Chin fait visiter à Lung l'appartement qu'elle va acheter. Chin est la secrétaire personnelle de Mrs Mei, une femme d’affaires au sein d’un grand cabinet d’architectes. Chin espère une augmentation allant de pair avec ses responsabilités croissantes. Elle espère aussi qu'à son retour d'Amérique, Lung viendra lui rendre souvent visite, qu'ils pourront regarder ensemble la télévision au lit.
Quelques semaines ont passé. Chin a emménagé. Elle travaille pour Ko, son collègue architecte, car Mrs Mei a été licenciée suite à une erreur d'expertise de 10 centimètres sur un chantier. Du coup, le cabinet est sous la menace d'un rachat par la Kuo-Chen Inc. Ko est déprimé et souhaite inviter Chin le soir mais celle-ci a réservé sa soirée pour Lung, rentré des USA.
Lung a réservé sa première visite à M. Lai, son ancien entraineur de base-ball qui connut son heure de gloire avec lui. Lung revient désabusé de Los Angeles : "Comme à Taiwan, il y a trop de taïwanais". Il est resté chez sa soeur et son beau-frère pour enregistrer des matches de base-ball à la télévision. Il informe M. Lai que sa fille, Gwan, ne rentera pas tout de suite de Tokyo où il a fait escale. Elle est en instance de divorce et négocie la pension alimentaire que son mari, Kobayashi, lui doit pour leurs deux enfants.
Lung arrive un peu en retard à la sortie du bureau de Chin qui lui donne les clés de son nouvel appartement. Ils se rendent tous deux dans la famille de Chin. Pendant que Chin trie des papiers, son père invite Lung à diner. Il se plaint de son stock de tubes en plastique et de capsules qu'il a du mal à vendre avec les nouvelles normes imposées. Ils vont finir la soirée chez M. Lai jouer au go. Chin s'inquiète de savoir si Lung est allé voir Gwan à Tokyo en rentrant de Los Angeles. Lung nie. Plus tard dans la soirée, Chin voit débarquer sa sœur, Ling, qui voudrait lui emprunter 5000 dollars.
Le lendemain, Chin apprend son licenciement imminent. Elle cherche vainement à joindre Lung qui passe la soirée avec des amis. Elle sort alors diner avec Ko, son collègue architecte. Ils mangent des nouilles. Rentré chez lui, Ko dédaigne les pâtes préparées par sa femme. Chin est contente de trouver Lung chez elle le soir mais est triste qu'il ne lui demande pas pourquoi elle rentre si tard. Lung projette de faire de l'import avec son beau-frère à Los Angeles mais s'inquiète de la violence, des meurtres commis si facilement en prétextant l'autodéfense.
Chin rencontre Mrs Mei qui ne lui propose pas de travail. Elle va voir sa sœur, Ling, dans son squat, en haut d'un immeuble en construction. Elle lui remet les 5000 dollars dont elle a vraisemblablement besoin pour avorter. De son côté, Lung est sollicité par son beau-père qui a accumulé les dettes.
Lung rencontre par hasard son ancien ami joueur de base-ball, Kim, dont la femme joue l'argent du couple et de leurs trois enfants. Kim, tout à sa passion du base-ball, n'a pas étudié et son bras blessé est devenu sensible au moindre souffle. Il a fait de la prison et gagne sa vie en conduisant un taxi pour nourrir ses trois enfants. Chin apprend de sa mère que les affaires de son père sont au plus mal. Elle lui donne 100 000 dollars.
Lung retrouve Chin avec des amis dans un bar. Ils prennent de haut ce compagnon de la belle Chin qui travaille dans une boutique de tissus, rue Dihua. Allen, un des amis, abuse de son adresse aux fléchettes pour humilier Lung. Celui-ci se bat contre lui. En rentrant, Lung et Chin décident de partir en Amérique. Lung demande à son ami Yang de vendre sa maison, héritée de son père. Lung quitte l'appartement de Chin car il attend un coup de fil de son beau-frère pour s'associer avec lui.
Ko téléphone à Chin : il aimerait la voir car il va divorcer. Lung se sent l'obligation d'honorer le chèque qu'a fait le père de Chin. Celle-ci lui reproche d'aider son père qui ne connait plus rien aux affaires et tente des coups stupides.
Quand Lung va chez Kim, il découvre les enfants seuls : le père fait le taxi alors que la mère, Sui, joue dans un tripot. Lung va chercher Sui dans le tripot et la force à rentrer chez elle s'occuper des enfants. Il croise par hasard dans la rue Gwan, rentrée du Japon. Celle-ci se souvient encore combien elle était amoureuse de lui, tout comme Chin, lorsqu'ils étaient étudiants et Lung champion de base-ball. Elle tente vainement de le séduire.
Ling, chez Chin, visionne une cassette ramenée par Lung de son voyage. Chin découvre que Lung est resté au Japon suffisamment de temps pour enregistrer des matches de baseball. Lorsqu'il rentre de sa soirée avec Gwan, elle le gifle. Il s'enfuit, meurtri. Un peu plus tard, il perd sa voiture au jeu.
Chin rencontre un jeune ami de Ling dans son squat. Celui-ci l'amène à moto au bord de la mer. Ling fête l'anniversaire de sa sœur chez elle. La soirée se prolonge par une virée en moto. Lors d'une halte pour faire des courses, Chin croise Ko faisant des courses avec sa femme. La fête se termine dans une boite de nuit. Chin rentre seule chez elle sans réussir à joindre Mrs Mei.
Lung se plaint auprès de sa sœur que son mari ne le rappelle pas. Le jeune amoureux de Chin l'attend chez elle. Chin ne veut pas le voir et retourne en ville passer la soirée au karaoké. Lung passe une bonne soirée avec le père de Chin. Puis, appelé par Chin depuis la boite de karaoké, la ramène tard le soir. Il refuse de passer la nuit avec elle. "Se marier ce n'est pas une panacée, partir ce n'est pas une panacée, juste un espoir fugace qui te donne l'illusion que tout peut recommencer". Il veut du calme et tout repenser car, dit-il, tout a échoué pour lui depuis quelque temps et il n'a personne pour le conseiller.
En sortant, Lung intime au jeune homme qui poursuivait Chin de la laisser tranquille. Celui-ci prend mal la chose et le poursuit lorsqu'il rentre en taxi. Lung lui administre une correction mais s'aperçoit que le jeune homme l'a poignardé au flanc. Les mains en sang, Lung ne peut arrêter un des rares taxis qui passait par-là. Après quelques pas sur la route, il s'aperçoit qu'il se vide de son sang et va mourir. Il se souvient avec tristesse des jours de gloire de son équipe junior qui représenta Taiwan et fut championne du monde 1969.
Au petit matin, une ambulance vient chercher le corps de Lung pour la morgue. Gwan est appelée au téléphone par Mrs Mei qui est chargée de diriger les nouveaux bureaux de la branche taïwanaise d'un géant américain des new datas. "Tout le monde part en Californie du Sud mais c'est bien ici, non ? Maintenant nous pouvons amener l'Amérique à notre porte. Pourquoi aller si loin ?" interroge Mrs Mei qui fait visiter à Chin les locaux encore vides où elle sera sa secrétaire particulière. En voix intérieure, Chin pense qu'effectivement Lung ne partira probablement pas : "Il n'a pas pris de décision".
Taipei Story est le deuxième long-métrage d’Edward Yang, réalisateur phare du Nouveau Cinéma taïwanais avec son compatriote et proche collaborateur Hou Hsiao-hsien, également producteur, coscénariste et acteur principal du film. À travers l’histoire amère et tragique de la désintégration d’un couple, Edward Yang dresse le portrait désenchanté d’un pays en proie à de profonds bouleversements, balançant constamment entre son passé et sa soif de modernité.
Une modernité incarnée par les femmes
Le couple formé par Chin et Lung est très moderne. Elle est la secrétaire personnelle d’une femme d’affaires au sein d’un grand cabinet d’architectes et emménage seule dans son nouvel appartement. Lung, sans véritable ambition professionnelle, travaille dans une boutique de tissus. Il a hérité de la grande maison de son père et rêve de vivre en Californie. Ils se connaissent depuis le lycée où, 15 ans plus tôt, Lung fit partie de l'équipe junior de base-ball de Taipei qui fut championne du monde. Chin et Gwan étaient alors amoureuses de lui. Gwan, la fille de son entraineur, M. Lai, a épousé un japonais dont elle est en instance de divorce.
Comme le fait remarquer Gwan à Lung : "Le monde n'est plus aussi simple qu'à l'époque où tu jouais au base-ball. Il n'y a que toi qui n'as pas changé". Lung, en effet, fait passer sa compassion envers son ami Kim et le père de Chin avant ses propres intérêts et, à force de ne pas prendre de décision, finit, un peu par hasard, par en mourir.
Lung est resté très attaché à son passé, à M. Lai qui entraine désormais de tout jeunes joueurs. Il partage sa nostalgie du passé. Ainsi ce fort sentiment du temps qui passe avec M. Lai regardant les enfants qu'il entraine au base-ball. Ils les trouvent en forme et bien nourris mais sans talent exceptionnel. M. Lai regrette qu'entre Gwan et son protégé, cela n'aie pas marché. Indifférent au-dessus d'eux, un avion de ligne traverse le ciel. Lung est aussi très attaché au père de Chin qu'il aide dans ses affaires au-delà du raisonnable et avec qui il aime passer ses soirées, à le regarder jouer au Go avec M. Lai ou à boire avec lui.
Plus tragique repli sur soi masculin, Kim, le chauffeur de taxi qui n'a pas su sortir de sa condition d'ancien sportif. Il survit difficilement alors que sa femme, Sui, l'abandonne avec leurs enfants.
Ling, la jeune sœur de Chin, incarne aussi cette modernité fêtarde qui veut s'éloigner du modèle de sa mère, concubine toujours sous la dépendance économique de son mari. Enfin, Mrs Mei fait aussi preuve d'une grande volonté entrepreneuriale. Une fois licenciée, elle s'en va aux États-Unis pour trouver de quoi occuper un poste important à Taipei comme représentante d'un groupe américain de l'informatique.
Strates architecturales et strates sociales
Le film débute par un pré-générique où Chin fait visiter son appartement à Lung. Au plan du couple devant la baie vitrée d'un appartement qui permettrait une vie harmonieuse répondra le dernier plan du film. Chin, en compagnie cette fois de Mrs Mei, contemple dans des locaux commerciaux vides le reflet de la ville sur la baie vitrée de l'immeuble d'en face. Les lieux de travail et d'habitation semblent ainsi s'accorder avec la vie que chacun se fait.
Se superposent ainsi dans le film les strates du Taïwan ancien, d'un modernisme séduisant, des immeubles impersonnels et d'un modernime agressif.
Chin et sa famille habitent un ancien palais délabré alors que Lung habite une ancienne demeure coloniale achetée par son père au départ des Américains. Chin déménage pour un appartement dans un immeuble convivial, avec balcon et cour intérieure où jouent des enfants. L'immeuble de Chin se distingue de ceux, impersonnels qu'a construit Ko dans son cabinet d'architecte et qui le désespèrent : "Quand je regarde ces bâtiments, j'ai de plus en plus de mal à reconnaitre ceux que j'ai dessiné, ils se ressemblent tous. Comme si ça ne changeait rien que j'existe ou pas". Plus modernes mais sans doute plus difficiles à vivre, l'immeuble dans lequel vont être transférés les bureaux de Mrs Mei à la fin. Ceux du cabinet d'architectes au début semblaient plus originaux. Le squat de Ling, plus moderne encore, voisine avec les enseignes publicitaires lumineuses et domine la ville. Les lumières des motos transpercent la nuit bien davantage que les décorations bariolées à la gloire du régime. Cette lumière de la jeunesse qui ne veut pas s'éteindre se retrouve aussi dans la séquence de boite de nuit où l'électricité, interrompue un moment, est remplacée par la flamme des briquets.
À l’inverse d’un Hou Hsiao-hsien qui excelle à dresser le portrait des campagnes taïwanaises, Edward Yang prouve ainsi qu’il est, lui, un grand cinéaste de la ville et de ses métamorphoses architecturales, reflets de l’évolution d’un pays en pleine transition. Edward Yang se rapproche ainsi d’un Antonioni ou d'un Tati pour qui l'urbanisme des grandes villes influe sur la communication entre les hommes.
Jean-Luc Lacuve le 18/04/2017