DVD

Editeur : Carlotta-Films, avril 2009. Nouveau master restauré. Version Originale Sous-Titres Français. Durée du Film : 71 mn. 20 euros.

Suppléments :

  • Notes pour un film sur l'Inde (1968, 0h33) Une légende hindoue raconte comment un maharadjah donne son corps aux tigres pour calmer leur faim. Souhaitant adapter cette histoire dans le contexte de l’Inde moderne, Pasolini y part faire des recherches, caméra à la main, pour vérifier si cette idée de film est réalisable.
  • Poétique de l'inachèvement : entretien avec Hervé Joubert-Laurencin, maître de conférences et spécialiste du cinéma italien, revient sur le Carnet de notes pour une Orestie africaine et le rôle essentiel, bien que méconnu, des « carnets de notes » dans la filmographie de Pier Paolo Pasolini
  • 4 entretiens dirigés par la cinémathèque de Bologne. Dacia Maraini, écrivaine et amie de Pasolini, et Gian Vittorio Baldi, producteur de Carnet de notes pour une Orestie africaine, se remémorent le tournage et la sortie du film, et reviennent sur la dimension politique de l’oeuvre et son auteur. Parallèlement, le compositeur Gato Barbieri évoque la création de la musique originale du film, tandis que Stefano Zenni, musicologue, étudie cette musique et les choix faits par le compositeur et Pasolini. En complément, Massimo Fusillo, spécialiste de littérature comparée, analyse Carnet de notes pour une Orestie africaine en lien avec la traduction du texte de L’Orestie que Pasolini effectua en 1960 pour le Théâtre Populaire de Vittorio Gassman.
  • Un livret de 52 pages contenant des textes et des photos autour de Pasolini.

Pier Paolo Pasolini débarque dans un pays d’Afrique. Il prend des notes, avec sa caméra, pour préparer son prochain film, une transposition de L’Orestie, la tragédie d’Eschyle, dans l’Afrique d’aujourd’hui. De retour en Italie, il montre ses premières images à un groupe d’étudiants africains de l’université de Rome. Il leur demande leur avis…

 

Un coffret exemplaire pour un film remarquable :

 

Une légende hindoue raconte comment un maharadjah donne son corps aux tigres pour calmer leur faim. Souhaitant adapter cette histoire dans le contexte de l’Inde moderne, Pasolini y part faire des recherches, caméra à la main, pour vérifier si cette idée de film est réalisable.

Poétique de l'inachèvement : entretien avec Hervé Joubert-Laurencin

Hervé Joubert-Laurencin, maître de conférences et spécialiste du cinéma italien, revient sur le Carnet de notes pour une Orestie africaine et le rôle essentiel, bien que méconnu, des " carnets de notes " dans la filmographie de Pier Paolo Pasolini.

Appunti signifie en italien "des notes". En français, on a traduit différemment Carnets de notes pour une Orestie africaine et Notes pour un film sur l'Inde. Pétrole, son roman inachevé, est fait d'une série de notes numérotées. Carnets de notes, évoque l'idée de voyage.

C'est Jean-Claude Biette qui, dans un article de la revue Trafic, a proposé d'appeler ces films un peu à part dans la filmographie de Pasolini des appunti.

Ce film à faire dont on parle, Pasolini sent qu'il ne le fera pas et que ce sont ces notes qui le constituent comme film autonome. Il reçoit là les influences de Barthes via Brecht qui font de la suspension une valeur moderne.

Les tenants du documentaire pur n'apprécient pas beaucoup ce film qui raconte une histoire qui est déjà connue d'avance.

Pasolini avait écrit, L'odeur de l'Inde lors de son premier voyage en Inde avec Alberto Moravia et sa femme Elsa Morante. Cette fois, il veut faire un long métrage sur l'Inde avec des acteurs indiens mais parler de toute l'Inde.. C'est l'histoire d'un Maharadjah qui donne son corps à des tigres pour les nourrir car ils sont sacrés. Donner son corps en pâture, ce sacrifice et cette dévoration sont le centre du film tourné autour de la question religieuse et de la question de la famine. Mais il s'agit aussi d'un souvenir personnel, raconté plusieurs fois par Pasolini, d'un tigre qui aurait dévoré un humain, d'un corps humain à moitié avalé par un tigre tel qu'il s'en souvient avoir vu enfant sur une affiche de cinéma. Il s'agit aussi d'un désir neuf, de visages neufs, de race neuve.


Pasolini connaît le danger de l'Orientalisme : une pensée européenne plaquée sur une altérité radicale.

Agamemnon, Les choéphores et les Euménides racontent l'histoire d'Oreste. La trilogie a été traduite du grec par Pasolini dans un texte publié en 1959 pour une mise en scène de 1960 avec Vittorio Gassman dans le rôle d'Oreste mise en scène de Gasmann et Luciano Lucignani avec le Teatro Popolare Italiano au Théâtre Grec de Syracuse. Lucignani s'appuie aussi sur la pensée d'un marxiste anglais : à partir d'une société primitive ce que montrait les Euménides, c'était l'appropriation par le peuple de la loi. Dans cette mise en scène il y avait, en préambule, un balai vaudou avant que ne commence la pièce dans laquelle figuraient des totems puis une danse vaudou pour exprimer la communion du peuple. C'est cette visée communiste que Pasolini reprend huit ans plus tard.

Entre temps il a écrit, Pylade, la quatrième partie de la tragédie. Les Euménides redeviennent des furies vengeresses et puis redeviennent Euménides : la démocratie est sans cesse menacée par les forces de destruction archaïques.

Passage étonnant avec les étudiants spécialement convoqués. Pasolini exprime frontalement son idéologie " Moi je pense que l'Orestie correspond parfaitement à la décolonisation. Qu'en pensez-vous ?". En contrepartie Pasolini se met en position d'être contredit. Belle position que celle d'avancer très fortement une idéologie préfabriquée de la livrer, la mettre à nu pour être contestée. La principale contestation est que l'Afrique n'existe pas : c'est un continent, pas un pays.

La séquence du studio en Italie peut paraître faible. Le free jazz est une forme un peu plaquée, trop expérimentale par rapport au goût de Pasolini. Cela s'accorde toutefois bien avec la prophétie d'un crime qu'on ne voit pas dans l'Orestie

Il y a aussi le moment réalisé d'un film à faire avec l'arrivée d'Oreste. Mais le film se caractérise par cet inachevé poétique, plein de trous avec sa fin suspendue mais qui n'existe pleinement et totalement que parce qu'inachevé.

Entretiens avec Dacia Maraini et Gian Vittorio Baldi

Dacia Maraini insiste surtout sur le fait que Afrique d'alors était pauvre mais ouverte, libre et sure et pas l'enfer d'aujourd'hui.

Gian Vittorio Baldi le producteur avait confié une Arriflex 16 mm à Pasolini lui conseillant d'utiliser un objectif 16 mm pour ne pas être embêté avec la technique, pour pouvoir refaire, attendre, penser, remodeler détruire et défaire.

La Rai avait signé un contrat qu'elle n'a pas honoré, prétextant d'un changement d'équipe dirigeante. Elle redoute une pensée différente de celle du gouvernement dans ces années sombres. Même chose Telecine pour le film de Pasolini en France.

 

Entretien avec Massimo Fusillo, spécialiste de littérature comparée

Tous les académiciens d'Italie auraient voulu être choisi pour la traduction d'Eschyle destinée à la mise en scène de la trilogie à Syracuse. Gassmann et Luciano Lucignani la confient à Pasolini, poète certes déjà célèbre mais très controversé. Enzo Degani en profitera donc pour faire une critique érudite de la traduction souvent fautive pour lui de Pasolini.

Il s'agit pourtant là d'un poète qui traduit un autre poète, qui en respecte le style archaïque et sec, qui passe de la réflexion au lyrisme et, surtout, qui se préoccupe du public. Pasolini souhaite un texte transmissible et la critique théâtrale militante sera très positive, sensible à la beauté formelle du texte comme à son message explicité.


Comme dans son recueil, Les cendres de Gramsci, Pasolini rédige quelques pointes sublimes mais se laisse porter par la prose et par le raisonnement. Il utilise notamment la répétition de mots clés idéologiques. Il compose ainsi une série de thèmes récurrents, qui ne correspondent pas exactement à la traduction mais qui inscrivent les messages dans l'esprit du spectateur. Il emploie ainsi souvent le mot "obsession" pour l'action des Erynides (alors que persécution aurait été une traduction plus fidèle), le chant et le chœur. Emploi aussi répété du terme "Impureté " pour évoquer la contamination du crime.

Pasolini affirme ainsi une vision politique. C'est une provocation par rapport à la vision de l'antiquité classique, harmonique, olympique. Il fait de l'Orestie un modèle valide pour aujourd'hui, une proposition de synthèse entre cultures. Pasolini ne propose pas un retour a la vie archaïque. Pour lui la transformation est synonyme de synthèse entre culture archaïque et culture moderne.

Entre la traduction de 1960 et le film, Pasolini écrit Pylade, sa tragédie qui est la continuation de l'Orestie qui se perpétue dans l'Italie de l'après-guerre. Oreste représente alors la modernisation américaine et Electre l'attachement fasciste, ou du mois très conservateur au passé. Pylade, l'ami fidèle d'Oreste, rêve l'utopie d'une synthèse mais son projet politique échoue.

On peut s'étonner de l'émotion de Pasolini devant l'institution démocratique, ce tribunal de l'Aeropage. Chez Pasolini, l'importance des forces asociales qui nient la démocratie deviendra en effet déterminante. C'était déjà le cas dans Porcherie avec le cannibalisme, et cela atteindra son apogé avec Salo.

Entre l'hymne russe, ici entendu, et ses réalisations dix ans plus tard, son pessimisme aura considérablement augmenté.

Ce film s'inscrivait dans le projet plus vaste de poèmes sur le tiers-monde qui devaient commencer par l'Afrique, puis par l'Inde, le conflit arabo-isarélien, l'Amérique du sud et les ghettos noirs aux USA représentatifs du tiers-monde des périphéries urbaines. Ces poèmes devaient trouver une langue commune, celle que Pasolini appelait celui de "la millénaire civilisation paysanne".

Pasolini filme réellement l'Orestie. Il y a un passage des Choéphores, lorsque Oreste revient dans sa patrie et le chœur final est bien une fin pour un film qui se prétend non fini. La guère du Biafra en Afrique est comme la guerre de Troie. Le jazz est choisi comme une musique contaminée par l'Afrique. Le choix d'un musicien sud-américain comme Gato Barbieri est assez étonnant. Son saxe dissonant, hurlant est en adéquation avec le rite du hurlement, du rituel, de l'hybridation et plus généralement de la dissonance stylistique dont est porteur le film.

Pasolini choisit pour les furies non pas des masques, personnages grotesques et archaïques. Il les personnifie par les forces de la nature : des arbres et le son du vent dans les arbres.

 

 

 
présente