de l'appartement (A. E. Freudeman a signé la décoration intérieure) ; les toilettes de Claudette Colbert, étoles de fourrure, robe longue et lamé, dues à Travis Benton ; le rythme relativement lent de la mise en scène et l'efficacité satirique des dialogues et des situations (voir notamment le repas entre époux).

Dans le registre loufoque, on note, outre les fous rires de Claudette Colbert sous l'emprise de la boisson, le retour, jusque dans ce milieu d'apparence si distinguée, de procédés burlesques éprouvés. La femme reçoit la fessée, comme dans La mégère apprivoisée que lit par hasard Brandon ; les oignons constituent une arme défensive contre les baisers ; le faux amant reçoit une raclé par le boxeur engagé pour rosser le mari.

La fin qui se déroule dans une maison de repos a des éclairs de vraie folie évoquant L'impossible Monsieur bébé de Hawks, exactement contemporain : un gentleman distingué, apprenant la chute de la bourse se met à caqueter comme une poule ; Edward Evertt Horton, pour se faire admettre dans l'asile dont on lui refuse l'entrée, jette quelques aboiements.