Sur fond noir, l'hymne national de l'ancienne République démocratique allemande, Auferstanden aus Ruinen, de Hanns Eisler.
0- Le temps du mépris d'André Malraux (2014, 11'). Image : Christophe Clavert. Son : Dimitri Haulet. Avec : Arnaud Dommerc, Jubarite Semaran, Gilles Pendel, Barbara Urich.
Le geôlier interroge off un premier prisonnier sur son appartenance au parti communiste et à la république de la Volga. Si le prisonnier répond appartenir au parti communiste depuis 1924, il nie avoir connaissance de la moindre Volga comme il nie connaitre les noms de ses camarades qui s'appellent tous par leur seul prénom." Quelle fonction avez-vous occupé dans le parti communiste illégal ?" demande encore le geôlier. Comme le prisonnier réfute encore le terme d'illégal il le menace de l'enfermer assez longuement pour que sa femme le trompe. Il interroge ensuite Kassner qui réfute être un activiste.
Lorsque le texte exprime la peur de la torture et de la folie de Kassner, l'écran est plongé dans le noir. Kassner se rassure en évoquant que 750 ouvriers sont restés muet dans l'usine de Häagen malgré les pressions et que Bakounine prisonnier imaginait dans sa tête un journal entier pour résister à l'hébétude de l'emprisonnement. Obsession de l'évasion
Dans une troisième partie, Kassner retrouve sa femme. C'était comment ? interroge celle-ci. C'était terrible répond Kassner mais quelqu'un a assumé sa fausse identité. Enceinte, sa femme dit combien la vie est difficile pour elle et que, comme toutes les femmes enceintes de la ville, elle redoute l'accouchement. L'enfant cependant lui procure une joie plus profonde que tout le reste. L'homme dit que la musique avant le rendait joyeux mais qu'il a trop utilisé la musique pour survivre au cachot ; une seule phrase musicale, l'appel des caravaniers, lui trotte dans la tête. La joie dont lui aussi a profondément besoin, il va la trouver dans l'écriture. Le couple décide de sortir pour marcher ensemble.
1-Operai Contadini (2001, 20'30). Image : Renato Berta ; son : Jean-Pierre Duret. Avec : Aldo Fruttuosi (Ventura), Rosalba Curatola (Siracusa), Enrico Pelosini (Toma). Texte Le donne di Messina d'Elio Vittorini.
Le second extrait raconte comment, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale en Italie, des hommes et des femmes de tous âges et de toutes origines sociales sont réunis au hasard de leurs pérégrinations. Dans un village en ruines entre Modène et Bologne, ils entreprennent de restaurer ces décombres. Ils constituent une communauté primitive qui tente d'effacer la douleur issue de la guerre et de se protéger de la violence et de la misère.
Le texte est tiré Les femmes de Messine d'Elio Vittorini (1908-1966). Celui-ci y raconte comment cette communauté va imiter les femmes de Messine qui ont reconstruit leur ville anéantie par un tremblement de terre. Ouvriers et paysans, est la première partie d'un triptyque que vont prolonger Le retour du fils prodigue (2002) et Humiliés (2002). Vous ferez particulièrement attention dans cette partie aux cahiers que les acteurs non professionnels ont sous les yeux pour se rappeler comment dire leur texte selon les indications très précises de Danièle Huillet.
Ventura a changé. Oui, depuis deux ans. Mais il ne s'en est pas aperçu et voudrait que Siracusa aussi ait changé dans sa façon de penser et de le voir, notamment depuis sa crise avec Toma, depuis la gifle qu'il lui donna
Siracusa dit combien elle aima depuis le début Ventura, brave, gentil et bon. Par manque de confiance, il devint plus arrogant. Ainsi quand il lui demanda "Tu me trouves encore fasciste ?" elle ne répondit pas et s'éloigna de lui. Giralda Adorno demanda si elle ne préférait pas qu'il ressemble à Fazzoletto Rosso ou Toma. Provoqué, Ventura donna une gifle a été donné à Toma
Toma reconnait aimer courir les filles, Antonia ou Elvira mais il regrette que Siracusa ne lui ait pas fait comprendre plus tôt qu'il l'importunait par son discours amoureux ce qui lui aurait évité une altercation avec Ventura.
Siracusa se mit avec Ventura en Juillet. Apres la gifle elle renouvela auprès de Ventura son serment amoureux. Elle pensait à faire l'amour sur les montagnes au loin pendant qu'ils se promenaient sous les étoiles. Et lui admirait les étoiles et réveilla tout le village pour les admirer. Toma se souvient avoir du réveiller Spataro puis Cataldo mais eut le regret de ne pas partager la joie innocente et belle de Ventura.
Siracusa se souvient de la joie de février, de Spine revenu, de l'énergie électrique qui illumina le village d'un coup, de mars et les semailles, de Pâques et les agneaux tués et le blé d'avril. Ventura sait désormais qu'il lui est Impossible de vivre autrement car avec sa vie communautaire il peut recueillir à l'extérieur de lui la façon d'être bon et brave à l'intérieur. Chercher à l'extérieur, la conscience de soi que l'on ne peut avoir à l'intérieur. Ne pas la vouloir elle à l'intérieur de soi ce qui eut été déplaisant.
Ventura reprend l'évolution de l'hiver vers le printemps et conclut que c'est comme cela qu'il fut changé. Et le village lui-même avait changé en bien ce qui, au départ, n'était pas certain.
2 - Trop tôt, trop tard (1981, 10'15). Image Robert Alazraki son Louis Hochet, Commentaire Bahgat el Nadi. Texte de Mahmoud Hussein : La lutte de classe en Egypte de 1945 à 1968 pour Le peuple.
Trop tôt, trop tard est composé de deux parties dont la première est consacrée à la France, la seconde à l'Egypte. Sur les images de la campagne bretonne, à Tréogan, est lu un texte de Hengels décrivant la misère des paysans en 1789. Pour l'Egypte, c'est un texte de l'historien Mahmoud Hussein sur la lutte des classes dans ce pays depuis Bonaparte jusqu'au règne de Sadate. L'extrait choisi se situe dans cette seconde partie, c'est une sortie d'usine.
Sirène sur fond noir puis un seul plan. En 1919, c'est la révolution contre l'occupant britannique, objectifs démocratiques révolutionnaires liés aux objectifs patriotiques. Des embryons de pouvoirs populaires voient le jour. Révolte contre les grands propriétaires des étudiants des ouvriers, des chômeurs, les boutiquiers, les fonctionnaires. Les ouvriers occupent les usines et autodéfense contre les forces de répression
3-Fortini/Cani (1976, 18'20). Image : Renato Berta ; son : Jeti Grigioni ; commentaire : Franco Fortini. Texte de Franco Fortini (I cani del Sinai).
1967. Les conseils communaux des Apuanes, où 23 ans auparavant, Reder et les siens tuèrent des centaines de personnes, se prononcent contre le recours en grâce après la commune de Mazabotto. Un pano droite gauche puis gauche droite pour saisir un premier village. Puis une succession de panoramiques pour aller chercher les villages des Apuanes dans les vallées encaissées. Pano droite gauche sur la place du village pour venir cadrer au monument au mort : "Vinca, que la flamme qui brula destructrice par la barbarie allemande, te rappelle enfermée dans le marbre, le martyre de tes gens" avec un panoramique vers le ciel. Panoramique gauche droite des montages aux villages de la vallée s'arrêtant sur de petits arbres, puis panoramique sur une cité avec retour presqu'aux arbres. Double panoramique d'adieu aux villages.
Le quatrième extrait, est basé sur Les chiens du Sinaï, un poème écrit en 1967, après la guerre d'Israël. Son auteur, Franco Fortini, écrivain italien juif, en lit quelques extraits qui s'insèrent dans les paysages italiens. De ces rapports texte/images se dégage une forme de portrait politique du poète qui refuse de dire les choses posément, noblement comme le journaliste de télévision, fidèle au discours officiel le souhaiterait. Sur le Sinaï, il n'y a pas de chiens. "Faire le chien du Sinaï" est une expression qui signifie "courir après le vainqueur", "être du coté des patrons, chien du Sinaï. Il y a donc d'un coté Fortini, qui raconte et lit l'histoire de la Shoah comme il le veut et, de l'autre, les chiens, qui neutralisent l'histoire par leur pensée et leur diction.
Franco Fortini lit des extraits de son livre, Les chiens du Sinaï : "Il y eu un mode très réel d'oublier ces tués, le mode tenu par les classes dirigeantes italiennes pendant les dix premières années de l'après-guerre. Aujourd'hui on préfère parler des carnages nazis pour ne pas regarder la vérité en Indonésie au Vietnam, Amérique latine Congo. Au fond, il y a une seule, dure, féroce nouvelle : vous n'êtes pas où arrive votre destin. Vous n'avez pas de destin. Vous n'avez pas et n'êtes pas. En échange de la vérité vous a été donné une apparence parfaire, une vie bien imitée pour jouir d'une sorte d'immortalité. La récitation de la vie n'aura jamais de fin"
"Evoquez les boucheries nazies équivaut à en demander une clé d'interprétation. Ce n'est pas une fiction pathético-mystique de l'horreur et de la bestialité. Ce sens est d'avoir résumé dans une incroyable concentration de temps et de férocité toutes les formes de domination et de violence de l'homme sur l'homme ; avoir reproduit à l'usage d'une seule génération humaine ce que, dilué dans le temps, dans l'espace, dans l'habitude et l'insensibilité, les classes subalternes européennes et les populations colonisées avaient subi comme dénégation d'existence et d'histoire comme aliénation, réification, annihilation".
4- Der Tod des Empedokles (1987, 5'35). Image : Renato Berta, son Louis Hochet. Interprètes : Andreas von Rauch, Vladimir Baratta. Texte Friedrich Hölderlin.
n 1798, le poète et philosophe allemand Friedrich Hölderlin (1770-1843) écrit une tragédie sur la mort symbolique du législateur antique Empédocle. Panthéa, la fille de l'archonte Critias, à la tête de la cité d'Agrigente voue un véritable culte à Empedocle qui l'a sauvée d'une mort certaine. Son ami Délia s'inquiète, hommage de Panthéa pour Empédocle lui semble emporté et douloureux, trop grand pour elle : "L'illimité tu l'aimes sans limite". Critias qui a perdu son pouvoir sur le peuple à a cause d'Empédocle "L'homme enivré devant tout le peuple s'est nommé un dieu. Le peuple n'écoute plus aucune loi et aucun juge. Les usages sont submergés par une effervescence inconcevable. Tous les jours sont devenus une fête. Les modestes jours fériés se sont perdus en Un. Le peuple le veut pour roi et dieu". Il retourne le peuple contre Empedocle qui se sent par la même occasion abandonné des dieux. Critias le fait exiler avant de revenir sur sa décision. Top tard, Empedocle, qui n'aime que l'illimité, résiste à toutes les prières, refuse de revenir sur sa décision d'en finir avec la vie en se précipitant dans l'Etna. Il célèbre la mort choisie, qui va le réconcilier avec son destin et le réintégrer dans la Nature.
Ici un plan unique. Les nuages qui couvrent bientôt toutes les montagnes font alterner des instants ensoleillés ou plus sombres sur les arbres agités par le vent: "Vous avez soif depuis très longtemps d'inhabituel. Agrigente se languit dans la vieille ornière. Ainsi risquez-le ce que vous avez hérité, ce que vous avez acquis. Ce que la bouche de vos pères vous a raconté, enseigné : quittez les dieux et revenez à la nature".
5- Schwarze sünde. (1989, 2'). Image : William Lubtchansky; son : Louis Hochet, interprète Danièle Huillet. (2').
Noir péché est basé sur la troisième version de La mort d'Empedocle de Hölderlin. Dans ce court extrait, on voit la compagne de Jean-Marie Straub prononcer deux mots : "Nouveau monde !". Le film ne pouvait se terminer que par cela.
Générique
L'inconsolable (2011) , le précédent film de Jean-Marie Straub distribué en salle, se présentait déjà sous forme de trois courts-métrages, L'inconsolable lui-même précédé de Un héritier et Le chacal et l’Arabe. Celui-ci est bien plus complexe et déroutant. C'est un film en six parties. Le temps du mépris, d'après un texte de Malraux de 1935, date de 2014 alors que les cinq parties suivantes sont extraites de ses précédents longs-métrages : Ouvriers et paysans (2001), Trop tôt, trop tard (1981), Fortini/Cani (1976), La Mort d'Empedocle (1987) et Noir péché (1989). Hiératique dans son propos sur les communistes d'hier et d'aujourd'hui, le film est extrêmement peu pédagogique et nécessite la lecture préalable du document d'accompagnement édité par le distributeur pour être apprécié. Reste ensuite au spectateur à unifier ces diffèrent extraits pour en faire surgir le sens et l'émotion.
A propos illimité, forme illimité
Le film fait se succéder six extraits. Si le premier est annoncé par un carton, il n'en est pas de même des cinq autres. Un peu comme si la fin d'un extrait attendait une réponse du suivant ; formait avec lui une continuité, souvent par contraste. Ainsi, Le temps du mépris se termine-t-il par un couple de dos qui se retrouve alors que l'extrait Ouvriers et paysans (2001) débute par un couple de face qui va se trouver progressivement. Le premier extrait était composé de trois séquences très repérables, trois plans pour l'interrogatoire, un long plan noir pour exprimer la peur de la torture et de la folie et deux plans du couple de dos. Le second extrait est composé d'une succession de plans frontaux. Le bruit des oiseaux, perceptible dans le plan noir et dans le plan du couple de dos, assure toutefois la continuité avec le second extrait.
Après ce long texte Elio Vitteroni en Italien, retour à un court texte dit en français sur un unique plan fixe d'une sortie d'usine au Caire tiré de Trop tôt, trop tard (1981), qui ne peut manquer d'évoquer La sortie des usines Lumière (1895). L'extrait de Fortini/Cani (1976) qui le suit revient à l'Italien pour aller chercher dans une succession de panoramiques tous les villages des Apuanes qui refusèrent d'accorder la moindre la grâce aux fasciste criminel de Mazabotto. C'est d'abord le versant est des Apuanes, les contreforts, très loin, près de Bologne, sur le Monte Sole où se trouve Marzabotto, puis le film survole les montagnes et arrive sur l'autre versant sans filmer la mer, donc tournée vers l'est, ce qui explique que l'on voit les carrières de marbre de Carrare. En guise d'adieu à ces villages de résistants qu'ils quittent avec regret, les Straub font un dernier plan avec un double panoramique 360° alors qu'aucun signe de virtuosité n'avait accompagné précédemment ces plans de montagne. Fortini exprime ensuite son dégout d'une interprétation des crimes nazis comme d'une exception mystique, un cas unique et exceptionnel dans l'histoire. Pour lui c'est une concentration dans un court moment de toutes les horreurs que le capitalisme contient potentiellement et qu'il ne cesse de faire peser sur les opprimés. La Mort d'Empedocle (1987) et Noir péché (1989), nouvelle version du texte d'Hölderlin, se mettent au diapason de cette rage dans un beau phrasé allemand. Chacun de ses deux extraits est composé d'un unique plan et font l'éloge de la matière illimitée. Dans le premier, les nuages qui couvrent bientôt toutes les montagnes font alterner des instants ensoleillés ou plus sombres sur les arbres agités par le vent. Dans le plan de Noir péché (1989) apparait Danièle Huillet plein cadre en Panthéa, la fille de l'archonte Critias. C'est bien évidemment la bien aimé de Jean-Marie Straub qui lui rend là un aussi bel hommage que dans L'Orphée aux enfers de Pavese dans L'inconsolable (2011). Non seulement ce plan accompagne de nouveau de musique, absente après le plan noir du tout début, mais Panthéa n'y prononce que deux mots : "Nouveau monde" comme une promesse.
Les communistes
Choisir un titre en allemand permet de relier l'histoire des communistes allemands du début aux textes d'Hölderlin de la fin. L'ambition est en effet internationale passant par la France, l'Italie et l'Allemagne mais aussi et l'Egypte, voir Israël et la Palestine, avec le texte de Fortini. Il s'agit bien de décrire une résistance à la platitude au fascisme du monde pour en construire un nouveau qui ne repose pas sur une quête mystique mais sur l'histoire que les hommes poursuivent au travers des générations. Daniel Huillet a beau être morte, son désir d'un nouveau monde passe au travers de cette affirmation historique du film.
Jean-Luc Lacuve le 04/04/2015