Accueil Fonctionnement Mise en scène Réalisateurs Histoires du cinéma Ethétique Les genres Les thèmes Palmarès Beaux-arts

V pour Vendetta

2006

(V for Vendetta). Avec : Natalie Portman (Evey Hammond), Hugo Weaving (V), Stephen Rea (L'inspecteur Eric Finch), Stephen Fry (Gordon Dietrich), John Hurt (Le chancelier Adam Sutler). 2h12.

Le 5 novembre 1605, la conspiration des poudres est déjouée. Guy Fawkes qui entendait protester contre la politique religieuse du roi James I en faisant sauter le Parlement est arrêté. Quelques jours plus tard, il est pendu sous les yeux de celle qu'il aime, la seule à protester parmi la foule qui voit dans le conspirateur un fanatique religieux.

Un 5 novembre, après avoir sauvé du viol la jeune Evey Hammond, un étrange personnage fait sauter l'Old Bailey, la cour criminelle suprême de Grande-Bretagne, et donne rendez-vous à ses compatriotes le 5 novembre suivant pour faire sauter le Parlement et renverser ainsi la dictature.

Dans la première moitié du XXIe siècle, à la faveur des peurs sécuritaires de la population, un régime ultra-conservateur nationaliste et policier s'est établi en Grande-Bretagne avec la victoire électorale d'Adam Sutler. Proclamé chancelier, Sutler institue une dictature reposant sur le contrôle médiatique, la délation, la surveillance et surtout sur une police politique et morale particulièrement efficace qui constitue les Doigts du chancelier. Dans cette Angleterre futuriste, la loi instaure un ordre puritain rigoureux proscrivant tous les comportements déviants moraux, sexuels ou religieux. Les oeuvres d'art, les livres, la musique, lorsqu'ils sont jugés immoraux, sont mis à l'index.

Pendant un an, alors que la police en la personne de l'inspecteur en chef Finch, et les Doigts le traquent, l'homme masqué qui se fait appeler V accomplit ce qui est pour lui une vengeance, une vendetta. Il tue d'importantes figures du régime et dépose près d'elles une rose rouge. Pendant cette même année Evey Hammond tente pour sa part d'échapper à la vigilance policière après avoir été enlevée par V lorsqu'elle paraissait compromise aux yeux de la police.

Et puis, un soir, elle est arrêtée, torturée. Prête à se laisser tuer pour ne pas trahir V, elle comprend qu'il était son tortionnaire. C'était en effet là le seul moyen qu'il avait de la faire changer et de lui donner une conscience politique.

D'abord furieuse, Evey se fera l'instrument de la vengeance de V. Le 5 novembre, la foule est là pour renverser la dictature.

Dès le prologue, le film est emporté par la jouissance du langage. La mort par l'épée, le feu ou la pendaison ne fait pas peur. Les larmes ou l'amour sacrifié ne vaincront jamais la puissance de l'idée.

Au début était le verbe donc. Qu'il soit désincarné, privé de la chair nécessaire à l'amour ne rend que plus fort sa violence.

Qu’Alan More, qui a écrit le scénario de la BD V pour Vendetta (1982-1988), n’en ait pas approuvé l’adaptation de James McTeigue et des frères Wachowski ne doit pas faire fuir le film par les inconditionnels de la BD. Jusqu’à présent Alan More n’a jamais approuvé les différentes visions cinématographiques de ses oeuvres, pas même celle de From Hell (1991-1998) par les frères Hughes en 2001. En outre, David Lloyd, le dessinateur, a participé au scénario du film V pour Vendetta.

Le parallèle évident du régime de Sutler avec celui du Big Brother de 1984 de George Orwell ne pourra manquer d’être fait. Notamment parce que dans la version de Michael Radford (1984, 1984), John Hurt qui interprète ici Sutler y incarnait le "bon", Winston Smith. Visuellement, le controle télévisuel de Sutler peut évoquer celui du patron de l'usine dans Les temps modernes et la salle de commande futuriste celle de Docteur Follamour.

Le film doit beaucoup aux frères Wachowski et pas seulement pour les combats ou les ralentis bullet time qui rappelle que James McTeigue était assistant réalisateur sur Matrix. Hugo Weaving, L'Agent Smith de ce film donne ici sa voix à V. Et les frères ont apporté leur génial bric-à-brac philosophique qui permet la construction de scénarios toujours sous-tendus et retravaillés par des valeurs morales ambigües.

Le scénario joue aussi très habilement sur la confusion des valeurs. La conspiration des poudres donne lieu aujourd’hui à des festivités en l’honneur d’une liberté religieuse préservée, alors que, paradoxalement, Guy Fawkes revendiquait la liberté religieuse. Ici l'utilisation de la torture, fut-elle morale est justifiée. Il s'agit pourtant d'une solution en temps de crise qui rapelle la même interrogation dans le Munich de Spielberg. Plus généralement le terrorisme n'est "justifié" que dans le cadre du "pays d'origine" (pas question d'aller poser des bombes chez les autres) et s'il reçoit l'assentiment du peuple.

Eugenio Renzi voit une critique métaphorique du Potriot act dans ce film qui peut ainsi se rattacher à ceux marqués par l'influnence du Onze septembre. En Amérique même, chacun est un terroriste en puissance. L'idée que l'ennemi est à l'intérieur remet en cause l'idée d'axe du mal, puisque le mal est au sein même de la société et que ce sont les membres de la société qui retourne la violence contre elle.

Jean-Luc Lacuve le 02/06/2006

Retour