A la recherche de John Ford

Joseph McBride

Traduit de l'américain (Searching for John Ford, New York, 2001) par Jean-Pierre Coursodon. Editions Actes Sud et Institut Lumière. Novembre 2007. 1 160 pages au format 14,5 x 24. Prix : 30,00 €

L'extrait choisi comme quatrième de couverture rappelle que Ford préférait sa famille de cinéma à sa famille réelle, qu'il était aimé des indiens et refusait de révéler sa sensibilité pour se contenter d'affirmer qu'il fait son boulot. L'extrait indique clairement qu'il ne s'agit pas ici d'une analyse des films de Ford. On préférera pour cela le John Ford de Patrick Brion, Le dictionnaire des films de Jacques Lourcelles ou les pages que lui a consacrées Gilles Deleuze dans L'image mouvement.

Joseph McBride écrit avant tout le roman d'une vie. L'arrivée de Jack Feeney à Hollywood, ses emplois subalternes puis son intronisation comme metteur en scène sous le regard jaloux de son frère John alors sur la pente descendante. Jack Feeney prend pour pseudonyme Jack Ford puis John Ford. Il méprise les producteurs, est espion en 1939, affiche des sentiments ambivalents à l'égard des Indiens, fait acte de bravoure à la bataille de Midway, prend une position complexe face à la liste noire, tolère l'antisémitisme de sa femme et de son fils, se révèle friand de médailles militaires, signe avec Rio Grande un film réactionnaire, puis s'intéresse aux minorités, traite Ava Gardner d'"actrice nulle", se dispute avec Henry Fonda pour des raisons politiques, adore les personnages de psychopathe...

Pour l'analyse des oeuvres, Joseph McBride se réfugie trop souvent derrière les critiques d'Andrew Sarris, assez impressionnistes. Au total, il n'est pas bien certain que la recherche de l'homme John Ford nous conduise à la connaissance de son oeuvre autrement que pour des généralités du type "Dans son oeuvre, les passages du drame à la comédie, rapides et vertigineux, sont les reflets de ses brusques changements d'humeur qui caractérise les alcooliques (p. 20)".

Le rapprochement entre John Ford et Orson Welles (p. 410, 411), justifié par l'amitié entre les deux hommes est aussi excessif. Certes, lorsqu'en 1967 on demanda à Orson Welles quels réalisateurs il admirait le plus, Welles fit cette réponse souvent citée : "Trois vieux maîtres : John Ford, John Ford et John Ford". Mais rapprocher leur vision sous prétexte que l'un utilisa parfois les techniciens de l'autre et qu'ils furent tous deux nominés aux Oscars en 1941 (Ford l'emportant avec Qu'elle était verte ma vallée sur Citizen Kane) n'est guère éclairant. Là encore les remarques d'Andrew Sarris sont pour le moins impressionnistes : "Les deux films sont l'œuvre d'hommes mûrs, marquant les débuts d'un "cinéma de la mémoire".

Le livre n'en reste pas moins une mine d'informations révélant des détails fort peu connus qui intriguent souvent le spectateur et dont il trouvera ici la réponse. Ainsi de l'influence picturale de Charles Scheyvogel devant celles de Frederic Remington ou de Charles M. Russel. Ainsi du lien entre chacun des films de la trilogie de la cavalerie, inspirés tous trois d'une nouvelle écrite pour le Saturday Evening Post, de Bellah, auteur ambivalent sur l'autorité de l'armée mais raciste et sans style.

Si Joseph McBride n'aime guère Le mouchard et préfère les derniers westerns de Ford, il se révèle un fin analyste des fins notamment de celles de Fort Apache et de L'homme qui tua Liberty Valance.

Joseph McBride remarque que quand York prend congé des journalistes pour mener ses troupes dans une autre campagne, il se coiffe alors du même type de calot très ancien qu'affectionnait Thursday et ne porte plus le chapeau mou que Thursday voyait comme l'expression d'un individualisme fantaisiste. Un geste de soumission tragique de York à la gloriole de Thursday et, à travers ce rebelle obéissant, une soumission à la cavalerie elle-même. Montrant la troupe quittant le fort, Ford reprend exactement les mêmes cadrages qu'il avait utilisés pour montrer Thursday conduisant ses hommes au massacre ; et la bande sonore reprend le même thème annonciateur du désastre : The Girl I left behind me.

Pour Joseph McBride, qui reprend les propos du cinéaste Jean-Marie Straub, le geste de York est la preuve que "Ford est le plus brechtien des cinéastes parce qu'il fait réfléchir les gens en faisant collaborer le public au film".

L'auteur précise aussi que l'on se méprend souvent sur l'attitude de Ford face à la formule finale de L'homme qui tua Liberty Valance : quand la légende dépasse la réalité, on imprime la légende. Ford nous a donné lui au contraire tous les éléments pour connaître cette vérité. Vérité par ailleurs assez triste : le monde de Tom Deniphon a disparu et peut-on être fier de la réalité qui lui a succédé ?

Filmographie complète en fin d'ouvrage ainsi qu'un index des films cités trés utile. Par ailleurs le rapport prix/page très faible devrait permettre à cet ouvrage de dépasser le public des seuls fans de John Ford et toucher tous ceux qui s'intéressent aux temps des studios américains ou aux biographies.

Jean-Luc Lacuve, le 12/01/2008