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Mémorial de Caen

du 22 juin au 31 décembre 2023

Conçue à partir des œuvres de La figuration narrative de la Fondation Gandur pour l’Art et des collections du Mémorial (affiches, objets, films, photographies, unes de presse), Années pop, années choc, 1960-1975 aborde la représentation de l’histoire en marche : celle notamment de la guerre du Vietnam et de la confrontation entre blocs durant la guerre froide, des procès tardifs des nazis en Allemagne, du franquisme au pouvoir, de la révolution culturelle chinoise, mais aussi celle plus sociale de Mai 68, des luttes pour l’égalité des sexes ou contre la ségrégation raciale, de la société de consommation et du tourisme de masse comme pivots de l’histoire du monde occidental.

Outre les collections du Mémorial, l’exposition réunit soixante-neuf œuvres de vingt-six artistes français et européens associés à la figuration narrative, mouvement qui se développe en France parallèlement au pop art anglo-saxon, en utilisant un certain nombre de codes communs issus du cinéma, de la bande dessinée ou de la publicité notamment. Plus engagés et plus critiques face à l’actualité mondiale, ces artistes s’inscrivent contre l’hégémonie politique, économique et culturelle des États-Unis, au moment où New York supplante Paris comme capitale mondiale de l’art. Qu’ils dénoncent l’impérialisme américain, les dictatures de l’époque – en Espagne, au Portugal, en Argentine ou au Chili notamment – ou la menace nucléaire dans une période de confrontation entre les blocs, ils jettent un regard acéré sur leur époque et sur le monde qui les entoure, s’intéressant autant à ce qui se passe en Afrique et au Moyen-Orient qu’en Asie ou en Amérique du Sud. Mais ils soutiennent également les mouvements sociaux et politiques qui se développent en Europe à cette époque dans le sillage de Mai 68.

Placée sous le commissariat conjoint de la Fondation Gandur pour l’Art et du Mémorial de Caen, cette exposition poursuit l’exploration artistique et historique initiée en 2020 avec La libération de la peinture, 1945-1962. Cette première collaboration rappelait comment l’art abstrait s’est imposé dans l’immédiat après-guerre, face à l’impossibilité pour des artistes comme Jean Fautrier, Hans Hartung ou Pierre Soulages de continuer à représenter le monde avec les moyens traditionnels de la peinture. Ce second cycle permet quant à lui de comprendre comment, au tournant des années 1960 en France, de jeunes artistes se sont détournés de l’abstraction alors dominante pour proposer un retour à l’image et à la figure.

chronologie

 

Déployé sur deux étages, le parcours de l’exposition s’articule autour de dix thèmes qui permettent de comprendre les luttes qui sous-tendent cette période de quinze ans. Sur fond de guerre froide, les artistes s’engagent autant contre la guerre et la dictature qu’en faveur des droits sociaux et politiques. C’est l’époque des grands mouvements sociaux et des aspirations politiques portés par la génération de l’après-Seconde Guerre mondiale. Alors que deux visions du monde, celle des États-Unis et celle de l’URSS, s’opposent, s’exprime une génération qui veut en finir avec « le vieux monde » et tout particulièrement avec celui né de l’après 1945. Les artistes puisent leur inspiration dans les médias de l’époque (bandes dessinées, cinéma, magazines, publicités, journaux…) et reprennent les codes qui les caractérisent. La scénographie de l’exposition croise les œuvres de la Fondation Gandur pour l’Art et les collections du Mémorial de Caen. Chaque section thématique propose des œuvres d’art, une contextualisation historique, des objets témoins de l’époque, des documents et des photos d’archives. L’exposition Années pop, années choc, 1960-1975 mêle regard scientifique et approche pédagogique, replaçant l’engagement artistique et politique du mouvement de la figuration narrative dans l’histoire d’une époque qui s’étend des années 1960 au milieu des années 1970. L’exposition trouve aussi un équilibre entre art et histoire, entre objets et œuvres d’art.

 

Entrée de l'exposition, au 1er étage

1 - Guerre du Vietnam

Après la guerre de Corée, les États-Unis redoutent une nouvelle guerre en Asie pour contrer le communisme et soutiennent militairement le Sud Vietnam. En 1964, les États-Unis bombardent le Vietnam du Nord et déploient 125 000 soldats dans le sud du pays. En 1968, l’offensive nord-vietnamienne du Têt marque un tournant et fait la une de l’actualité américaine. Les derniers marines quittent le Vietnam en août 1972 et Saïgon tombe en 1975. Pour l’Amérique, c’est une défaite militaire et morale.

Marqués par l’ampleur dévastatrice de cette guerre et de son enlisement militaire, les artistes de la figuration narrative en France se réfèrent volontiers à l’actualité pour en dénoncer les horreurs. C’est le cas de Bernard Rancillac qui avec Mélodie sous les palmes (1965) superpose un bombardier américain au cliché d’une femme en bikini. Cette guerre est également dévoilée par Erró qui dans Intérieur américain n° 5 (1968) reprend une affiche de propagande nord-vietnamienne où des combattants semblent envahir un intérieur américain. L’artiste fait entrer la guerre dans les foyers de la classe moyenne à travers la télévision, montrant l’ampleur qu’un tel conflit peut prendre par l’intermédiaire des médias. Avec l’image d’une femme masquée par un soldat blessé au Vietnam, Jacques Monory utilise dans En murmurant (1970), le même schéma qu’Erró pour rappeler que la guerre, même lointaine, est bien présente. Quant à Ivan Messac, il dénonce avec Viet  Nam  70 (1971) la guerre en utilisant l’image d’un enfant portant comme un fardeau le drapeau du Front national de libération du sud Vietnam. Ce symbole d’innocence efface en avançant l’image menaçante du capitalisme, représenté par une figure aux allures de banquier londonien.

Scénographie :

Oeuvres :

Mélodie sous les palmes
Bernard Rancillac (1965)
Intérieur américain n° 5
Erró (1968)
En murmurant,
Jacques Monory (1970)
Viet  Nam  70
Ivan Messac (1971)

 

2 - Impérialismes

L’instabilité d’Haïti constitue pour les États-Unis une menace de déséquilibre des Caraïbes, tandis qu’à Cuba Fidel Castro renverse le dictateur Batista soutenu par les États-Unis. À la suite de la découverte de rampes de lancement sur l’île, la crise des missiles fait redouter un conflit ouvert entre Washington et Moscou.

En 1965, Hervé Télémaque - originaire d’Haïti - dénonce l’invasion de Saint-Domingue en dépeignant sur un fond rouge l’avancée de l’armée américaine incarnée par un marine avec One of the 36  000  Marines over our Antilles. Faisant référence à cet événement par un langage pop, l’artiste marque son engagement contre l’impérialisme américain.

Invités à participer au Salon de mai organisé à La Havane en 1967, de nombreux artistes et intellectuels sont fascinés par la révolution menée par Castro et Ernesto « Che » Guevara qui incarnent un espoir de société plus juste et un modèle de résistance à la superpuissance américaine. Cela inspire Bernard Rancillac qui, en rentrant de son voyage, retranscrit dans Cuba nuit et jour (1968) le pays idéalisé qu’il a découvert. Son triptyque décrit en effet un paysage cubain idyllique à différents moments de la journée, révélés par trois couleurs et autant d’horloges. Dépourvue de violence, l’œuvre dégage une sérénité loin de la menace militaire américaine, souvent critiquée par l’artiste comme par la majeure partie du mouvement de la figuration narrative.

Scénographie :

Oeuvres :

One of the 36  000  Marines over our Antilles
Hervé Télémaque (1965)
Cuba nuit et jour
Bernard Rancillac (1968)

3 - Idéologies et affrontements

En mars 1947, la doctrine du président américain Truman engage une politique d’ "endiguement" pour contenir l’expansion communiste. Cette volonté est appliquée économiquement avec le plan Marshall, un programme d’aide au redressement de l’Europe occidentale que les Soviétiques considèrent comme une forme d’impérialisme. Dans le cadre de la guerre froide, Américains et Soviétiques n’hésitent pas à apporter leur soutien à des régimes autoritaires et à des révolutions afin de déstabiliser l’adversaire. Des tensions qui font craindre une guerre nucléaire.

Les artistes portent un regard critique autant sur l’American way of life que sur les dérives d’un système communiste totalitaire incarné par Mao. Dès les années 1960, de nombreux artistes pressentent le danger d’une escalade et d’une apocalypse nucléaire. L’explosion atomique d’Eulàlia Grau ne semble pas émouvoir les deux hommes en costume-cravate qui lisent tranquillement le journal, une douzaine d’oiseaux morts à leurs pieds (Silenci (Etnografia), 1973).

L’opposition entre les démocraties occidentales et les régimes communistes est un sujet thématisé par de nombreux artistes, comme Gérard  Tisserand. Ils portent un regard critique autant sur l’American way of life symbolisé par Coca-Cola que sur les promesses d’un système incarné par le Petit Livre rouge de Mao . Erró fait s’entrechoquer deux mondes avec la présence de communistes dans l’intérieur bourgeois où se prépare un barbecue. Les Chinois ne défilent pas seulement sur la place Tian’anmen comme chez Giangiacomo  Spadari, mais se pressent aussi sur la place Rouge à Moscou, marquant autant le rapprochement que la rivalité des deux régimes communistes.

La place rouge (Erró (1971)

 

4 - Juger les criminels nazis

Après la capitulation allemande, les Alliés décident de juger les principaux dirigeants survivants du Troisième Reich. C’est le premier procès de Nuremberg (novembre 1945 - octobre 1946). Durant les années 1960, d’autres procès contre des criminels nazis eurent lieu en Allemagne (comme le procès de Francfort en 1963) mais peu de criminels nazis furent jugés et condamnés. De telles conclusions judiciaires sont tout à la fois révélatrices des hésitations d’une justice encore souvent composée d’anciens agents du régime nazi, ainsi que des limites du droit allemand. Ces procès illustrent néanmoins l’émergence d’une volonté allemande, portée en grande partie par l’arrivée d’une génération née durant ou après la guerre, d’assumer son passé. La question centrale est celle de la responsabilité collective de l’Allemagne ou de la responsabilité individuelle de quelques-uns.

La guerre reste extrêmement vive dans les esprits à cette époque, comme on le perçoit dans l’œuvre d’Erró. Dans sa série Torture Manor, Stanton and Jim Bondage, il associe une caricature antiallemande ou antiaméricaine publiée durant la guerre froide en Union soviétique à des scènes de sadomasochisme tirées de magazines fétichistes américains. Il se joue des codes de la propagande politique, comme il l’avait déjà fait dans sa série Intérieurs américains de 1968. Erró rappelle cette dénazification incomplète dans ses œuvres en dénonçant la tolérance des juges allemands envers les criminels nazis lors des procès des années 1960. Dans Vous êtes acquittés, Gauf, Erró reprend à son compte la critique de la clémence de la justice ouest-allemande à l’égard des criminels de guerre nazis.

Vous êtes acquittés, Gauf (Erró, 1970)

 

5 -Franquisme

Profondément divisée après la guerre civile qui a déchiré le pays entre 1936 et 1939, l’Espagne d’après-guerre est dirigée d’une main de fer par le général Francisco Franco. L’Espagne franquiste est un régime anticommuniste, conservateur et nationaliste. Dans les années 1950, il libéralise l’économie tout en refusant toute idée de libertés publiques, politiques ou syndicales. En 1959, l’Espagne s’ouvre aux investisseurs étrangers et au tourisme qui passe de 1,4 million de touristes en 1955, à 33 millions en 1972. Mais l’opposition politique, religieuse et syndicale se manifeste lors de la grève des mineurs des Asturies en 1963 et de la dénonciation dans le Pays basque du manque de libertés confessionnelles.

C’est au moyen de la peinture qu’Eduardo  Arroyo dénonce le régime franquiste et ses appuis au sein de l’Église, de l’armée et des classes dirigeantes. Exilé en France à partir de 1958, il présente à Madrid en 1963, dans une exposition qui est rapidement fermée par la police, Cuatrodedos, le portrait d’un torero de légende. Sur un fond noir rehaussé des couleurs rouge et or du drapeau national, la moustache du matador rappelle toutefois celle de Franco qui est dédoublé par un personnage écorché. L’œuvre est accrochée à Paris deux ans plus tard dans une exposition intitulée 25 ans de paix, reprenant de manière ironique les mots de la propagande franquiste. D’autres œuvres y sont également présentées comme La femme sans tête (1964) qui rappelle la répression et les tortures de l’État pour briser la grève des mineurs asturiens en été 1963. Ce portrait sanguinolent laisse apparaître un morceau de chair qui rappelle la violence du pays que l’artiste a choisi de quitter. Arroyo dépeint dans Les compagnons du futur (1965) un pays figé, cerné par deux figures tutélaires, le futur roi Juan Carlos en habit militaire et le primat d’Espagne. Sur un fond de paysage aride semble s’échapper un arc-enciel aux couleurs du drapeau français, terre d’accueil pour l’artiste.

Cuatrodedos
Eduardo  Arroyo (1963)
La femme sans tête
Eduardo  Arroyo (1964)
Les compagnons du futur
Eduardo  Arroyo (1965)
Guernica
Eduardo  Arroyo (1970)

 

6 - Mai 1968

Au milieu de l’effervescence de Mai 68, certains artistes de la figuration narrative montrent leur engagement à travers des œuvres politiques. Maurice Henry détourne le slogan « Sous les pavés, la plage » en représentant un CRS en pleine course, foulant une femme insouciante couchée sur le sable comme s’il enjambait les barricades de Mai  1968, tandis que les pavés volent dans un ciel rouge de révoltes (Demain sourit en rêve, Mai 68, fig. 1). Dans un autre registre, Fernand Teyssier se tourne vers la lutte des ouvriers en mêlant l’actualité à l’histoire dans une ambiance de film noir. Personnifiant le prolétariat, JeanPaul Marat, considéré comme un « martyr » de la Révolution française, est tué par trois individus tout droit sortis d’un film d’espionnage hollywoodien évoqué par les lignes rouges et blanches du drapeau américain.

   

7- Sociétés divisées

C’est pendant la guerre du Vietnam que les combats pour les droits civiques sont les plus violents aux États-Unis. En août 1965, la répression du soulèvement du ghetto de Watts à Los Angeles provoque la mort de 34  personnes. En France, Mai 68 accélère une prise de conscience politique en opposition à l’ordre établi jugé inégalitaire, patriarcal et répressif. Les sociétés se fracturent aussi sur les questions économiques qui engendrent des inégalités criantes que l’aspiration collective au progrès rend, là encore, inacceptable.

La figuration narrative dénonce la société inégalitaire de l’époque. Bernard Rancillac peint la violence des émeutes de Watts en superposant deux images qui mêlent idylle californienne et réalité sanguinaire des émeutes, dévoilant la face cachée des États-Unis (Au mur de Watts, 1966, fig.  1). Rafael  Canogar, dans son installation, critique les violences policières associées à celles des régimes autoritaires comme celui de Franco, créant ici le lien avec ce qu’il se passe outre-Atlantique. Ivan Messac traite pour sa part des luttes sociales en associant les Black Panthers, Angela Davis, la lutte des classes et celle des femmes dans ses œuvres engagées de 1969 (Black Panther, Tigre de papier, 1969, fig. 2). Quant à Gérard Fromanger, il aborde la condition sociale des travailleurs aussi présents qu’invisibles dans une société qui les marginalise par diverses formes de discriminations.

 

Deuxième partie de l'exposition, niveau 0 :

8 - Mutations urbaines

Après la guerre, l’État s’empare de la question fondamentale de la reconstruction. Il s’agit de reloger et de relancer l’économie dans un contexte de croissance démographique dû au baby-boom et à l’immigration. De grands architectes comme Auguste Perret ou André Lurçat militent pour un accès égalitaire au logement. De son côté, Le Corbusier plaide pour « les grands ensembles ». On assiste à l’explosion du logement collectif qui rassemble des populations dans les banlieues ouvrières devenues cités dortoirs. Ces constructions, dictées par l’urgence économique et sociale, transforment les modes de vie et les paysages tout en améliorant le confort collectif et individuel des habitations

Thème récurrent, la ville et son évolution sont au cœur des œuvres de nombreux artistes qui voient leur quartier se transformer. Lors des Trente Glorieuses, la ville se modifie et engendre l’anonymat de l’individu. Le modèle de la maison individuelle et du chalet de vacances, si bien décrit par Christian  Babou, contraste fortement avec les barres d’immeubles qui sortent de terre à travers tout le territoire (Piscine – Grillage à bordure défensive, janvier 1974, fig. 1). Observateur du quotidien, Gérard Fromanger s’intéresse à la rue dans laquelle l’individu semble se fondre. Dans sa série Boulevard des Italiens réalisée en 1971, il capte une heure d’une journée ordinaire dans le quartier des grands boulevards à Paris, où des personnages peints en rouge semblent avoir perdu toute individualité dans ces artères où les affiches publicitaires et les vitrines de magasins voisinent avec les kiosques et les cinémas (Le Voyou, 1971, fig. 2). Cet anonymat se retrouve aussi dans les œuvres de Peter Stämpfli alors que les visages des personnages de Gérard Schlosser sont souvent relégués au hors champ dans des scènes banales du quotidien aux titres évocateurs.

 

 

9 - Entre pin-up et émancipation

Dans le sillage de Mai 1968, le Mouvement de libération des femmes (MLF) remet en question la société patriarcale et revendique la liberté de disposer de son corps. Le 26 août 1970, un groupe de militantes manifeste sous l’Arc de Triomphe à Paris et tente de déposer une gerbe à la femme du soldat inconnu, proclamant qu’« il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme ». Première action du MLF, la manifestation fait écho au Woman’s Lib américain qui, ce même jour, fête le cinquantième anniversaire du droit de vote des femmes aux États-Unis. Héritières d’un long combat pour l’égalité et l’émancipation, les militantes des années 1970 ouvrent la voie à une nouvelle vague du féminisme.

La révolution sexuelle des années 1960 et 1970 libère le corps des femmes qui ne sont plus cantonnées à un rôle de mère, d’épouse ou de femme au foyer. Leur représentation change également à cette époque, leurs corps devenant un instrument et un objet de désir. Chez certains artistes masculins, elle passe souvent par l’image de la pin-up, comme chez Werner Berges (Vanessa, 1969, fig.  1) ou Walter Strack qui dépeignent des silhouettes aguicheuses dans un style pop. Alors que Gérard Schlosser et Émilienne Farny (Sans titre, 1965, fig.  2) s’arrêtent sur la nouveauté que représente la mini-jupe, Peter Klasen dévoile des compositions plus suggestives, comme Allen Jones chez qui l’érotisme est plus présent ou Emanuel Proweller qui évoque le plaisir charnel. Bien que l’image de la femme-objet semble fréquente chez certains artistes, d’autres sont plus sensibles à la cause des femmes. Ivan Messac leur dédie une série où elles semblent quitter le foyer laissant les tâches ménagères à leur mari. L’image de la pin-up est aussi véhiculée par la publicité que des artistes comme Fernand Teyssier ou Edgard Naccache reprennent à l’envi. Mais d’autres, comme Eulàlia Grau, la détournent pour dénoncer leur place au sein d’une société patriarcale.

 

 

 

 

10 - Consommation et tourisme de masse

L’omniprésence de la publicité fait réagir de nombreux artistes qui dénoncent autant le consumérisme que l’hégémonie du modèle capitaliste. Après la guerre, pour relancer la croissance en Europe occidentale, les États-Unis promeuvent l’American way of life basée sur la consommation de masse. Il ne s’agit plus de satisfaire des besoins essentiels, mais d’accumuler et de posséder. Les marques deviennent des repères identitaires. La surconsommation conduit à l’invention du jetable avec l’apparition du briquet et du stylo Bic. Dans le même temps émerge une nouvelle économie, celle du tourisme de masse qui transforme le paysage et les habitudes.

L’omniprésence de la publicité sur les murs de la ville et dans les magazines fascine de nombreux artistes qui reprennent ses codes pour mieux les détourner, à l’instar de leurs collègues américains, mais en proposant une vision plus critique. Dans le monde d’abondance occidental, ils dénoncent pour certains autant le consumérisme que l’hégémonie du modèle capitaliste. Ils dépeignent ainsi la manière dont la société de consommation s’insinue et s’ancre dans la vie de millions d’individus. Même si Peter Stämpfli ne s’est jamais considéré comme un artiste engagé, sa description du monde, par les gestes et les objets ordinaires qui l’entourent, dresse le portrait de la société de consommation des années 1960.

Dans ses scènes de plage réalisées avec du sable véritable et des baigneurs souvent un peu gras et à la peau rosée, Gérard Schlosser dépeint les travers du tourisme de masse naissant. Il rappelle aussi que pendant que les vacanciers profitent de leurs congés, des événements terribles continuent de se produire, comme l’écrasement du Printemps de Prague en août 1968 dont la nouvelle est diffusée par la radio qu’un estivant écoute, cigarette à la main (Sans titre, 1968, fig. 1). Dans un style tendant vers l’hyperréalisme, la scène décrite par l’américain Don Eddy semble quant à elle annoncer les vagues de touristes que déverseront bientôt les avions aux quatre coins du globe.

   

 

 

Jean-Luc Lacuve, le 29 novembre 2023

Sources : Dossier de presse , Document pour l'enseignant , Fondation Gandur pour l'art

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