Mai 1981 n'a pas marqué de rupture avec le cinéma des années 70. L'élection de Mitterrand marque la victoire de l'idéologie dominante depuis 1968. Par contre l'entrée dans la rigueur en 1983 avec le gouvernement Fabius et le refus de sortir du SME marquent une fracture profonde avec le passé. Cette faillite de l'idéologie devant l'efficacité du libéralisme sera accentuée après la chute du mur de Berlin et l'éclatement de l'URSS. Le cinéma s'interroge sur lui-même : est-il post-moderne ou marchandise culturelle ?
En 1984, François Truffaut est mort. En 1984, Canal+ est né. En 1984, la loi de finances a donné naissance au compte de soutien audiovisuel qui va obliger la télévision à devenir le principal soutien financier du cinéma. En 1984 est né la fête du cinéma. En 1984 nait le fonds sud qui jouera un rôle décisif pour faire de la France un partenaire de production pour le cinéma africain. L'année suivante pour la première fois, il y aura plus de films sur les chaines de télévision en clair que de sorties en salles. En 1986, la part de marché du cinéma américain devient, pour une longue période, sinon irréversiblement, supérieure à celle du cinéma français dans les salles françaises. Se dessine le paysage global de l'audiovisuel au sein duquel "du" cinéma continue d'exister mais il s'incarne désormais en plusieurs groupe de personnages secondaires et dispersés au sein d'un récit dont "le" cinéma fut jadis à la fois le héros et le conteur.
Le second choc audiovisuel
Durant la décennie quatre-vingt, le cinéma connait son second choc audiovisuel après celui des années cinquante qui avait engendré le premier effondrement des entrées et la première remise en cause de la suprématie du cinéma dans les loisirs et l'imaginaire des foules. Face aux prémisses puis au plein effet de ce deuxième choc, la stratégie dominante pour le cinéma français a paradoxalement consisté à faire du cinéma un bastion. Sous les discours glorieux, elle a pris en compte la position de faiblesse dans laquelle le cinéma se trouve au sein du monde des images et a organisé son repli en relatif bon ordre dans un fortin battant pavillon culturel. Il s'y sent suffisamment assuré pour passer des alliances avec les nouvelles puissances sans se faire dévorer tout cru, comme cela est arrivé au même moment à ses frères étrangers.
Apres un pic supérieur à 200 millions d'entrées en 1982, une chute vertigineuse a commencé. Dès 1985, on passe pour la première fois depuis l'après guerre au-dessous des 175 millions de spectateurs, on en sera à moins de 125 millions en 1988. Soit, après la relative stabilité des années soixante-dix, une chute de 40 % en six ans (et le plus faible nombre d'entrées depuis 1928).
Cette chute des entrées se double d'un second phénomène, au moins aussi inquiétant : ces 40 % de public perdu sont des spectateurs de films français (et de films étrangers non anglo-saxons, déjà marginalisés). Le public du cinéma américain reste relativement stable, ce sont les productions françaises qui cessent, assez brutalement, d'attirer le public. Cette perte est encore aggravée par le fait que ce public déficient est, encore plus majoritairement que le public global, composé d'adolescents : de 1983 à 1988, la chute globale est de 37 % mais la baisse de fréquentation des 15-24 ans est de 42 %. Massivement, les jeunes, qui sont aussi l'avenir du public, ne se déplacent plus dans les cinémas que pour voir des films américains.
A la différence de ce qui s'était produit lors du premier choc audiovisuel, ce n'est plus le cinéma en général, le cinéma comme art de masse qui subit une érosion rapide mais la consommation par un groupe social plus restreint, la jeunesse urbaine : celle-ci se détourne de ce qui ne correspond pas à un modèle de plus en plus étroit, le cinéma hollywoodien. La baisse est même particulièrement sensible parmi la fraction de la population la plus consommatrice de films : alors que le public occasionnel demeure pratiquement stable, le nombre et l'intensité de consommation des spectateurs réguliers (une à trois séances par mois) baisse de 42 % : le nombre et la fréquentation des assidus (au moins une fois par semaine) déclinent de 52 %. Comme le note Jean-Marc Vernier (dans Socio-économie de la culture : la demande de cinéma, Anthropos, 1991), ces deux catégories de spectateurs, soit le cur (économiquement mais aussi symbolique) de la fréquentation des salles, sont aussi responsables de l'essentiel de la chute des entrées de cette époque.
Pour la production française, cette évolution est d'abord masquée par une poignée de triomphes qui mobilisant un public d'occasionnels ne se rendant qu'une fois ou deux en salles chaque année, permettent à quelques titres de figurer en tête des box-offices annuels. Mais les deux ou trois titres susceptibles de déclencher ce phénomène font-ils défaut qu'on voit, comme en 1989, les dix premières places du classement occupées par les Américains.
Trois films de rupture
En 1984 Rohmer réalise Les nuits de la pleine lune, son meilleur film du cycle des Comédies et proverbes entamé en 1981. Le ton est, contrairement aux deux précédents, très pessimiste. En 1985, avec Police, Maurice Pialat abandonne le film social pour se consacrer au film de genre. Enfin, 1985 est aussi la date de l'énorme succès de Trois hommes et un couffin.
Marchandise culturelle pour vaincre la TV
Création en 1984 de C+, dont la vocation première est de diffuser des films récents, puis en 1985 de La5 et M6. Le cinéma comme en 1958 et comme en 1976, est confronté à la concurrence de la TV. Il y avait encore 200 millions de spectateurs en 1982, il n'y en a plus que 120 millions en 1990. Pour survivre le cinéma se doit de devenir marchandise culturelle. Il doit faire événement. Pour que le film attire, les stars sont surpayées, les frais de publicité sont multipliés, les frais de distribution sont mobilisés immédiatement : en 1975 on tirait de 35 à 50 copies d'un film porteur. En 1985, on en est à 300 copies avec des pointes à 400 pour les produits suscitant le plus d'espoir. Sur ce terrain les films américains gagnent largement : en 1986 l'audience des films américains dépasse celle des films français (43 %). En 1994, la part des films français n'est plus que de 30% .
Le ghetto du cinéma d'auteur
L'événement sociologique fait presque complètement oublier la recherche formelle, c'est à dire la création d'une forme comme expression de la subjectivité. Selon Jean Douchet :
"Si l'on comparait le cinéma français à une maison avec un toit, avec deux pentes inclinées, Truffaut en serait le faîte, la ligne de tuiles reliant la pente "auteur" à la pente "cinéma commercial". Lui-même tenté par l'un par l'autre, jouait de ces deux tendances. Depuis sa mort les deux pentes s'éloignent l'une de l'autre" (CdC mai 89).
"Le romantisme humaniste" de Truffaut est remplacé dans les années 80 par le psychologisme critique des adeptes du forceps et du scalpel. D'un autre côté l'Avance sur recettes permets à de jeunes cinéastes de s'exprimer sur le mal de vivre.
Pas d'espoir de révolution sociale
La psychologie au scalpel : Depardon. Pialat. Doillon. Brisseau. Varda. Blier. Mocky Le système Mocky repose sur l'amitié des techniciens et acteurs et sur les interventions fracassantes de Mocky. Cinéaste perpétuellement indigné par la saleté du monde qui l'entoure, il pratique un art naïf de la série B. Un cinéma réaliste peuplé de personnages autistes : Assayas, Kahn, Akerman
Le retour de l'imaginaire flamboyant
Les tenants de l'image : Ruiz-Beinex "La lune dans le caniveau" (1983)-Besson ("Subway" (1985) Carax (Brazil, Delicatessen, Europa, Toto le héros, Roger Rabbitt, Born Killer)
Un cinéma pour cinéphiles
Consécration de Eric Rohmer par le public du cinéma : jeune et intellectuel. Godard, Bresson mais aussi Resnais, Rivette, Demy Chabrol et Deville
Les coups heureux de la production
Diva (1980), Trois hommes et un couffin (1985), Le grand chemin (1987), la vie est un long fleuve tranquille (1988), Thérèse (1986), Le grand bleu
Les grandes machines
Tess réalisé en 1979 par Roman Polanski puis "La guerre du feu" de Jean-Jacques Annaud qu'il prolongera avec "Le nom de la rose" (1986) et "L'ours" (1988). "Jean de Florette" (1985) et "Manon des sources" (1986) de Claude Berri. Camille Claudel (1988) de Bruno Nuytten.
Principaux films français de 1984 à
1991 :
|
|||
Conte d'hiver | Eric Rohmer | 1991 | |
Van Gogh | Maurice Pialat | 1991 | |
Le petit criminel | Jacques Doillon | 1990 | |
J'entends plus la guitare | Philippe Garrel | 1990 | |
Noce blanche | Jean-Claude Brisseau | 1989 | |
De bruit et de fureur | Jean-Claude Brisseau | 1988 | |
Le cri du hibou | Claude Chabrol | 1987 | |
Les innocents | André Téchiné | 1987 | |
King Lear | Jean-Luc Godard | 1987 | |
Sous le soleil de Satan | Maurice Pialat | 1987 | |
Maine-Océan | Jacques Rozier | 1986 | |
Le rayon vert | Eric Rohmer | 1986 | |
Hurlevent | Jacques Rivette | 1986 | |
Le lieu du crime | André Téchiné | 1985 | |
Les nuits de la pleine lune | Eric Rohmer | 1984 |