Stan Brakhage a écrit de nombreux textes. Le public français a pu déjà accéder à certains. Métaphores et vision rassemble des réflexions, des fragments autobiographiques, des notes, des poèmes, des lettres. Manuel pour prendre et donner les films décrit les richesses du dispositif cinématographique. Un entretien avec le critique P. Adams Sitney est également disponible, Pour présenter Stan Brakhage.
The Brakhage Lectures fait aujourdhui découvrir une autre facette de son travail. A l'occasion d'un séminaire à l'école de l'Art Institute of Chicago, en 1970-71, le cinéaste commente l'oeuvre de grands noms du cinéma : Georges Méliès, David W. Griffith, Carl Th. Dreyer, et Sergueï Eisenstein.
Le temps de quatre biographies poétiques, il tente de déceler le projet fondamental de chacun, en mêlant des considérations sur les composantes techniques et matérielles du cinéma à une psychologie des profondeurs, inspirée de Freud et de Mélanie Klein.
Ces portraits tourmentés, parfois facétieux et toujours passionnés, montrent comment une technique s'érige en art à partir de désastres individuels et culturels. Stan Brakhage propose en effet une conception prométhéenne de la volonté créatrice ou plutot de l'aspiration authentique à l'art comme il l'exprime dans son introduction :
"Laissez moi vous dire, le plus simplement qu'il m'est possible : la quête d'un art... qu'il s'agisse de création ou d'appréciation... est la plus terrifiante aventure qu'on puisse imaginer. Elle mène toujours vers des régions inexplorées ; l'âme est menacée de mort à tous les tournants ; l'esprit s'éreinte complètement ; et le corps va et vient, sans fin en parcourant une terre de moins en moins familière ; Il n'y a AUCUN espoir de revenir du territoire découvert au bout de cette aventure ; et il n'y a aucun espoir d'être délivré de l'impasse dans laquelle une telle quête peut mener (…)
La société pervertira la signification du terme appréciation… en le confondant avec voyeurisme.. Dans le but de domestiquer les énergies de tout engagement actif. Car le véritable jugement esthétique parcourt exactement les mêmes chemins hasardeux que la création artistique, et débouche sur ce que la société appelle folie aussi sûrement que l'activité créatrice (vous pouvez trouver cela difficile à croire mais c'est qu'il existe dans notre culture moins d'aspiration authentique à l'art que d'exemples de créativité... et l'on se fait par conséquent une idée encore plus fausse du public que de l'artiste…Une idéologie partagée par des millions de gens qui croient avoir du goût et qui ont bien tort de croire une chose pareille ; Ils font penser à des alpinistes ivres qui escaladeraient un décor de montagne en papier mâché dans l'arrière cour d'un studio hollywoodien."
Nous redécouvrons alors quatre illustres cinéastes sous un éclairage inédit : Méliès, magicien saisi d'un délire maniaque en vue de réintégrer les morceaux de son être dispersé, et pris au piège de la machine cinématographique ; Griffith, allant jusqu'au sommet de sa puissance pour se sacrifier et jeter au visage de l'Amérique, limage de sa propre sauvagerie ; Dreyer, conformant son existence à la trame d'un conte de fée, luttant contre la raideur de sa culture pour instituer un nouveau classicisme ; enfin Eisenstein, s'efforçant d'apprivoiser l'horreur dont il fut saisi à la naissance, déployant malgré la censure communiste une esthétique du montage et un totémisme fabuleux.
Jean-Luc Lacuve le 15/01/2010
Format : 12.2 x 19 cm, 144 pages
Editions Capricci
Janvier 2010
13 €