Le livre de Joseph Epstein s'ajoute à une liste déjà impressionnante d'études sur l'une des carrières les plus marquantes du cinéma, mais il n'échappe pas aux défauts inhérents du genre et il relève plus d'une analyse sur la personnalité de Fred Astaire que d'une biographie.

Il évoque son partenariat avec sa sœur Adèle, du départ de la famille d'Omaha (Nebraska) jusqu'à l'arrivée à New-York où les deux enfants, sous l'égide du directeur d'une école de danse, Claude Alvienne, perfectionnent leurs dispositions déjà apparentes très jeunes. Fred, enfant (qui a deux ans de moins que sa sœur) joue Roxane, à l'âge de six ans, dans une représentation de Cyrano de Bergerac, flanqué d'une perruque blonde et d'une robe en satin aux côtés d'Adèle, la plus grande deux, dans le rôle titre !

 

Si Adèle Astaire accordait peu d'intérêt aux incessantes répétitions (par rapport au perfectionnisme bien connu de son frère) elle avait une présence indéniable sur scène. Le partenariat dure jusqu'à son mariage en 1932, avec un gentleman anglais, à l'âge de trente-quatre ans. De Florenz Ziegfeld à George Gerschwin ou Noël Coward, tous ont côtoyé Fred et Adèle dans les années 20 à Broadway. Leur notoriété égalait celle de Fanny Brice (plus tard interprétée dans le film Funny Girl de William Wyler par Barbra Streisand en 1968) ou Al Jolson (Le Chanteur de Jazz d'Alan Crosland, 1927). Le Prince de Galles aurait vu leur spectacle Stop Flirting en Angleterre une dizaine de fois.

Deux chapitres traitent du physique et de l'élégance de l' "homme" Fred Astaire, une étude déjà faite auparavant en ce qui concerne "Le Style Fred Astaire" par G. Bruce Boyer dans un ouvrage publié aux Editions Assouline en 2004 avec de superbes photos, un petit livre au charme ineffable quant à la qualité des illustrations sur la classe d'Astaire. Un autre chapitre aborde la partie chansons. L'apport de Fred Astaire (sa contribution- non seulement en tant qu'interprète dans les comédies musicales des années 30, 40 et 50- mais aussi comme compositeur d'une bonne cinquantaine de chansons) reste exceptionnel et peu connu. " J'ai dû en composer environ quarante ou cinquante, et peut-être une demi-douzaine n'est pas trop mauvaise. […] J'aurais aimé en faire plus avec ma musique, mais je n'avais jamais le temps. J'étais toujours en train de travailler sur des numéros de danse " une remarque faite à Bob Thomas en 1984, dans son étude sur Astaire, p. 135 The Man, The Dancer. Il a collaboré avec des paroliers aussi fameux que Johnny Mercer, Dave Dreyer ou Paul Francis Webster. Les derniers mots que George Gerschwin, décédé à 39 ans d'une tumeur au cerveau auraient prononcé peu avant de mourir sont le nom de Fred Astaire….Joseph Epstein aurait mieux fait (pour gagner en originalité) de se limiter à cet aspect de la carrière d'Astaire -une analyse exhaustive de sa carrière comme interprète, compositeur, pianiste et batteur - plutôt que de se perdre en conjectures sur des thèmes maintes fois traités par d'excellents spécialistes.


"The Other Guy"

Un passage concerne Gene Kelly. Si l'éternelle comparaison entre Astaire et Kelly n'est pas nouvelle, l'aspect le plus intéressant, parce que rarement évoqué, est celui où Joseph Epstein fait allusion aux difficultés que le couple Gene Kelly/Betsy Blair a dû affronter au moment de "la chasse aux sorcières" aux Etats-Unis dans les années 50. Kelly, alors marié à Betsy Blair, est parti en Europe suite aux allégations de sympathies de son épouse pour le Parti communiste Américain. Astaire, de son côté peu connu pour ses opinions gauchisantes, marié avec une jeune femme de la "bonne société" de la Côte Est des Etats-Unis, n'avait pas ce problème et n'aurait (de par ses antécédents) certainement jamais abordé le sujet. M. Epstein aurait pu signaler que George Murphy dans ses mémoires (il a joué dans Broadway Melody of 1940, avec Astaire) fait allusion à la formation d'un "Comité Républicain à Hollywood". Parmi ses membres : Fred Astaire, Ginger Rogers, Bing Crosby, Walt Disney, Barbara Stanwick, Robert Taylor, et Jeannette Mac Donald (Ginger Rogers comptait parmi les ferventes admiratrices des présidents Républicains et sa mère, Lela Rogers, a témoigné, en 1947, devant la Commission des Activités Anti-Américaines).


Si l'on exclut cet aspect de différences d'opinions politiques - Fred Astaire, plutôt Républicain et Gene Kelly, de préférence du côté Démocrate- le parallèle entre les deux danseurs est stérile, même s'ils ont souvent eu les mêmes partenaires au fil de leurs carrières respectives à Hollywood.


"Change Partners"

Joseph Epstein passe en revue les partenaires d'Astaire, de Ginger Rogers à partir de 1933 jusqu'à Barrie Chase à la télévision (An Evening with Fred Astaire, 1958).

Eleanor Powell (Broadway Melody of 1940) considérée comme un brin trop masculine… De plus, il n'y a guère d'alchimie entre eux, M. Epstein évoque les critiques de John Mueller : "Un défaut majeur du film reste la quasi absence d'impulsion romantique" et "…. ses duos avec elle […] ont tendance à être des démonstrations dépassionnées de virtuosité, et les danseurs se touchent ou se regardent rarement." M. Epstein n'a sans doute pas tort de penser qu'elle était avant tout une danseuse de solos.

Il mentionne Paulette Godard (Second Chorus), un film qui aurait été qualifié par Astaire du "pire qu'il ait jamais fait " (p.104), Joan Leslie (The Sky's The Limit) trop jeune, trop corpulente, Vera-Ellen, solide techniquement : "Ils auraient dû théoriquement former une bonne équipe, mais ils sont simplement OK ". Rita Hayworth, bien entraînée par son père (elle était la fille du danseur d'origine espagnole Eduardo Cansino, qu'Astaire connaissait et admirait) : " […] quelque chose manquait. Ils n'étaient pas vraiment crédibles comme couple. " Elle donnait l'impression de " ne pas pouvoir vraiment tomber amoureuse d'un homme comme Fred Astaire. Elle était une femme qui pouvait seulement être stimulée par la réelle bassesse ou la riche scélératesse des hommes ", une allusion aux films tournés aux côtés de Glenn Ford, Claude Rains ou Orson Welles.

Alors, il reste qui ? …. Judy Garland ? (Astaire avait remplacé Gene Kelly, blessé à la cheville, dans Parade de Printemps en 1947) : " Les choses s'améliorent avec Parade de Printemps, [….] en grande partie en raison du talent de Miss Garland, qui, bien sûr, était magique devant la caméra. " On s'en doute ! Un charisme guère contesté jusqu'à maintenant…..
Cyd Charisse ? Avec Dancing in the Dark, dans Tous en scène de Vincente Minnelli ? Une Cyd Charisse, pourtant disqualifiée dans le palmarès des meilleures partenaires, par manque de " légèreté, d'impertinence, d'humour ".

 

Le cas Ginger Rogers.

Dans le chapitre "Who Needs a Partner?" M. Epstein évoque le partenariat Astaire/Rogers et surtout la réticence d'Astaire à faire partie d'une "équipe", on pourrait presque dire d'un "attelage" ! Il semble important, avant de revenir au livre de M. Epstein, de faire un récapitulatif sur les débuts au cinéma du couple " Fred et Ginger ".

Dans une lettre (bien connue des cinéphiles) adressée, après le succès de La Joyeuse Divorcée à son agent Leland Hayward, Astaire mentionne le fait qu'il a tout juste réussi à " surmonter à la longue " son partenariat aves sa sœur Adèle et qu'il n'a pas l'intention de poursuivre une collaboration permanente avec qui que ce soit. Dans une étude sur Astaire : The Man, The Dancer (1984), le journaliste Bob Thomas relate une lettre d'Astaire adressée au producteur Pandro Berman (p.94) : "J'ai de l'affection pour Ginger, mais je ne veux absolument pas être" accouplé " avec elle ou n'importe qui d'autre. Je ne suis pas venu au cinéma avec la pensée de faire partie d'une équipe, et si c'est ce que la RKO a comme objectif, on ferait mieux d'arrêter le contrat tout de suite. " Il s'était plaint plusieurs fois auprès des journalistes, lors de sa collaboration avec Adèle : " Ne nous appelez pas une " équipe ", on dirait une paire de chevaux ! ". Bob Thomas mentionne aussi un commentaire très intéressant de Pandro Berman, pour une fois, beaucoup plus nuancé que d'habitude… puisque Pandro Berman se contredit, par rapport à certaines de ses déclarations sur Astaire et Rogers, où il avait laissé entendre qu'ils avaient passé leur temps à s'agresser ,(p.137, Bob Thomas cite Pandro Berman) : " On avait toujours cru à travers la presse qu'il y avait une réelle friction entre ces deux- là, mais il n'y en avait pas. J'étais bien conscient de ce qui se passait. Fred, qui avait dû supporter la séparation d'avec sa sœur quand elle s'est mariée et avait eu beaucoup de mal à travailler seul, était sur ses gardes. […] La dernière chose au monde que Fred voulait [ après Flying Down to Rio ] c'était de faire un film avec elle. Non pas parce que c'était Ginger, non pas parce qu'elle n'était pas bonne, mais parce que cela signifiait un autre " couple ". Il était passé par une amère expérience. Peu lui importait le succès d'Adèle. Ce qui comptait, c'était que, quand le couple s'est séparé, il était sur le c…….Personne ne prêtait attention à lui parce qu'Adèle était partie. " Bob Thomas insiste aussi sur le fait qu'Astaire gardait en mémoire les critiques de sa première apparition sur scène -sans Adèle- dans la pièce Gay Divorce à Londres (p135, Bob Thomas, Astaire, the Man, the Dancer): " Ce n'est pas pour le bien général qu'il est sans sa sœur." Fallait- t'il s'attendre aux mêmes réactions, sans Ginger, se demande Bob Thomas : " Sans aucun doute. " (p.135)

Rogers, elle-même, en parle dans ses mémoires: " Il avait formé un couple de danseurs avec Adèle pendant si longtemps qu'il craignait d'être identifié, de nouveau, avec une autre partenaire féminine. Pendant que je pouvais comprendre ses sentiments à propos de notre collaboration, je n'avais, d'autre part, aucune appréhension à faire plus de films avec lui. " (p.114. Ginger, My Story). Rogers n'avait jamais été liée à un partenaire, même si elle était au départ plus sereine qu'Astaire, elle aurait certainement privilégié une carrière de comédienne en solo, déjà bien amorcée avant sa première apparition dans Flying Down To Rio avec Astaire. Elle avait tourné dix-neuf films, dont 42nd Street (Lloyd Bacon, 1933) avec Warner Baxter et Ruby Keeler ou encore Golddiggers of 1933 avec Dick Powell (Mervyn Le Roy, 1933).


Fred, Adèle et …. Ginger….

Fred Astaire n'était pas venu à Hollywood pour être "accouplé" avec qui que ce soit. Une réaction, après tout naturelle, si l'on se réfère au passé de "Fred et Adèle "….

"Fred et Adèle"…. Les prémisses de "Fred et Ginger"... .Certainement l'horreur pour Fred Astaire…. Un homme, loin d'être un roc invincible de confiance en son talent. Une analyse qui transparaît dans le livre beaucoup plus subtil que celui de M. Epstein : " Screen Couple Chemistry, The Power of Two " de Martha P. Nochimson (University of Texas Press, 2002, p.317) : " Il n'était pas le paragon d'auto-confiance qu'il semblait être. Et cela, en plus, a compliqué sa relation complexe avec Rogers. Il semble avoir été profondément blessé par ses premières expériences professionnelles, en tant que très jeune danseur, et ensuite très jeune homme, quand il était considéré comme étant " seulement " le plus jeune frère d'Adèle Astaire [ ….] Adèle était la principale attraction, et quand Adèle a épousé un membre de l'aristocratie britannique, il a été confronté à une crise dans sa carrière, soigneusement cachée par le fait qu'il affichait une tranquille insouciance, pourtant la presse américaine a éminemment déploré l'absence d'Adèle. "

Astaire, lui-même, relate dans ses souvenirs que, lors des représentations de son premier et dernier spectacle sur scène (sans Adèle) dans The Gay Divorce (juste avant ses débuts à Hollywood) les critiques étaient négatives : " Une chose est sûre, après avoir vu la représentation d'hier soir, on en arrive à la conclusion que deux Astaire valent mieux qu'un."


Fred et Ginger….

On a beaucoup glosé sur Astaire et Rogers, à tort et à travers.
Leur passé professionnel présente des similitudes intéressantes, ils ont en commun des mères omniprésentes dans leurs carrières depuis leur plus jeune âge. Astaire évoque d'ailleurs Lela Rogers en 1959 dans ses souvenirs : " La mère de Ginger et moi-même étions de bons amis […] Il nous était arrivé [Rogers, sa mère et lui-même] de bavarder et de discuter de carrières, de théâtre, etc…Mais on n'avait jamais fait allusion à une carrière commune au cinéma. [….] elle [Rogers] avait déjà fait ses preuves au cinéma, mais j'étais juste un péquenaud de l'Est, un type inconnu dans ce media. On ne pensait pas former une équipe. " p.188, Steps in Time. (Une " équipe ", toujours le même problème). Rogers lui rend la pareille dans un avant-propos aux souvenirs de son partenaire : " Sa charmante mère était une dame gracieuse et digne et je pouvais d'autant plus comprendre l'affection de Mr.A pour elle, que moi-même, j'étais très attentive à ma belle et intelligente mère. "

Les deux (enfants) avaient arpenté " en tournée " les Etats-Unis, poussés par leurs mères respectives…. Quant aux pères, ils étaient plutôt absents au cours de leurs jeunes carrières…. Des détails qui, pour Martha P. Nochimson " révèlent les disfonctionnements et les parallèles qui sont à la source de leurs relations compliquées. " Ces points communs expliquent, pour Martha P. Nochimson, pas mal de choses, avec le père de Rogers (alcoolique) et celui d'Astaire, contraint d'occuper un emploi plus terre à terre, même s'il avait rêvé au départ d'une carrière sur scène…..Des mères différentes dans l'approche de la carrière de leurs enfants et parfois semblables…..avec un Astaire " toujours sous pression pour satisfaire aux exigences d'une mère rigoureuse par rapport au statut social, pendant que Rogers était le centre de l'ambitieuse adoration de sa mère. " (p.313, 314 Screen Couple Chemistry, The Power of Two, Martha P. Nochimson).

Pour en revenir au livre de M. Epstein, s'il n'estime guère la personnalité de Ginger Rogers, il demeure qu'elle a " dansé avec lui beaucoup plus en harmonie qu'aucune de ses autres partenaires " et qu'elle aurait au final mieux réussi (dans sa carrière post-comédies musicales) sans Astaire que l'inverse (Rogers a remporté un Oscar avec Kitty Foyle), même s'il avait " un plus grand talent en tant que danseur " (p.100). La remarque est banale.

Alors, où est le problème ? Le ton est donné par le jugement qu'il porte sur ses qualités professionnelles : une actrice tape-à-l'œil, creuse, surestimée, qui n'aurait sans doute jamais laissé de traces au cinéma, sans son partenariat avec Astaire, et pour laquelle celui-ci devait probablement éprouver " un léger dédain " ! Le livre de Joseph Epstein fait parfois frémir quand il aborde les rapports Astaire/Rogers.

"Partenaire"…. Un rôle d'autant plus difficile à assumer que la personne concernée n'est plus là pour se justifier, voire se défendre…. Mise à part la publication d'une autobiographie, Ginger Rogers avait accordé un nombre important d'interviews aux journalistes de la presse écrite et audiovisuelle, depuis le début de sa carrière, mais aussi à partir des années 70 et 80, (une période où elle était relativement plus libre de parler) en ce qui concerne la politique des grands studios américains et la pression que ceux-ci exerçaient parfois - directement ou indirectement - sur leur vedettes.

On ne peut que rester sceptique quant aux remarques de M. Epstein sur les " pieds en sang " de Rogers et sur le fait qu'Astaire l'aurait fait travailler plus durement que les autres !!....Il suffit de se référer à l'autobiographie de Ginger Rogers pour comprendre que lors du tournage de Swing Time (George Stevens, 1936) et du dernier numéro du film " Never Gonna Dance " qui a nécessité " plus de quarante-huit prises ", c'est elle qui a refusé de s'arrêter, malgré des pieds en piteux état, jusqu'à ce que la danse soit finalement en " boîte " à 4H du matin : " Je n'ai jamais dit un mot de mon propre problème. J'ai continué à danser bien que mes pieds me fassent vraiment souffrir. Pendant une pause, je me suis mise sur le bas-côté et j'ai enlevé mes chaussures ; elles étaient pleines de sang. J'avais dansé jusqu'à ce que mes pieds soient complètement à vif. Hermes [Pan] s'est rendu compte de ce qu'il était en train d'arriver et a proposé d'arrêter le tournage. J'ai refusé. Je voulais en finir. " (p.145, Ginger : My Story).


Même scepticisme, quant à la version donnée par rapport à la danse Let's Face the Music and Dance dans En Suivant La Flotte (Mark Sandrich, 1936) où l'on a l'impression que Ginger Rogers avec sa robe d'un poids de "vingt-cinq livres" assène délibérément un coup dans la mâchoire de Fred Astaire ! Les explications de Rogers sont claires (p. 134, Ginger : My Story) : "Chaque fois que je tourbillonnais, le poids de ma robe m'emportait et me giflait, me déséquilibrant. J'ai dû apprendre à contrer l'attaque de la " troisième personne " dans notre danse, ma robe. Fred a dû faire face à la vieille rengaine de ma robe, également. Lors de la première prise, mes manches l'ont frappé à la mâchoire, alors que je tournoyais. Fred a grimacé et continué. J'étais complètement inconsciente de ce qu'il était en train d'arriver. Nous avons passé plusieurs heures à essayer de faire une prise où mes manches ne frappaient pas Fred. Rien n'a fonctionné et Mark finalement a utilisé la toute première prise. "

Mieux vaut passer sur la vieille antienne de la robe à plumes dans Top Hat (Mark Sandrich, 1935) et relire Rogers, pour s'apercevoir que le traumatisme n'a certainement pas été aussi profond que les échotiers ont bien voulu le dire par la suite. L'anecdote est bien connue, et Astaire, quatre jours après l'incident, s'est excusé auprès d'elle (p.128, Ginger : My Story) de son exaspération et de sa fureur bien légitimes face aux plumes qui s'envolaient autour de lui " comme si un poulet avait été attaqué par un coyote " ! (Fred Astaire, 1959, Steps in Time).

Cheek to Cheek dans Top Hat (Mark Sandrich, 1935)

Rogers était très intuitive en ce qui concerne ses toilettes, remarque Martha P. Nochimson, (p.321, dans Screen Couple Chemistry), ce qui explique le fait qu'Astaire se soit incliné (son professionnalisme l'a poussé à reconnaître l'effet que la robe tant contestée ajoutait à la danse). Hannah Hyam souligne avec pertinence, dans son livre sur Fred and Ginger (p.196), que Rogers et tous ceux qui ont contribué à la conception des costumes- parmi lesquels Bernard Newman- […] doivent être félicités pour leur apport à la création de robes qui demeurent " à coup sûr, appropriées au style et à l'humeur de la danse [….] ce qui peut créer des formes qui sont aussi belles et importantes que l'impact de la danse elle-même. " On aimerait bien voir transparaître cette analyse dans le livre de Joseph Epstein.

Tout ceci explique aussi, pour Martha P. Nochimson, qu'Astaire ne se serait plus jamais risqué au cours de sa carrière " après-Ginger " à danser avec des femmes qu'il ne pouvait pas contrôler, une allusion aussi à " la terrifiante qualité de l'osmose qu'il avait avec Rogers. " (p.318, Screen Couple Chemistry). Une osmose renforcée par le fait que Rogers était plus qu'admirative devant les prouesses chorégraphiques d'Astaire. Martha P. Nochimson relate les déclarations que Ginger Rogers a faites en 1936 sur son perfectionnisme (p.319) : " Il peut avoir une intuition au milieu de la nuit …Demandez aux gars autour de vous au studio. Ils ne savent jamais à quel moment de la nuit il va appeler et commencer à tonitruer avec enthousiasme sur une nouvelle idée. " Martha P. Norchimson ajoute (p.320) : " Son utilisation habile de transitions dans sa chorégraphie [Astaire] est décrite de manière plus énergique- et admirative- par Rogers elle-même […] : " Essayez donc d'être gracieux et de réfléchir en même temps à la place de votre main droite, ou de votre tête, et par quel pied finir les huit dernières mesures… Sans parler de ces rythmes d'Astaire. Vous avez déjà compté le nombre de tempos qu'il imagine en trois minutes ? "

Une autre "pique" dans le livre de M. Epstein concerne les revendications de Rogers quant à son contrat et le fait qu'Astaire était bien mieux payé qu'elle (un article sur les conditions de travail de Ginger Rogers à la RKO aborde le problème de sa rémunération et le fait qu'on ne lui accordait pas l'attention qu'elle méritait) **. Qui n'eut pas envie de réagir face à un Mark Sandrich méprisant ou à un Fred Astaire qui, de temps en temps, lui repassait les chansons qu'il ne voulait pas interpréter ? Après tout, Rogers contribuait largement au succès des films et elle aspirait à une reconnaissance légitime.

Fallait-il encore revenir sur les vieux clichés colportés par les gazettes pendant des années, à savoir l'animosité entre les deux vedettes, qualifiée d'aberration aussi bien par Astaire que par Rogers ? L'abondance de littérature sur les " Stars " n'incite pas forcément à l'optimisme sur la fiabilité et l'objectivité des ouvrages. On ne peut s'empêcher de ressentir un léger malaise si l'on commence, sur un même sujet, à comparer les livres et certains faits entre eux, et à recouper des informations qui varient souvent, selon les auteurs, en fonction de leur partialité, voire de leur animosité pour telle ou telle personne. Une anecdote pertinente concerne l'hommage accordé en avril 1981 par l'American Film Institute à Fred Astaire, où M. Epstein sous-entend que Ginger Rogers n'aurait pas été invitée. Il suffisait de se référer aux livres de Bob Thomas (p.315) ou Bill Adler (p.260) qui retranscrivent un extrait de la lettre qu'elle avait envoyée à Astaire. Roberta Olden, qui a collaboré avec Ginger Rogers pendant les 18 dernières années de sa vie (de 1978 à sa mort en 1995) se souvient : " Ginger était retenue à la Nouvelle-Orléans pour raisons personnelles et elle n'a pas pu changer ses engagements. Je me rappelle que l'invitation pour le dîner de l'American Film Institute est arrivée trop tardivement et elle avait déjà contracté des engagements. C'est la raison pour laquelle elle lui a écrit [à Astaire] une lettre manuscrite. Fred a semblé comprendre. "

Etait-ce bien nécessaire de faire allusion à une soirée qu'ont passée Astaire et Rogers dans un night-club de New-York dans les années 30 (relatée par Ginger Rogers dans ses mémoires) pour se livrer ensuite à des suppositions sur le fait que, plus tard, lors de leur collaboration à Hollywood : " il [ Astaire] avait grimpé plus vite dans l'échelle sociale " et qu'elle [Rogers] avait probablement l'impression " qu'il la regardait de haut avec sa femme mondaine, son style et ses manières anglophiles. " Des allégations qui relèvent d'une interprétation personnelle, au détriment d'une analyse objective, bien plus intéressante, de ce qu'a pu être la contribution professionnelle de Rogers au partenariat.
Tout cela n'élève pas le débat. Mieux vaut laisser à Astaire et Rogers l'exclusivité de leurs relations pour le moins compliquées et ambivalentes. C'est ce qui manque, entre autres, au livre de Joseph Epstein.



Patricia GUINOT, le 11/11/2008

** Voir : Les conditions de travail dans les grands studios américains. L'exemple de Ginger Rogers à la RKO (1933/1939).

 

Bibliographie :

Pour une étude exhaustive et sans parti pris sur la vie privée, l'ouvrage indispensable sur Fred Astaire demeure celui de :

- Mueller, John : Astaire Dancing : The Musical Films (New-York: Alfred A. Knopf, 1985, et Londres: Hamish Hamilton, 1986) : il analyse de manière détaillée, technique et chronologique les numéros musicaux de tous les films de Fred Astaire.

En ce qui concerne Fred Astaire et Ginger Rogers, on peut se référer, en priorité, et dans l'ordre chronologique de publication aux livres suivants :

Filmographie :

En ce qui concerne les témoignages de Fred Astaire et Ginger Rogers sur leur collaboration, on peut se référer aux superbes documentaires suivants :

 

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Fred Astaire
Joseph Epstein
2008