PUTTIN' ON THE RITZ, Fred Astaire and the Fine Art of Panache
de Peter J. Levinson.

Un article de Patricia Guinot.

Après une vingtaine de livres de qualité très inégale consacrés à Astaire, l'ouvrage de Peter J. Levinson n'apporte rien d'original à l'abondante bibliographie déjà publiée sur le danseur-acteur-chanteur et musicien qui comptait parmi les personnalités les plus discrètes et réservées du cinéma.

On ne peut que s'interroger sur les intentions de M. Levinson (décédé en octobre 2008) et sur le réel intérêt de dédier plus de 400 pages à des thèmes maintes fois évoqués par des spécialistes plus ou moins éminents au cours des trente dernières années. Le livre n'évite pas la compilation des publications précédentes, un défaut auquel il semble désormais difficile d'échapper en ce qui concerne Astaire.

Entre sa carrière qui a duré près de quatre-vingts ans et qui a déjà été analysée en abondance (son dernier film en tant qu'acteur, Ghost Story, réalisé par John Irvin, est sorti en décembre 1981) et des tentatives plus ou moins réussies de biographies, on se demande ce que l'on peut encore lire de passionnant sur l'homme et l'artiste. Le livre laisse une impression de malaise car il accumule un lot d'approximations et de déclarations parfois difficilement vérifiables qui ne peuvent que déranger un lecteur scrupuleux, même si M. Levinson a voulu se démarquer en recueillant une masse de témoignages d'acteurs, producteurs, chorégraphes, musiciens, voire d'enfants de personnalités célèbres. M. Levinson avait déjà consacré des biographies à Tommy Dorsey, Harry James et Nelson Riddle, et il semble être plus un spécialiste de musique que de cinéma. Dès les premiers chapitres, certaines erreurs historiques importantes ne peuvent que choquer : la plus flagrante est celle où M. Levinson mentionne George Stevens comme étant le metteur en scène de Top Hat (pp. 4 et 49) puis au détour des pages 78 et 79, il évoque Mark Sandrich autour des préparatifs du film. (Mark Sandrich -bien entendu- réalise Top Hat avec Astaire et Rogers en 1935 après avoir mis en scène La Joyeuse Divorcée.)

Le livre divisé en treize chapitres démarre par les inévitables débuts sur scène de Fred et sa sœur Adèle.

Fred et Adèle Astaire à Broadway
M. Levinson évoque la carrière modeste -à l'origine- du père (d'origine autrichienne) comme vendeur dans une brasserie d'Omaha (Nebraska) jusqu'au départ des deux jeunes enfants accompagnés de leur mère pour New-York. Le recours au jugement d'un psychiatre qui n'a jamais côtoyé Fred Astaire (Tim Satchell avait fait la même erreur) pour analyser son manque de confiance et une personnalité "torturée par des insécurités" laisse perplexe. Les lieux communs abondent (p.15): "Il semble apparent que Fred a aussi fait l'inventaire de sa personnalité timide et effacée et l'a envisagée comme un atout, non pas comme un handicap. Il croyait que : ' tout le monde fait allusion à Adèle -elle se démarque beaucoup plus- mais si je peux continuer à travailler dur et à danser et finalement donner ma propre précieuse contribution, les gens commenceront à faire attention à moi. Nous serons égaux sur scène. Maman appréciera également.' C'est de là que proviennent son besoin incessant et sa tendance à rechercher la perfection." Les remarques banales sur les tendances compulsives d'Astaire à répéter et ses besoins de perfection ne peuvent qu'agacer, le livre regorge d'allusions sur son perfectionnisme notoire. Il semble évident -après tout- que la danse, en particulier, oblige à se vouer à une discipline implacable. Les répétitions incessantes d'Astaire et son manque de confiance relèvent peut-être d'un passé moins connu, ou bien tout simplement d'une personnalité naturellement angoissée, mais l'analyse lointaine d'un médecin n'apporte, en l'occurrence, rien de définitif ou d'exceptionnel.

Une notoriété grandissante sur scène
Rien de nouveau, non plus, quant à la narration des années glorieuses d'Adèle et Fred sur les scènes new-yorkaises, où le frère et la sœur interprètent des spectacles marquants à partir des années 20, comme For Goodness Sake. Le titre de la pièce- initialement produite à New-York en février 1922- avec des chansons additionnelles de George et Ira Gershwin, change et se transforme en Stop Flirting où elle sera jouée à Londres à partir de mai 1923, pendant plus de 400 représentations avec notamment la chanson Stairway to Paradise, interprétée bien des années plus tard par Georges Guétary dans Un Américain à Paris de Vincente Minnelli. A cette même époque, Noël Coward, qui s'était lié d'amitié avec Astaire lui demande de chorégraphier des danses dans London Calling, où Coward jouait aux côtés de Gertrude Lawrence. Il encourage Astaire à suivre une formation musicale plus approfondie à la Guildhall School of Music. C'est dans Lady, Be Good (musique et paroles de George et Ira Gershwin) qui démarre à New York en décembre 1924 et totalise 330 représentations que Fred Astaire commence à introduire des numéros de claquettes dans ses danses (p.59, Larry Billman, a Bio-Bibliography- Fred Astaire) et la chanson Fascinating Rhythm composée par les frères Gershwin est un des premiers exemples d'une interprétation de jazz à Broadway.

Des spectacles importants avant les débuts de Fred Astaire à Hollywood
La saison théâtrale est brillante à cette époque, avec la première comédie musicale de Richard Rodgers et Larry Hart, Al Jolson qui joue dans Big Boy et Eddie Cantor dans Kid Boots. Au cours des représentations de Funny Face (spectacle joué à partir de novembre 1927 à l'Alvin Theatre de New York) Fred et Adèle passent leurs premiers tests devant la caméra à la demande de Walter Wanger, des essais qui se révèlent peu concluants. Le film Funny Face sera tourné bien des années plus tard par Stanley Donen (1957) avec Astaire et Audrey Hepburn.

Fred Astaire, à la demande de David O. Selznick, fit en janvier 1933 un deuxième test devant la caméra dont les commentaires sont bien connus : "Ne sait pas jouer. Légèrement chauve. Danse un peu." Les années 30 marquent la fin d'une longue période passée sur scène pour les Astaire. Au moment où Fred et Adèle jouent à Broadway dans Smiles, produit par Florenz Ziegfeld, une jeune actrice du nom de Ginger Rogers danse sur scène un numéro chorégraphié par Fred Astaire "Embraceable You" dans la comédie musicale Girl Crazy, musique et paroles de George et Ira Gershwin : "Cet après-midi là vers 16H, un gentleman très élégant est entré dans le théâtre et s'est dirigé vers le foyer, où nous étions en train de travailler. Son nom était Fred Astaire. Alex Aarons a suggéré que l'on passe en revue tous les numéros, afin que Fred puisse les voir. […] C'était la première fois que je dansais avec Fred Astaire. " (p.66, Ginger : My Story). Fred Astaire joue peu de temps après au New Amsterdam Theatre de New York dans The Band Wagon (musique et paroles d'Arthur Schwartz et Howard Dietz) aux côtés de sa sœur Adèle, de Franck Morgan, Helen Broderick et Tilly Losch. Ce spectacle est le dernier interprété par Adèle Astaire avant son mariage avec Lord Cavendish et son retrait définitif de la scène. Ginger Rogers assiste à l'une des représentations de The Band Wagon avec Fred Astaire : "Bien que ses danses avec Adèle tendaient à être asexuées en raison de leur relation, un numéro comme " Dancing in the Dark " avait des connotations très sensuelles. Si j'avais su que je serais la partenaire de Fred d'ici quelques mois, j'aurais fait davantage attention à chaque pas et à chaque pause ; mais en cet instant, j'étais transportée par la joie que sa danse apportait à mes yeux et à mon cœur. " (p.79, Ginger : My Story)

Astaire et Rogers à la RKO
Si la notoriété cinématographique de Rogers était plus importante que celle d'Astaire au moment où ils dansent ensemble pour la première fois dans le film Flying Down to Rio (1933, Thornton Freeland), M. Levinson fait cependant une erreur quand il souligne que Ginger Rogers était déjà apparue dans vingt-cinq films (p.68) et il est très étonnant qu'il n'ait pas vérifié qu'elle avait tourné -en réalité- dix-neuf films pour des studios comme la Paramount en 1930 et 1931, la RKO-Pathé en 1931 et 1932 ou la Fox en 1932 ou bien encore la Warner Bros en 1933 qui avait produit des films comme 42nd Street (Lloyd Bacon, 1933) ou Gold Diggers of 1933 (Mervyn LeRoy, 1933). Fred Astaire pour sa part n'avait tourné qu'un seul film Dancing Lady (Robert Z . Leonard, 1933) aux côtés de Joan Crawford et Clark Gable. Dorothy Jordan qui devait à l'origine être la partenaire d'Astaire dans Flying Down to Rio s'est désistée pour épouser le producteur Merian Cooper, mais elle était la doublure d'Adèle sur scène à Broadway pour Funny Face. Le chapitre que consacre M. Levinson à cette période est insatisfaisant, non seulement son analyse reflète un point de vue limité mais aussi des inexactitudes difficiles à admettre. Les raisons pour lesquelles Astaire ne désirait pas avoir de partenaire attitrée à son arrivée à Hollywood ne sont pas bien expliquées, il n'était pas qu'"une star tourmentée et exigeante" comme le remarque l'auteur, mais aussi un homme qui, à l'âge de 33 ans, avait passé vingt-sept ans de sa vie professionnelle en compagnie de sa sœur. Quand il se produit sur scène à partir de novembre 1932 aux côtés de Claire Luce dans Gay Divorce, Walter Winchell dans le Daily Mirror fait allusion au "talentueux frère de Lady Cavendish" et un critique n'hésite pas à dire que "Fred Astaire s'arrête ici et là pour regarder dans les coulisses comme s'il espérait que sa fameuse sœur Adèle puisse apparaître et le secourir" (p.178 Steps In Time, Fred Astaire). On comprend mieux alors, comme l'expliqua très bien Rogers, dans le documentaire de la chaîne PBS, Puttin On His Top Hat : "C'était toujours Fred et Adèle puis cela devint Fred et Ginger, et il a dû être fatigué d'être constamment accouplé avec quelqu'un".

Une série d'inexactitudes
Dans le chapitre qu'il consacre à Fred et Ginger, M. Levinson fait des erreurs aussi bien dans ses remarques sur certains films que dans des citations. Non seulement la fameuse robe à plumes que porte Rogers dans Top Hat n'était pas rose, comme il le mentionne, mais bleue et il suffit de se référer aux explications de Rogers dans Ginger : My Story (p.124) pour réaliser qu'elle avait demandé à Bernard Newman de dessiner une robe bleue : "Un bleu pur sans vert dedans. Comme le bleu que l'on trouve dans les peintures de Monet. [..] Bernie l'a dessinée comme je l'ai demandé. Il semble drôle de parler couleur quand on tourne un film en noir et blanc, mais le ton devait être harmonieux. " De même, M. Levinson se trompe dans le scénario du film Shall We Dance (Mark Sandrich, 1937) quand il fait allusion au fait qu'Astaire chante à Rogers They Can't Take That Away from Me sur le ferry qui les ramène à New York alors qu'ils ne sont pas encore mariés.

On s'interroge comment M. Levinson peut citer de manière inexacte Arlene Croce (p.90), quand elle compare dans son livre The Fred Astaire et Ginger Rogers Book (p.101) Swing Time et Top Hat. Une erreur regrettable porte aussi sur la fameuse réplique qu'avait écrite le caricaturiste Bob Thaves en 1982 pour illustrer son dessin où l'on voit des cinéphiles en train de patienter pour assister à un festival Fred Astaire et commenter de concert : " Sûr, il était super, mais n'oubliez pas que Ginger Rogers faisait exactement la même chose, mais en arrière et avec des talons hauts ! "

Hannah Hyam, spécialiste d'Astaire et Rogers, auteur du livre Fred and Ginger* insiste sur les faits suivants : "Quand il cite de manière inexacte et qu'il attribue à tort à Ginger Rogers cette fameuse réplique, Peter Levinson lui fait une grande injustice. Elle n'était pas aussi immodeste pour pouvoir dire, comme il le suggère, 'Je ne comprends pas pourquoi on fait tant de battage autour des danses de Fred Astaire. Je faisais les mêmes pas, seulement en arrière et en talons hauts'.
Comme elle l'explique dans son autobiographie, le commentaire appartient à un caricaturiste d'un journal de Los Angeles. Assez naturellement, Rogers a apprécié la caricature, tout en remarquant qu'un nombre incalculable de personnalités s'est attribué la réplique depuis lors. Elle aurait certainement détesté la suggestion qu'elle en était responsable".

Hannah Hyam souligne également que : "Levinson suggère aussi (p.114), qu'en réfutant le fait qu'Astaire ait pu être son mentor, Rogers révélait son amertume à 'avoir été l'autre danseuse de Fred'. Elle n'avait aucun ressentiment contre lui, mais était, et c'est légitime, soucieuse de revendiquer son apport en tant que partenaire indépendante et égale d'une équipe, face à des commentateurs qui dénigraient sa contribution. Astaire n'était clairement pas son mentor (comme il aurait été le premier à le reconnaître) ; Rogers était, comme elle le dit, totalement indépendante, et il est dommage que Levinson mette en avant un point de vue si négatif."

Des clichés répétitifs et un manque d'analyse
Après tant d'ouvrages, on aurait souhaité que le livre apporte une perspective plus subtile sur le partenariat Astaire/Rogers. Les difficiles conditions de travail de Rogers ne sont pas évoquées, ni le fait qu'elle fut, un temps, moins payée que les seconds rôles, Edward Everett Horton et Victor Moore. Ses revendications salariales légitimes étaient assimilées à de l' " avidité " et le studio pouvait lui demander de tourner jusqu'à quatre films par an (1). Peter Levinson insiste sur l'influence de Lela Rogers, la mère de Ginger, dans les négociations contractuelles avec la RKO et le producteur Pandro Berman, mais d'un point de vue critique très limité (le fait que " les manières agressives " (p.114) de Lela aient pu irriter Fred Astaire sont difficilement vérifiables).


Elizabeth Kendall** est écrivain, critique de danse. Son livre The Runaway Bride analyse un grand nombre de classiques de la comédie romantique à Hollywood dans les années 30, des films de Preston Sturges, Franck Capra, Leo McCarey ou encore Gregory La Cava et George Stevens. Elle consacre des chapitres à Stage Door et Swing Time.
Cette enquête exhaustive l'a amenée notamment à interviewer le producteur Pandro Berman quelques années avant son décès en 1996. A ma question sur le rôle de Lela Rogers, Elizabeth Kendall remarque : "Lela Rogers était une forte personnalité, elle avait été une journaliste indépendante et seule une bonne partie de sa vie avant de superviser la carrière de sa fille. Lela était une avocate déterminée pour Ginger dans une bureaucratie Hollywoodienne épineuse (et Ginger en avait bien besoin, puisqu'elle était considérablement moins payée que Fred ne l'était). Lela et Ginger véhiculaient une esthétique autour d'elles, une sorte de style 'culture-pop' que l'on comparait à l'air élégant et prétendu aristocrate de Fred. Le sujet de la 'classe sociale' est présent, mais on n'en discute pas, dans beaucoup de films Hollywoodiens des années 30. Astaire, comme Katherine Hepburn, étaient considérés comme l' 'élite' par les responsables de la RKO, ils étaient traités avec respect, et très bien payés. Lela et Ginger semblaient être moins bien 'considérées socialement', comme beaucoup de ces starlettes blondes de l'époque. Et bien que Rogers soit extrêmement talentueuse, très habile en ce qui concerne les angles de la caméra, la démarche, un sens du rythme, naturelle, sans nervosité, ces conventions de classe sociale ont affecté son image publique jusqu'à maintenant, malgré tout son talent. Les étudiants en cinéma qui reconsidèrent cette époque doivent corriger ces présomptions de classe légèrement insidieuses. J'avais rencontré Ginger Rogers, vers la fin de sa vie, quand elle mettait en scène une comédie musicale dans la banlieue de New-York, elle était amicale, accueillante et clairement respectée par tous les membres de la troupe."

Tous ces clichés afférents à la classe sociale provenaient peut-être aussi du fait que Fred Astaire et sa sœur Adèle avaient sympathisé, pendant la période où ils jouaient sur scène à Londres, avec des membres de la famille royale Britannique. Peter Levinson termine le chapitre Astaire/Rogers par le fait que la RKO n'était pas en bonne situation financière lors du tournage de Carefree et The Story of Vernon and Irene Castle, apparemment la fascination du public s'étiolait, ce qui est exact ; mais on se demande pourquoi l'auteur choisit de clore le chapitre par la remarque de Pandro Berman selon laquelle la collaboration entre "Fred et Ginger" aurait représenté "six années d'agression mutuelle". Une conclusion hâtive et peu originale qui va même à l'encontre des déclarations d'Astaire/Rogers, notamment dans le documentaire The RKO Story (BBC, 1987), où l'un et l'autre font allusion aux besoins de battage publicitaire des studios hollywoodiens.

Elizabeth Kendall ajoute d'ailleurs que : "Ma sensation en ce qui concerne le partenariat de Fred et Ginger, c'est que l'équipe (où Hermes Pan, le co-chorégraphe, était si important) a travaillé facilement et bien ensemble. Ma longue interview avec Pandro Berman dans les années 80, chez lui, m'a donnée cette impression. Il m'est apparu comme un vrai professionnel et d'un abord facile. L'équipe travaillait très, très dur, jusque tard dans la nuit, spécialement pour filmer des numéros de danse. Il y a peut-être eu des mini-crises de nerfs parfois, mais je pense vraiment que toutes ces histoires étaient montées en épingle par les échotiers à la recherche de scandale."

Astaire, chanteur et musicien
Le chapitre le moins fastidieux est peut-être celui consacré à cet aspect de la carrière d'Astaire bien qu'il n'échappe pas aux louanges répétitives sur sa musicalité et ses qualités bien connues d'interprète. Tous les grands compositeurs avaient déjà depuis longtemps vanté ses talents de chanteur et les remarques sont banales. Sa diction parfaite, son élégance aristocratique, tous les clichés perdurent et n'apportent finalement rien de neuf. Ahmet Ertegun, un magnat important de l'industrie du disque, souligne la différence entre Sinatra, l'homme de la rue, qui chantait pour "les masses", tout comme Bing Crosby, et Astaire, pour les gens de "goût".

Il semble qu'il y ait une confusion lorsque M. Levinson mentionne le "compositeur" Lionel Blair (p.313) lors de l'enregistrement de l'album A Couple of Song and Dance Men avec Bing Crosby en 1975 sous la houlette de Ken Barnes. Lionel Blair (né en décembre 1931 à Montréal) est plus connu en tant que chorégraphe, danseur de claquettes que comme compositeur. M. Levinson a toutefois la bonne idée de mentionner le remarquable critique Will Friedwald, qui est l'auteur d'une pertinente étude incluse dans le CD "Fred Astaire et Ginger Rogers à la RKO". Les commentaires de Will Friedwald qui accompagnent ce CD en disent, en définitive, beaucoup plus en une trentaine de pages sur la période Astaire/ Rogers à la RKO que le passage insuffisant que consacre M. Levinson à cette époque pourtant déterminante. L'aspect le plus intéressant du chapitre est celui où l'auteur évoque les qualités de musicien de Fred Astaire. Louis Bellson, un batteur qui a joué pour Duke Ellington, Count Basie, Harry James et Tommy Dorsey explique qu'Astaire aurait certainement pu devenir un grand batteur, rien que par la manière dont il " utilise ses pieds.[… ] La façon dont il bougeait, ses mains étaient bien placées, ses genoux également, et il avait aussi ce sens du rythme. " Astaire, qui n'était pas satisfait de ses prestations dans Daddy Long Legs demanda aussi à se perfectionner auprès de Jackie Mills. L'anecdote amusante relatée par Robert Walker Jr. (le fils de Jennifer Jones et de Robert Walker) alors âgé de 15 ans, où il explique avec humour comment Astaire lui donna une leçon de batterie, tranche un peu avec la monotonie du reste du chapitre. Astaire composa 27 chansons, la première est écrite en 1919 pour la comédie musicale Apple Blossoms dans laquelle il interprétait une de ses compositions. Rhythmic Boogie Woogie apparait dans le film Blue Skies (1946, Stuart Heisler) avec Bing Crosby et Joan Caulfield, tout comme Piano Dance (composée en collaboration avec Tommy Chambers) est interprétée dans le film Let's Dance (1950) de Norman Z. McLeod.


Un acteur talentueux et des rôles intéressants
Même si Astaire continue à danser dans les années 60, notamment à la télévision, où il se produit à partir de 1958, Elvis Presley et consorts contribuèrent à un changement culturel. L'ère de la comédie musicale des années 40 et 50 révolue, Astaire tourne en tant qu'acteur dans un rôle dramatique dans On the Beach de Stanley Kramer (1959) aux côtés de Gregory Peck, Ava Gardner et Anthony Perkins, un rôle refusé par Alec Guiness et Ralph Richardson. Le livre n'apporte rien de nouveau sur ses prestations remarquées dans The Pleasure of His Company de George Seaton (1961) avec Debbie Reynolds, Lilli Palmer et Tab Hunter, et The Notorious Landlady de Richard Quine en 1962 aux côtés de Jack Lemmon et Kim Novak. Les remarques de Debbie Reynolds (p.327): " Il était un homme d'affaires. Il me disait : 'Je voulais gagner ma vie' " ou celles de Tab Hunter, qui relate ses affinités hippiques avec Astaire et le fait que la star lui ait un jour posé la question où il jouait du piano : " Est ce que ça allait, Tab ? " (p.328) ne contribuent pas en originalité. Ces banalités s'additionnent jusqu'au tournage de Finian's Rainbow de Francis Ford Coppola (1968) avec Petula Clark, Tommy Steele et Keenan Wynn, un film qualifié plus tard de " désastre " par Coppola. Nommé aux Oscars (Best Supporting Actor) pour son interprétation remarquée dans La Tour Infernale de John Guillermin (1974), cette année-là Robert De Niro remporte la récompense.

Des allégations de racisme

Le livre, pour essayer de gagner en originalité par rapport aux précédents, se devait de trouver des thèmes encore peu abordés. Astaire n'était pas l'homme à afficher de manière ostentatoire des opinions politiques catégoriques. Quelques anecdotes jalonnent l'ouvrage et évoquent un comportement ambigu quant à ses rapports à la communauté noire d'Hollywood. Chico Hamilton (un batteur qui joua longtemps pour Lena Horne) se souvient avec amertume du manque de considération avec lequel l'orchestre de jazz fut traité lors du tournage de You'll Never Get Rich (Sidney Lanfield, 1941) tout comme Buddy Collette qui jouait de la clarinette dans le film. Les musiciens percevaient $100 par jour et : "Nous étions traités comme des moins que rien. "

M. Levinson cite (p.126) l'écrivain afro-américain Stanley Crouch : "La plupart des gens dans le show-business sont des lâches. Ce n'est pas inhabituel -Fred Astaire ne s'affirmant pas, ne disant pas, 'ça ne va pas'. James Cagney aurait pu, Humphrey Bogart aurait pu, Edward G. Robinson aurait pu, mais ils n'étaient pas représentatifs de la façon dont la plupart de ces gens se comportaient. "

L'actrice noire Jeni Le Gon, qui avait un petit rôle dans Easter Parade (Parade de Printemps) se souvient que Fred Astaire ne lui a jamais adressé la parole entre les prises : " Il ne m'a jamais reconnue comme la personne qui avait dansé avec lui pendant des répétitions des années auparavant. " M. Levinson explique que Jeni Le Gon avait tourné en 1935 son premier film à la RKO avec Ann Sothern, Gene Raymond, Bill Robinson et Fats Waller (p.161). Le Gon relate que : "Pendant le tournage de Hooray for Love, Astaire et Rogers étaient les stars du monde. Bill Robinson connaissait Fred quand il était sur la Côte Est. Nous allions les voir [Astaire et Rogers] répéter, ensuite ils passaient et nous regardaient répéter. Et parfois il nous arrivait de danser tous ensemble et d'échanger des pas. Donc, je connaissais Fred et Rogers." Trou de mémoire, timidité ? La remarque, selon laquelle Astaire respectait les artistes noirs pour leur talent mais ne pouvait pas les considérer autrement que comme des collègues, reste à prouver.

Lors des émeutes de Watts à Los Angeles en août 1965, le scénariste Budd Schulberg fit appel à la générosité d'acteurs tels que Jack Lemmon, Gregory Peck et Sammy Davis Jr. Budd Schulberg qui avait croisé Astaire auparavant chez Bennett Cerf et l'avait jugé distant, téléphona à Astaire, et il aurait obtenu la réponse suivante : "Budd, qui vous a donné l'impression que je serais intéressé par donner de l'argent pour démarrer un atelier afin d'aider les gosses noirs ? Vous vous trompez de bonhomme. " Rappelons que Budd Schulberg était connu pour ses opinions politiques de gauche et qu'il fut le scénariste de Sur les Quais d'Elia Kazan, avec Marlon Brando. Astaire collabora avec des artistes afro-américains, de Count Basie à Oscar Peterson, et son hommage à Bill Robinson dans Swing Time est évident, comme le remarque Stanley Crouch, la dignité dans le numéro était réelle jusqu'à la manière dont les danseurs dans le chœur bougeaient.

Astaire prit d'ailleurs dans sa jeunesse des leçons de claquettes sur la scène du Ziegfeld Theatre auprès du danseur afro-américain John Bubbles. Il donna 400 dollars à Bubbles qui déclara que c'était "un chic type". Astaire admirait les Nicholas Brothers et se lia d'amitié avec Fayard Nicholas (1914-2006) qui relate une visite à la RKO pendant qu'Astaire travaillait sur Top Hat, où ils firent ensemble quelques pas de claquettes : " ….Fred était au milieu, mon frère d'un côté, et moi de l'autre. Nous avons dansé environ sur huit mesures. Une fois terminé, on s'est serré la main et nous sommes restés amis depuis lors. " (p.82). Fayard Nicholas qui rend aussi hommage au travail de Rogers : " C'est avec Ginger qu'il se sentait mieux. Qu'il paraissait le mieux […] Il avait tant de classe. " Les duos des Nicholas Brothers dans des films comme Down Argentine Way (1940), ou Stormy Weather (1943) sont un peu oubliés aujourd'hui et c'est regrettable.

Une personnalité complexe ?

La désagréable impression (qui ressort de ces allégations de racisme) perdure quand on en arrive aux remarques sur Astaire et ses relations professionnelles avec certains collègues de travail. La somme importante d'interviews recueillies n'amène rien de bien nouveau, et le fait de vouloir contrecarrer l'image d'une personnalité affable et sympathique- pour se démarquer des livres précédents- n'obtient pas l'effet escompté.

Les tensions lors du tournage de The Band Wagon (1953, Vincente Minnelli) entre Nanette Fabray et Astaire ont déjà été relatées ailleurs ; Nanette Fabray qui déclara qu'"il était un dictateur qui l'avait fait travailler plus durement et plus longtemps que n'importe qui." d'après l'actrice : "C'était l'expérience la plus froide, la plus inamicale-la plus terrible si l'on se réfère au monde du show business ". (p.186).

Les frictions entre Kay Thomson et Astaire pendant le tournage de Funny Face et les remarques de Stanley Donen, selon lesquelles : " Fred n'a jamais rien dit, mais il était clair qu'il a détesté le numéro 'Clap Yo' Hands' avec Kay, et elle se sentait mal à l'aise. Je pense que la raison principale, c'est qu'il […] préférait des femmes extrêmement féminines comme Ginger….. " restent à prouver (p.210).

Les problèmes relationnels entre Kay Thomson avec Astaire ne sont guère vérifiables. M. Levinson (p.175) mentionne les remarques déplaisantes qu'auraient faites Fred Astaire à propos de Judy Garland, et les liens étroits entre Kay Thomson et la famille Minnelli n'auraient apparemment rien fait pour faciliter ses relations avec Astaire, mais là encore rien n'est démontré. Levinson se repose parfois sur le livre de Tim Satchell (un livre souvent contesté, quant à la fiabilité de certaines de ses affirmations, voir Larry Billman, A Bio-Bibliography, p.301). Il semble d'ailleurs que Fred Astaire ait toujours apprécié le talent de Judy Garland. Bref…. Toutes ces suppositions ne rassurent guère… et la biographie cède souvent la place aux bavardages inutiles. Joseph Epstein(2) avait procédé de la même manière dans son étude sur Astaire publiée l'année dernière (octobre 2008) et ses palabres n'étaient pas plus convaincantes.

Certaines remarques triviales au détour de quelques pages du livre de M. Levinson sont peu flatteuses pour Astaire ou Rogers, mais elles apparaissent comme des commérages déplacés. Tout ceci prête à sourire. Fred Astaire, un homme enclin à la discrétion, qui ne recherchait pas les hommages et redoutait les interviews, eut-il réagi favorablement à un tel livre ? Aux lecteurs d'en juger.

Patricia GUINOT, le 26/05/2009


(1) Voir l'article Les conditions de travail dans les grands studios américains. L'exemple de Ginger Rogers à la RKO. 1933/1939.
(2) Fred Astaire, par Joseph Epstein.

Remerciements :
- Hannah Hyam* et Elisabeth Kendall** qui ont bien voulu m'accorder un entretien.

Bibliographie :
Pour une étude exhaustive sur Fred Astaire, les références demeurent les livres de :
- Billman, Larry : A Bio-Bibliography (Bio-Bibliographies in the Performing Arts, N° 76 Westport, Connecticut, and London: Greenwood Press, 1997), ce livre est une manne pour tout cinéphile, il relate toute la carrière d'Astaire en détail, carrière au théâtre, filmographie détaillée, radio, télévision, discographie, vidéographie, compositions, etc.
- Mueller, John : Astaire Dancing : The Musical Films (New-York: Alfred A. Knopf, 1985, et Londres: Hamish Hamilton, 1986) : il analyse de manière détaillée, technique et chronologique les numéros musicaux de tous les films de Fred Astaire.

En ce qui concerne Fred Astaire et Ginger Rogers :
-Croce, Arlene : The Fred Astaire and Ginger Rogers Book (New-York, 1972) propose une analyse détaillée et très sensible de leur partenariat.
-Hyam, Hannah : Fred and Ginger (Pen Press Publishers Ltd, UK, 2007), un ouvrage d'amour sur le couple, très bien construit, et un bel hommage à la contribution de Ginger Rogers.
-Kendall, Elizabeth : The Runaway Bride (New-York : Cooper Square Press, 2002), ce livre rédigé par une universitaire, se focalise sur la comédie romantique des années 30 à Hollywood. Fort bien écrit et très bien documenté, Elizabeth Kendall analyse les films de Franck Capra, Gregory La Cava, Preston Sturges ou George Stevens. Elle consacre un chapitre à Swing Time. Elizabeth Kendall est aussi critique de danse.


Filmographie :
En ce qui concerne les témoignages de Fred Astaire et Ginger Rogers sur leur collaboration, les documentaires suivants sont les références indispensables :
- Fred Astaire : Puttin'On his Top Hat (1980), (Educational Broadcasting Corporation - 60 minutes) où Ginger Rogers témoigne de ses relations professionnelles avec Fred Astaire.
- The RKO Story : Tales from Hollywood (BBC, 1987), deux épisodes (de 60 minutes chacun) incluent des interviews exceptionnelles d'Astaire et Rogers, du chorégraphe Hermes Pan et du producteur Pandro S. Berman.
- It Just Happened, documentaire de Robert Kuperberg et Gérard Paquet (Arte, France, 1988), sur Hermes Pan, un témoignage intéressant sur la collaboration Astaire/ Rogers à partir d'une interview de leur chorégraphe/assistant à la RKO.
- L'Art de Fred Astaire (Arte, France, 2004, 73 minutes) réalisé par Catherine Dupuis, couvre la période Astaire/Rogers à la RKO (une version un peu remaniée d'un premier documentaire de Catherine Dupuis sur Fred Astaire, avec un commentaire de Claude Villers : " Dancing Time " en 1974).

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PUTTIN ON THE RITZ
426 pages. St.Martin's Press. Mars 2009. 24,41 €
2009
Peter J. Levinson