Le chacal et l’Arabe
2009

Film de Jean-Marie Straub. Texte de la nouvelle Schakale und Araber de Franz Kafka. Avec : Barbara Ulrich (Le chacal), Giorgio Passerone (L'Arabe), voix de Jubarite Semaran (l'homme du Nord). 0h11.

Sur l’écran blanc, un chant en allemand et une musique de György Kurtag : "De nouveau, de nouveau, bannis au loin, bannis au loin".

Une femme, se tient à genoux dans un appartement, les yeux fermés. La lumière éclaire son visage et ses cheveux ; elle profère une parole, entre prière et imprécation : "Je suis, dit-elle, le plus vieux chacal alentour". La femme salue quelqu’un dans ce désert, un homme du Nord. On ne le voit pas répondre, l’écran est noir quand il parle, on entend sa voix. La femme lui demande d’intervenir dans le conflit qui oppose les chacals aux Arabes. Pourquoi les Arabes ne se contentent-ils pas comme les chacals de manger la charogne ? Les Arabes égorgent les bêtes, il faut que l’égorgement, la mise à mort des bêtes, cesse. Elle tend à l’homme du Nord des ciseaux pour que soient égorgés à leur tour les Arabes.

"Ces ciseaux cheminent à travers le désert, se plaint l’Arabe, à chaque Européen, ils sont proposés ». Au bord du territoire qu’ils convoitent et pour lequel ils se déchirent depuis toujours, les Arabes reconnaissent aussi les chacals comme leurs meilleurs ennemis : "Merveilleuses bêtes, n’est-ce pas ?" conclut l’Arabe.

 

Les Straub voulurent d'abord adapter le texte de Kafka dans le désert égyptien lors du tournage de Trop tôt, trop tard (1981). Jean-Marie Straub envoya ensuite à Wim Wenders la traduction par Danièle Huillet de la nouvelle de Kafka pour le numéro 400 des Cahiers du Cinéma, en octobre 1987. Il réalise maintenant le film comme une "comédie de chambre" dans son petit salon parisien.

Chacals, Arabes et Européen, meute, masse, individu : des conflits immémoriaux dans le désert, une étrange affection entre ennemis de toujours. Qui résoudra l’énigme du monde dans cette « histoire d’animaux » publiée par Kafka en 1917 ? Franz Kafka publie ce texte en pleine guerre mondiale, dans Le Juif, la revue de Martin Buber. Il demande à celui-ci de ne pas lire ce texte comme une allégorie : c’est, dit-il, une histoire d’animaux. Chez Kafka, l’animal est précisément ce qui échappe au cadre (à la loi) ; il est tout entier mouvement et liberté — mouvement qui erre, liberté qui creuse : pour la parole, devenir animal, c’est entrer dans ce grand territoire. Celui qui, voyant ce film, croira y voir un point de vue sur le conflit israélo-palestinien, fera donc bien d’aller voir ailleurs.

Il est question du désert, des frontières impossibles, du sang et de l’affrontement. L’irruption de l’Arabe fait entendre une autre voix, celle qui laisse entendre que la plainte des Chacals est une comédie, et que la violence elle-même est une farce jouée par des rivaux. Une farce qui tourne autour de l’extermination, autour du désir d’exterminer son ennemi : "Donc enfin les ciseaux". Straub parvient à faire entendre la drôlerie de ce dialogue par le jeu des têtes qui se lèvent, se baissent, et défient leurs lignes ; par cette sobriété sauvage des gestes qui définit le grand humour. Comme le texte de Kafka, le film de Straub est une comédie : il joue sur la prétention de chacun des protagonistes à tenir son rôle. Car c’est un film sur l’ennemi — sur ce qu’il en est, crûment, de parler de son ennemi. Sur : dire du mal. Sur : la diffamation. Est-il possible, comme le demande le chacal, de « mettre fin au conflit qui déchire le monde » sans en passer par le sang ? Prendre la parole, c’est viser un ennemi, le serrer entre ses mâchoires, « prendre son sang ».

Source : Yannick Haenel, dossier de presse du film, février 2012.

critique du DVD
Editeur : Montparnasse, septembre 2012. Format : 1.37. 45 €
critique du DVD

Coffret Straub - Huillet, volume 7.

DVD 1 : La Mort d'Empédocle.
DVD 2 : Noir Péché, Trop tôt / trop tard.
DVD 3 : Le genou d'Artemide, Le streghe - Femmes entre elles, L'inconsolable, Un héritier, Chacals et Arabes.

 

 

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dvd aux Editions Montparnasse