Dans un chalet sur les hauteurs de Grenoble, un escalier en bois menant au deuxième étage, deux femmes se parlent : Sandra, écrivaine, reçoit une étudiante, Zoé Solidor, venue l’interviewer, mais le bruit est tel que l’entretien doit être interrompu. En effet, sous les combles, Samuel a monté le son à fond. Sans doute pour embêter sa femme. Sandra dit au revoir à l’étudiante, lui fait un salut de la main au deuxième étage, monte les marches de l’escalier. Daniel, le fils du couple, âgé d’une douzaine d’années, sort se promener avec le chien dans la neige. L’enfant est malvoyant, et ses yeux aux teintes voilés sont cachés par de grosses lunettes de soleil. Quand il revient devant la maison, il découvre son père allongé, inerte, son sang figé dans la neige.
Alors que Sandra ne tarde pas à se remettre, Daniel est profondément affecté par la mort de son père. Une enquête est ouverte. Un ancien ami, Vincent Renzi, avocat, vient lui prêter main-forte. Des reconstitutions ont lieu et Daniel qui nie une dispute entre ses parents se contredit quant à la position où il a pu entendre les voix. S’il était à l‘extérieur, il n’a pu entendre une conversation calme. Il revient ainsi sur son témoignage déclarant que la conversation a été saisie à l‘intérieur. Sandra ne tarde pas à être mise en examen quand on découvre dans l’ordinateur de Samuel la conversation enregistrée d’une dispute avec elle la veille de sa mort.
Un an après, Vincent Renzi prend la défense de Sandra devant la cour d’assises. La présidente du tribunal impose auprès de Daniel la présence de Marge Berger afin qu'entre lui et sa mère il ne soit jamais fait allusion au procès en cours. Sandra plaide non-coupable et Vincent Renzi défend la thèse du suicide de Samuel. C'est Zoé Solidor qui est d'abord interrogée. l'avocat général tente de lui faire dire que Sandra voulait la séduire et que la musique de Samuel visait à l'en empêcher, ce qui aurait pu déclencher sa colère. Un criminologue vient expliquer, animation 3D à l'appui, que la seule solution est un meurtre du deuxième étage, une autre évoque le suicide et un coup porté à la tête en tombant sur le cabanon en contrebas. Sandra explique qu'ils vivaient heureux à Londres où Samuel était un professeur extraordinaire mais qu'il avait décidé de passer à l’écriture comme sa compagne, romancière désormais reconnue. Des tensions étaient apparues sur la répartition des tâches ménagères mais le drame était intervenu avec l’accident de Daniel. Samuel devait aller le chercher à l’école mais, pris par l’écriture, il avait dû renoncer et envoyer la baby-sitter. Celle-ci était arrivée tard, au moment où Daniel traversait la rue et était fauché par une voiture. Ses nerfs optiques avaient été irrémédiablement endommagés. Après, plus rien n’avait été comme avant. Samuel se morfondait dans la culpabilité et les difficultés financières dues aux coûts des soins médicaux exorbitants les avaient conduits à quitter Londres. Samuel avait proposé de venir dans son village d'enfance, éloigné de tout où ils pourraient écrire et gagner leur vie avec des chambres d'hôtes. Les travaux et l’éducation de Daniel avaient néanmoins compromis ce rêve
Daniel est mis face à ses contradictions mais maintient qu'il a entendu une conversation calme depuis l’intérieur ce que ne se fait pas faute de remettre en cause l'avocat général. Sandra intervient pour expliquer qu'une fois déjà Samuel avait tenté de se suicider aux barbituriques ; elle avait retrouvé de l’aspirine dans son vomi. Le psychiatre qui suivait Samuel réfute la thèse du suicide ; Samuel voulait se sevrer des antidépresseurs et était plein d’énergie.
Mais le clou du procès est l’écoute de la dispute la veille de la mort de Samuel. La présidente du tribunal convoque Daniel pour lui expliquer qu’elle refuse qu'il vienne écouter le procès le lendemain. Mais Daniel insiste : il a déjà été meurtri, il le sera de toute manière et il veut savoir. L’écoute de la dispute en cour d’assise est retranscrite sur les écrans de télévision de la salle. Daniel la visualise : c’est l’histoire d’un couple de créateurs qui s’entre-déchire. Samuel n’a pas assez de temps pour lui. Qui s’occupe de l’enfant ? Qui a failli à ses devoirs ? Sandra a pu avoir d’autres relations, notamment avec des femmes. Elle s’est permis de récupérer une idée géniale d’un roman inachevé de son mari. La dispute avait dégénéré et des coups avaient été échangés. L’avocat rappelle, qu'en dehors d'une gifle, que Sandra reconnait, c’est Samuel qui se frappe lui-même comme il en avait pris l’habitude. Avant d'ajourner le procès pour le week-end, la présidente du tribunal annonce que Daniel a demandé à témoigner le lundi.
Marge Berger est appelée à la plus grande vigilance durant le week-end par la présidente du tribunal. Mais à peine rentré, Daniel exige le départ de sa mère. Sandra conduite dans un hôtel en ville par Vincent en pleure de désespoir. Daniel fouille dans les boîtes d'aspirine et en fait avaler à son chien. Il s'effraie de le voir inconscient. Marge le sauve en consultant internet et lui faisant avaler de l’eau chaude pour qu'il vomisse. Daniel explique qu'il a voulu tester la thèse de sa mère car il se rappelait bien lui aussi avoir vu les traces de vomi et l’état de son chien ensuite, mal portant pendant quelque jours. Il voulait savoir si les deux éléments étaient liés. Néanmoins le doute persiste et, en larmes, il demande de l'aide à Marge. Celle-ci lui indique qu'il ne pourra jamais savoir ce qui est arrivé et qu'il doit décider par lui-même de la thèse à adopter ; celle qui lui paraît la plus rationnelle, la plus cohérente.
Le lundi, Daniel témoigne à huis clos. Seules Marge et Sandra et la cour l’écoutent. Il explique que le test de l’aspirine l’a convaincu. C’est la thèse la plus rationnelle et il faut s'y tenir. La présidente du tribunal est interloquée et l’avocat général sent le procès lui échapper. Daniel raconte aussi ce que son père lui avait dit lorsque son chien était malade : qu'il fallait qu'il se prépare à sa mort prochaine que ce serait difficile mais normal ; le chien est vieux et peut être fatigué d'être toujours à ses petits soins. Il comprend maintenant que son père s'était identifié au chien et pensait à son propre suicide.
Sandra est acquittée. Elle a peur de rentrer même si Daniel lui a permis ce retour immédiat à la maison. Elle fait la fête avec les avocats mais se désespère de n’avoir rien gagné au procès et que le plus dur, la vie normale après ce traumatisme reste à vivre. De retour chez elle, Sandra retrouve Marge veillant sur Daniel qui s'est endormi en l’attendant et qu'elle prend dans ses bras pour le conduire dans sa chambre. Daniel d'un baiser sur le front réconforte sa mère qui s'est réfugiée dans ses bras. Puis Sandra va se coucher et se réconforte en enlaçant le chien.
Après une première partie qui met en scène la mort de son compagnon et les indices qui conduisent à la mise en examen de Sandra, le film semble emprunter la voie balisée du film de procès avec le défilé des témoins et experts (Zoé, l'étudiante ; Daniel le fils, deux criminologues et un psy) et son lot de coups de théâtre (la dispute enregistrée et le témoignage tardif du fils). Au fur et à mesure que le film se déroule, la focale change et se déplace, de la culpabilité possible de Sandra vers ce qu'éprouve le fils. C'est son jugement sur sa mère qui devient primordial avec ce qu'il apprend au cours du procès et, notamment, la nécessaire préservation de l'espace personnel créatif dans la vie de couple puis la vie de famille.
Un enfant et son chien
Le film de procès doit permettre de départager la thèse du suicide de celle du meurtre par Sandra, la piste du meurtre par un tiers étant vite écartée. C'est par des flashes-mentaux que Daniel, qui assiste au procès, visualise la thèse des experts quant au coup mortel où à la chute de son père. C'est ensuite au travers de son regard que l'on visualise la scène de dispute qui n'est donnée à ceux qui assistent au procès que de manière sonore. C'est enfin au travers des paroles prononcées par Daniel lors de son témoignage que s'exprime Samuel. Ainsi, par l'image ou par la voix, c'est souvent Daniel qui guide le spectateur. Ces trois moments (visualisation de la chute, dispute des parents, paroles prononcées par le père) ne sont pas à proprement parler des flashes-back qui illustrent un moment du passé mais sont vécus au présent par Daniel. Ils font de lui progressivement et logiquement celui dont on attend le jugement ; plastiquement comme dramatiquement, c'est Daniel qui est au centre du jeu.
A moins que ce ne soit son chien. Toute la balade de Daniel au début du film est filmée à hauteur de chien; ce qui devient évident quand le père est mort et lorsque les policiers arrivent et l’ambulance emporte le corps; le haut du corps et des têtes des personnages ne sont pas montrée. Mieux même : alors que débute le film, c'est le chien que l'on voit dévaler l'escalier pour saisir une balle. Ce que l'on peut alors prendre comme une afféterie inutile n'est que le début de la mise en scène du chien qui se prolonge lors de la balade alors qu'il suit Daniel et Marge, le regard abattu d'avoir servi de preuve à ses dépends. Enfin, lorsque Sandra est devenue l'enfant de son enfant qui l'a réconfortée, elle n’a plus que le chien à enlacer comme seul réconfort inconditionnel.
Intime conviction
Le film de procès tient en général son spectateur en haleine quant au verdict qui sera prononcé, la preuve d'une culpabilité ou d'une innocence étant apportée à la fin. Anatomie d'une chute déjoue doublement ce processus. C'est le jugement de Daniel sur sa mère qui reste primordial avec ce qu'il apprend au cours du procès et, notamment, la nécessaire préservation de l'espace personnel créatif dans la vie de couple puis la vie de famille.
Marge a conseillé à Daniel de ne pas rester dans une incertitude permanente du fait du manque d'élément de preuve irréfutable. Il y a un manque alors, il faut choisir sa vision, peut-être n'est-elle pas celle de la vérité mais la plus rationnelle. Le spectateur est aussi amené à prendre cette décision.
Qu'un père aimant, doté d'une solide énergie et d'ambition, se suicide alors qu'il sait laisser à son fils un chagrin durable parait, au premier abord, peu crédible. Samuel bénéficiait de l'amour de Sandra en étant un professeur reconnu à Londres. Sa volonté d'être écrivain s'est fracassée sur le remord d'avoir causé l'accident de son fils. Sa situation financière devenant difficile à Londres avec ses revenus de professeur amoindris et le paiement des frais médicaux de son fils, il pense avoir trouvé la bonne solution en déménageant dans son village d'enfance en Isère. Mais il a sous-estimé le temps à passer pour les travaux et pour l'éducation de son fils handicapé qu'il a pris à sa charge. Sandra, qui ne se sent pas responsable, en a d'abord, le reconnaît-elle, voulu à Samuel de sa négligence. Mais surtout elle ne s'est pas laissée enfermer dans la spirale du remords et a préservé son espace de liberté créative et sexuelle. Si elle conserve de l'affection pour Samuel, elle n'a pas d'empathie et lui déclare froidement et cliniquement, la veille de son suicide, qu'il s’est trompé sur tous les points. S'il est un écrivain raté, faute de talent ou de temps, il en est entièrement responsable. L'écriture demandant obligatoirement du temps, on ne saurait se contenter d'une ébauche d'idée pour construire un roman. Celle qu'elle lui a empruntée, après qu’il ait renoncé à la mener jusqu'à publication, n'est d'ailleurs pas si "géniale" que cela : Le hasard (1986) de Krzysztof Kieslowski n'est pas son meilleur film et Smoking no smoking (Alain Resnais, 1993), la pièce ou le film, en développe tous les fils avec un brio difficilement surpassable. Que Samuel ait pris l’habitude d’enregistrer le quotidien pour suivre les traces de Sandra, qui explique se servir de son quotidien pour l'entrelacer à la fiction, confirme son manque d’inspiration. Aucune amorce de roman n'a d'ailleurs été trouvée en sus de l'enregistrement.
Dès lors, le diagnostic sur sa vie ayant été posé par Sandra la veille alors que lui même est fatigué de ne s'atteler qu'à bien agir au quotidien et que les travaux n'avancent guère (les combles sont déserts), la thèse du suicide de Samuel dans un moment de désespoir causé par la visite sans doute calme mais méprisante de Sandra après qu’il ait empêché son interview, devient crédible.
Sandra peut se désespérer de n'avoir rien gagné au procès ; pas même une relation avec son avocat et ami d'études. Il lui reste à réapprendre à vivre avec un enfant devenu adulte et un chien comme seul réconfort inconditionnel mais aussi, probablement, l'envie toujours tenace d'écrire.
Jean-Luc Lacuve, le 31 août 2023