Tout ce que le ciel permet, (Douglas Sirk, 1955)
The Truman show (Peter Weir, 1998)

La télévision aliénante est dénoncée dès Tout ce que le ciel permet, (Douglas Sirk, 1955) ou dans les films de Claude Chabrol. Son pouvoir dévastateur sur la moralité des journalistes, vite dépassés par la puissance médiatique, est à l'oeuvre dans Network, main basse sur la TV (Sidney Lumet, 1976) .

Le concept de télé-réalité, dans son sens le plus global, et pas toujours simple à définir précisément, se rapporte dans un premier temps à une forme de documentaire feuilletonnant. C'est en 1973, aux États-Unis, que l'aventure commence avec An American Life diffusé sur PBS (le réseau de chaînes publiques).

L'idée est de filmer le quotidien d'une famille d'américains lambda vivant une période de crise (divorce des parents, coming out du fils aîné). Pour ce programme, les images sont tournées deux ans avant la diffusion, sélectionnées et montées. Le résultat est présenté en douze épisodes pour des centaines d'heures de tournage ; il y a donc encore une distance bien perceptible entre le réel et le divertissement télévisuel. Reste que le concept, totalement novateur, enthousiasme et s'exporte rapidement, notamment en Grande-Bretagne.

Le succès de An American Life ne lance pas qu'une simple mode mais bien un genre en soi, qui s'installe durablement. Aux États-Unis, de nombreuses émissions vont à leur tour flirter entre réalité, fiction et, parfois, jeu télévisé. Le public devient alors particulièrement friand de scènes à fortes intensités émotionnelles. En France aussi, le divertissement se rapproche de la vie des citoyens, notamment avec la célèbre émission Perdu de vue (1992) présentée par Jacques Pradel, qui a pour but de réunir des personnes qui se sont éloignées, voire de retrouver des disparus. En sept ans d'existence, l'émission marqua durablement la culture télévisuelle et la société françaises.

Aux début des années 1990, MTV une chaîne musicale américaine accessible à l'international sur le câble, lance une émission se rapprochant de ce que deviendra la télé-réalité moderne. Surfant sur la grande popularité de séries comme Beverly Hills, The Real World propose de regarder la vie de sept jeunes qui ne se connaissent pas et se retrouvent enfermés dans un appartement durant trois mois. Le programme est là aussi diffusé sous forme d'épisodes

Le véritable bouleversement a lieu à la veille du nouveau millénaire, aux Pays-Bas. La télé-réalité passe alors un cap et introduit une nouvelle forme de genre télévisuel avec Big Brother, d'après l'idée d'un certain Monsieur de Mol, cofondateur d'Endemol. Comme The Real World, l'émission installe ses candidats dans une maison sans possibilité de sortie ni liberté de communiquer avec l'extérieur. Les jeunes gens sont filmés en permanence et, cette fois-ci, il n'y a pas de montage, pas de barrière entre eux et les téléspectateurs : les images sont diffusées en direct et en continu.

Il existe toujours des épisodes qui viennent reprendre les moments les plus marquants, mais les participants peuvent être observés par leur public 24 heures sur 24. L'autre nouveauté est que les candidats sont mis en compétition : chaque semaine, ils choisissent la personne qu'ils souhaitent voir s'en aller. La décision finale revient aux téléspectateurs à qui l'on offre également la possibilité d'agir sur le sort des participants, en votant. Le nom de Big Brother est quant à lui une référence au monument de l’anticipation qu'est 1984, de Georges Orwell. Dans ce roman dystopique publié en 1949, la société entière est surveillée en permanence par l'œil indiscret d’un gouvernement liberticide, autoritaire et violent… Qui a dit qu'un hommage ne pouvait être cynique ?

Suite au succès d'audience de l'émission, de nombreux pays se précipitèrent pour mettre en place leur version de ce programme. En France, il devient Loft Story (2001), et les jeunes volontaires sélectionnés doivent tous être célibataires. À noter que quelques mois auparavant, une autre émission diffusée sur M6 avait déjà tentée l'expérience avec ses Aventures sur le Net, mais sans réelles répercussions.

Comme ce fut le cas pour Big Brother aux Pays-Bas, Loft Story marque un tournant dans l'histoire de la télévision en France. Nombre de téléspectateurs, mi-curieux mi-critiques, eurent l'impression d'assister à une sorte d'étude anthropologique au rabais tant le principe semblait étrange, à la fois audacieux et malaisant. Les sociétés de production, elles, venaient de trouver leur pain béni. Ne nécessitant que très peu de moyens et attirant le public en masse, cette forme de télé-réalité s'est en effet révélée extrêmement rentable tout de suite.

Aujourd'hui, la télé-réalité fait partie du paysage télévisuel ordinaire. En France, après une grosse vague d'émissions aux principes relativement contraignant et intrusif pour les candidats au début des années 2000 (Star Academy, Koh Lanta, L'Ile de la tentation, Nice People), les programmes se sont largement diversifiés, certains se rapprochant plus du divertissement, d'autres restant dans une branche plus « dure » de la télé-réalité, le tout étant peu ou prou mis en scène.

Les programmes du genre vont ainsi du télé-crochet (Nouvelle Star) aux émissions mettant en scène des inconnus ou des pseudos célébrités dans un endroit insolite (Les Ch'tis à Ibiza, La Ferme Célébrités) en passant par des compétitions culinaires (Top Chef), des défis de rénovation (Le Chantier), des rencontres amoureuses (L'amour est dans le pré) ou encore des modifications de modes de vie (Super Nanny), et même la programmation de son mariage (Quatre mariages pour une lune de miel)…

D'abord pris d'assaut par les chaines privées, en particulier les groupes M6 et TF1, le champ de la télé-réalité est désormais investi par le service publique. Ce dernier propose son lot d'émissions se rapprochant peu ou prou du concept, dans un cadre plus strict et à visée culturelle, avec des programmes tels que Qui sera le prochain grand pâtissier ?, l'éphémère À vos pinceaux ! ou encore le feuilleton itinérant Nus et culottés.

Suite au succès de certaines émissions, de buzz en buzz, d'anciens candidats se sont fait connaître, certains entamant même une carrière à la télévision, parfois en enchaînant les télé-réalité ; le programme Les Anges découle d'ailleurs de ce principe. Les participants les plus marquants se voient même proposer leur propre émission (Allô Nabilla) dans laquelle ils sont généralement filmés dans leur vie quotidienne, tout simplement. Ce genre puise son inspiration aux États-Unis où il y est particulièrement populaire : qui n'a jamais entendu parler de la famille Kardashian ?

La société et la télévision ont beaucoup changé depuis la sortie de The Truman Show, notamment avec l'avènement d'Internet, et il est clair que les frontières entre écran et réalité ne sont plus aussi marquées qu'elles ont pu l'être. Dans le film, on pouvait déjà apercevoir, en filigrane, les prémices d'une nouvelle forme de publicité : absolument tout, dans le monde de Truman était à vendre. Les spectateurs étaient ainsi influencés dans leurs achats par des personnages qu'ils appréciaient. Depuis que les réseaux sociaux ont fait leur apparition, un nouvel espace de mise en scène de la vie privée dans la sphère médiatique, parfois dans un but lucratif, s'est ouvert. Les influenceurs, blogueurs, youtubeurs, et autres instagrameurs professionnels utilisent ainsi leur image afin de vendre des produits ou recevoir des rémunérations issues de sponsors.

Préfigurant des émissions comme Survivor (1997) ou Koh-Lanta (2001) en France, notamment concernant les mises en difficulté physique et psychologique des personnages, ces films nous parlaient également déjà du regard particulier du spectateur et de ce que cela raconte de la société.

Le prix du danger (Yves Boisset, 1983) inspiré de la nouvelle éponyme de Robert Sheckley, publiée en 1958 raconte avec des accents satiriques le parcours d'un homme qui décide de participer à un jeu télévisé à succès des plus macabres. Sous les yeux de milliers de téléspectateurs, le candidat doit rejoindre un lieu secret en étant traqué par une poignée de tueurs. S'il s'en sort, il empoche un million de dollars, mais les chances de réussite sont faibles : aucun participant avant lui n'a survécu.

Running Man (Paul Michael Glaser, 1987) reprend la même idée quelques années plus tard. L'intrigue se situe dans une société dystopique où, pour distraire les citoyens, des prisonniers sont forcés de s'affronter à mort ; soit l'idée que l'on se fait des gladiateurs, sauf que tout cela se déroule dans le cadre d'un jeu télévisé.

The Truman Show (Peter Weir, 1998) interroge le climat ambiant de l’époque, cette société étasunienne abreuvée de consommation et de télévision et anticipe le futur de la télé-réalité. Un futur particulièrement proche d’ailleurs, puisque la première émission à bouleverser ce qui se faisait alors en la matière sera programmée aux Pays-Bas seulement un an après la sortie du film

Source : Marion Lhostis

Principaux films
       
The Truman show Peter Weir U.S.A. 2017
Running Man Paul Michael Glaser U.S.A. 1987
Le prix du danger Yves Boisset France 1983
La mort en direct Bertrand Tavernier France 1979
Network, main basse sur la TV Sidney Lumet U.S.A. 1976
Tout ce que le ciel permet Douglas Sirk U.S.A. 1955
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