Au lendemain des attentats du 11 septembre Robert Altman déclarait à l'Associated Press : "C'est le cinéma qui donne le ton, et ces gens se sont inspirés des films. Personne n'aurait songé à commettre une atrocité pareille sans l'avoir d'abord vu au cinéma... Je crois tout simplement que nous avons créé cette atmosphère et que nous leur avons appris comment faire." La responsabilité d'Hollywood dans la destruction des tours jumelles peut-elle être liée au succès des films catastrophes précédant le 11 septembre 2001 ? (partie 1).
Après celui-ci, les studios hollywoodiens abandonnent quelques projets et reportent la sortie de 40 films. Le plus connu étant Dommage collatéral de Andrew Davis qui sortira finalement en 2002. Spiderman se verra également amputé de sa séquence où le héros tend sa toile entre les deux tours. Pendant quatre ans, de 2002 à 2005, les films seront soumis aux deux contraintes de décence et pudeur. Ce sera l'ère du soupçon où Hollywood se montre réticent à l'évocation d'un désastre sur le sol national (partie 2)
Ce ne sera sur une période de courte durée qu'auront coexistés
blockbuster et mauvaise conscience avec une occultation partielle de la catastrophe.
En 2006, Poséidon de Wolfgang Petersen remake de L'aventure
du Poséidon (Ronald Neame, 1973) marque la volonté de faire
des blockbuster comme avant le 11 septembre. En 2012, Kathryn Bigelow dans
Zero dark
thirty semble vouloir mettre un point final à la crise de conscience
américaine (partie3).
Dans Comme prévu1(dans The magic hour, Editions Capricci, 2009), Jim Hoberman se prête au difficile exercice d'examiner la responsabilité d'Hollywood dans la destruction des tours jumelles. Il y répond par l'affirmative en examinant le succès des films catastrophes précédant le 11 septembre 2001.
"L'homme qui imagine les désastres les désire en quelque sorte" écrivait Adorno il y a un siècle. Siegfried Kracauer avait aussi affirmé "les films d'une nation sont le reflet de sa mentalité (...) L'Allemagne a mis à exécution ce que son cinéma anticipait depuis le début. Tout s'est passé exactement comme sur les écrans". Rien d'étonnant donc dans la déclaration de Robert Altman à l'Associated Press : "C'est le cinéma qui donne le ton, et ces gens se sont inspirés des films. Personne n'aurait songé à commettre une atrocité pareille sans l'avoir d'abord vu au cinéma... Je crois tout simplement que nous avons créé cette atmosphère et que nous leur avons appris comment faire."
Jurassik
park, Steven Spielberg, 1997
|
Fight-club
, David Fincher, 1999
|
Car imaginer les désastres est précisément l'affaire du cinéma américain au travers de son genre le mieux reçu internationalement, le film catastrophe. La multinationale hollywoodienne, communément appelé Hollywood, produit en effet des blockbusters qui ont le pouvoir de fédérer tous les publics. C'est la même impression familière de déjà vu que l'on ressent en voyant fuir les foules devant Godzilla, Independance day, Deep impact, Titanic, Pearl Harbor ou Air force one (1997). André Bazin appelait ce type de plaisir cinématographique le "complexe de Neron" en référence au tyran décadent qui jouait de la lyre sur les hauteurs de Rome pendant l'incendie de la ville. Cette expérience esthétique d'exception a été démocratisée par le cinéma. Titanic, qui détrôna La guerre des étoiles au box-office est une mise en scène sans précédent bien que digitale d'une mort massive.
Après la vague d'émancipation des années 60 avec seulement quelques attaques contre les entreprises polluantes ou la lâcheté des dirigeants), les désastres se déchaînent durant les années 70. La perte du Viêt-Nam, le scandale du Watergate, la crise du pétrole ont pris l'allure d'une punition. Mais cette punition est infligée de l'extérieur. Dans les années 90, c'est comme si l'Amérique se voyait punie pour avoir été son premier fan, son premier trafiquant d'armes, son meilleur détracteur, son adversaire le plus brutal ; bref encore et toujours parce qu'elle est le numéro un.
Cette hégémonie incontestée a engendré son antithèse à l'échelle mondiale. La menace communiste écartée, l'ennemi pouvait venir de partout. Terroristes européens (Piège de cristal, 1998), narco-terroristes (58 minutes pour vivre, 1990), terroristes néo-nazis (Une journée en enfer, 1995), terroristes maison (Piège en haute mer, 1992) et surtout Fight-club (Fincher, 1999) , internationaux (Piège à grande vitesse, 1995), extra-terrestres (Independance day, 1996), micro organiques (Alerte !, 1995) dinosaures (Jurassik park, 1997) russes (Air force one, 1997), islamiques (Tru lies, 1994, Ultime decision, 1996, Couvre-feu, 1998).
Dans le dernier plan de Gangs of New York (2003), réflexion sur l'histoire de l'Amérique, il n'y a plus personne pour voir grandir New York que l'on voit se bâtir en accéléré. L'histoire se fait derrière la conscience des hommes et les surprend toujours. Modestement, Scorsese laisse le plan des Twin Towers. Lui, pas plus qu'un autre, n'aurait pu prévoir leur destruction.
2002 à 2005 : Hollywood et l'ère du soupçon
Quoi qu'il en soit, pendant quatre ans, de 2002 à 2005, les films seront soumis aux deux contraintes de décence et pudeur. Décence parce qu'un divertissement ne pouvait être irrespectueux vis à vis de la mémoire des victimes et pudeur afin de ne pas rappeler cet événement à la population. Cette autocensure hollywoodienne est tacitement levée en 2006 avec World trade center et vol 93 et plus nettement encore en 2007 avec Cloverfield.
François-Xavier Molia2 appelle ère du soupçon, cette période de 2002-2005 où Hollywood se montre réticent à l'évocation d'un désastre sur le sol national. Trois films catastrophe marquent pour lui cette période où les cinéastes évoquent de manière oblique la mémoire du 11 septembre : Fusion, Le jour d'après et La guerre des mondes.
Si, sur longue période, on a continuité de la forme du film catastrophe, le traumatisme du onze septembre aura néanmoins, comme la crise de 29 par exemple, conduit à une éclipse de la masculinité héroïque au profit d'une complexité plus grande des personnages principaux.
1- Exigence de décence et de pudeur
Un article du Los Angeles Time rappelait l'exigence de décence et de pudeur que l'on attendait alors d'un film de fiction. Fiction qui ne devait montrer "ni corps qui tombe ni tour en feu". Cela a bien entendu des conséquences sur la visibilité du désastre : s'il est difficile de montrer la catastrophe, comment alors concilier destruction et spectacle ?
Charles Tesson, dans un article des Cahiers d'avant le onze septembre, évoquait ces films où le spectateur pouvait jouir du spectacle de la destruction car il savait que la catastrophe ne pouvait se passer au-delà du film contrairement à d'autres qui jouent avec des peurs ancrées dans le quotidien comme La tour infernale ou Les dents de la mer.
Fusion et La guerre des mondes appartiennent à la première catégorie avec leur voyage au centre de la terre ou une invasion extraterrestre peu probable. Le premier allie aussi fantaisie géologie farfelue et solution improbable (un savant fou a inventé un alliage capable de résister aux chaleurs extrêmes). Il s'agit alors de mettre en scène une catastrophe inouïe qui ne s'est jamais produite et n'a pas de passé.
Cette déréalisation de la diègese ne se trouve pas dans Le jour d'après qui est une mise en garde plausible des effets du réchauffement climatique.
Une autre constante des trois films est de ne pas montrer des corps morts défigurés ou brûlés mais des "cadavres propres" les premières victimes de Fusion sont ainsi des porteurs de pacemaker qui décèdent suite au dérèglement des ondes magnétiques sans que les autorités scientifiques ou militaires ne puissent le percevoir. Dans Le jour d'après les victimes meurent par le froid ce qui garde leur corps intègre et, dans La guerre des mondes, les rayons mortels font disparaître les corps.
La destruction de New York et notamment de sa sky line avait déjà été vue de nombreuse fois au cinéma (Armagedon, Deep impact Indepandance day). ll est cependant vu d'assez loin et par un raz de marée dans Le jour d'après avec seulement ensuite des bâtiments détruits et en ruines.
2-Remise en cause du leadership de l'Amérique et des pères
Le jour d'après remet en cause l'autorité du leadership de l'Amérique. Il s'inscrit dans le climat d'inquiétude et de repentance qui marque cette période comme Fahrenheit 9/11 où Syriana qui mettait en cause le président et la CIA. Ici le vice-président parcourt un trajet initiatique depuis son refus des accords de Kyoto au nom des principes du libéralisme jusqu'à son allocution alors qu'il est devenu le nouveau président "we were wrong, i was wrong". On notera aussi qu'il a dû, annuler la dette des pays pauvres pour fuir le sol national. Laurent Emmerich s'en prend à l'arrogance des USA en montrant les frontières avec le Mexique franchies dans le sens inverse des émigrés économiques par la population américaine.
Fusion s'en prend au chef tout puissant. Beck ne doit pas compter seulement sur sa compétence mais assumer l'échec et les erreurs. C'est à ce prix seulement qu'elle peut être un bon leader.
La guerre des mondes invalide l'autorité paternelle. C'est un homme en fuite qui refuse l'action. Il entre en conflit avec son fils et surtout avec Harlan car ne croit pas en la possibilité de riposter.
Réfugié dans une maison, Sam et Harlan Ogilvy ne savent d'abord pas de quoi ils ont été témoin. Harlan rappelle que, dans son métier d'ambulancier, seuls ceux qui parvenaient à garder les yeux ouverts s'en sortaient. Pour Harlan la seule manière de s'en sortir, c'est de regarder le danger en face, de ne pas rester ignorant du monde. Ce personnage est pourtant disqualifié. Affronter les extra terrestres paraît suicidaire et Ray préfère sans doute à juste raison protéger sa fille. Le gore de l'attaque extra-terrestre est occulté, le corps dont le sang est aspiré est hors champ. Le sang est pourtant dispersé, omniprésent. Ray en voit la trace sur ses doigts et sur son visage. Ray met un bandeau sur les yeux de sa fille quand il se décide tuer. Il lui demande aussi de chanter une comptine pour qu'elle n'entende pas les bruits de la lutte. Il ferme la porte qui le sépare de sa fille. C'est la violence des pères. La comptine se révèle une protection partielle, la petite fille entend les coups et enlève le bandeau une fois le meurtre accompli et avant que son père ne revienne. Les enfants sont conscients de la violence des protecteurs. Impossible d'occulter complètement le génocide indien et la violence inhérente des protecteurs
A la fin, Ray a abandonné son ancienne amie de l'autre côté du pont et n'a pas résolu sa crise de paternité
3-Mémoire oblique
Dans Le jour d'après, il n'y a pas de cadavres, même la statue de la liberté reste debout. Cependant le processus de juxtaposition centre-ville et avion catastrophe est appréhendée par les acteurs du film depuis la télévision. Il y a dans ce dispositif d'appréhension de la réalité la mémoire oblique de comment ont été appréhendés par les spectateurs les événements du onze septembre. Si reproduire la scène est interdit, l'imaginaire travaille le film
Dans Armaguedon, la phrase "Sadam nous attaque" faisait
rire. Dans La guerre des
mondes, les phrases de H. G. de Welles prennent un autre sens : "Il
semblait que tout le pays brûlait" "Ils sont déjà
parmi nous ".
Parmi d'autres, Robert Altman a déclaré que les terroristes ont pensé l'attentat comme un spectacle. Ils ont utilisé les moyens vidéo et Internet et de mise en scène qui sont ceux de la société du spectacle. Interprétation qui a sans doute le tort de culpabiliser la société américaine en la rendant responsable de ce qui lui arrivée. Plus que jamais l'acte de voir est un enjeu politique.
1-Se saisir du drame
Juste après les évènements deux films s'emparent de la réflexion critique autour du onze septembre : 11'09''01 September 11 et Fahrenheit 9/11
Viendront ensuite une série de films documentaires à la gloire des passagers des vols ou des sauveteurs intervenus dans les tours : 11 septembre ,World trade center ,11 septembre, les révoltés du vol 93 , Flight 93 (Peter Markle, 2007),ou plus critiques : Les héros sacrifiés du 11 septembre (X. Deleu et O. Denneunlin, 2008).
2- Patriot act , axe du mal et politique d'immigration
Eugenio Renzi voit une critique métaphorique du Potriot act dans Inside man et V pour Vendetta. En Amérique même, chacun est un terroriste en puissance l'ennemi est à l'intérieur. Cela remet en cause l'idée d'axe du mal, puisque le mal est au sein même de la société et que ce sont les membres de la société qui retourne la violence contre elle.
Dans L'échange (2008), Clint Eastwood, semble aussi s'attaquer aux Etats-Unis de l'après 11 septembre : aux mensonges d'état et à l'arbitraire de la détention permise par le Patriot act. Aussi abracadabrant que puisse paraître cet échange d'enfants, c'est une histoire vraie comme l'ont été les fausses preuves des armes de destructions massives. Les mesures prises contre Christine : son enfermement sans preuve, sans mandat de la justice et sans avocat sont de même nature que celles prises contre les prisonniers de Guantanamo. Eastwood va même jusqu'à placer dans la bouche du chef de la police la phrase prononcée par George Bush au sujet de Ben Laden : "ramenez-les moi plutôt morts que vifs". Il n'est cependant pas dans la nature du cinéma d'Eastwood de développer frontalement son message politique mais bien de le glisser comme une métaphore de la fiction.
The visitor de Thomas McCarthy montre comment un Irakien qui pourrait être fort bien s'intégrer à la vie artistique de New York est condamné à un retour dans son pays suite à la paranoïa sécuritaire qui s'empare de l'Amérique après les attentats.
Tous ces films qui montrent les reflets de la révolte au sein de la société américaine inquiètent celle-ci. Les Américains n'ont jamais voulu comprendre leurs ennemis qu'ils considèrent dans leur absolue altérité. Les westerns et les films de guerre américains font peu de cas de la psychologie de l'ennemi. A trop s'en approcher comme le fait le cinéma européen, on court le risque de l'humaniser et de montrer la guerre non comme une solution pour résoudre les conflits mais pour ce qu'elle est, une tragédie où s'entretuent des êtres humains.
3- Effacer le onze septembre
C'est une réification de la solution guerrière que se plie Kathryn Bigelow dans Zero dark thirty. Si elle prend acte -sans point de vue- de la torture comme moyen d'obtenir des renseignements auprès des terroristes, elle abandonne torturés (Ammar) et tortionnaires (Dan sans traumatisme une fois au siège de la CIA) sans que l'on sache ce qu'ils deviennent et comme si cela n'avait finalement guère d'importance. L'attaque de nuit de la cache fortifiée de Ben Laden dit l'efficacité de l'armée. Il n'est pas jusqu'aux bavures (atterrissage raté, tirs meurtriés sur des femmes) qui ne montrent l'humanité des soldats. Ben Laden n'est montré que du bout de la barbichette. Selon la volonté de l'administration Obama il s'agit bien de le faire disparaitre, d'éviter tout ce qui pourrait en faire un héros, un martyr. Que l'Amérique efface ces ennemis c'est chose hélas devenu banal, que son cinéma en fasse autant est tout aussi inquiétant.
Sources :
Zero dark thirty | Kathryn Bigelow | U.S.A. | 2012 |
L'échange | Clint Eastwood | U.S.A. | 2008 |
The visitor | Thomas McCarthy | U.S.A. | 2008 |
Cloverfield | Peter Reeves | U.S.A. | 2007 |
11 septembre, les révoltés du vol 93 | Bruce Goodison | U.S.A. | 2006 |
Inside man | Spike Lee | U.S.A. | 2006 |
World trade center | Oliver Stone | U.S.A. | 2005 |
Vol 93 | Paul Greengrass | U.S.A. | 2005 |
V pour Vendetta | James McTeigue | U.S.A. | 2005 |
La guerre des mondes | Steven Spielberg | U.S.A. | 2004 |
Le jour d'après | Roland Emmerich | U.S.A. | 2004 |
Fahrenheit 9/11 | Michael Moore | U.S.A. | 2004 |
Spiderman | Sam Raimi | U.S.A. | 2002 |
11 septembre | Jules et Gédeon Naudet | U.S.A. | 2002 |
Fusion | John Amiel | U.S.A. | 2002 |
Gangs of New York | Martin Scorsese | U.S.A. | 2002 |
11'09''01 September 11 | Film collectif | U.S.A. | 2002 |
Dommage collatéral | Andrew Davis | U.S.A. | 2001 |
Fight-club | David Fincher | U.S.A. | 1999 |
Piège de cristal | John McTiernan | U.S.A. | 1998 |
Jurassik park | Steven Spielberg | U.S.A. | 1997 |
Independance day | Roland Emmerich | U.S.A. | 1996 |