Linnéa, âgée de 19 ans, a quitté sa petite ville suédoise pour Los Angeles dans le but de devenir la prochaine grande star du porno. Elle sait ce qu'elle veut et est prête à faire ce qu'il faut pour y parvenir, du travail et du charme, pense-t-elle.
Elle se rend à son premier casting où elle doit "faire l'amour avec un vieux". Mal préparée, elle hésite devant la douche génitale nécessaire et est sur le point de tout laisser tomber. Elle s’exécute néanmoins, habilement mise sous pression par le réalisateur qui prend le temps de l'encourager. Bear, assistant du réalisateur, la félicite et lui assure qu'elle ira loin mais de se méfier néanmoins des filles avec qui elle partage une colocation minable, payée par l’impresario, Mike. Le soir venu, Bella dédaigne ainsi Joy, Ashley et Kimberly et leur régime, pizza-Game of throne.
Le lendemain, Mike emmène Bella et Joy faire la tournée des producteurs, posant tous les mêmes questions et réclamant les mêmes photos. Alors que Joy se dit prête à tout, Bella, qui se sait plus belle, ne souhaite que des scènes garçon-fille ou fille fille. Lors de la séance chez un professionnel, Bella est subjuguée par Ava, une splendide brune qui capte le regard du photographe et de la maquilleuse. Celle-ci lui demande de laisser sa place pour la nouvelle "Spiegler girl". Quand arrive son tour d'être photographiée, Bella a perdu toute son assurance et c'est Joy qui la tire de ce mauvais pas en la guidant pour prendre des poses aguichantes et souriantes. Empêchant au passage Ava de prendre une vidéo où Bella n'aurait pas été à son avantage.
Au retour, l'amitié entre Joy et Bella est scellée. Elle décide de partager sans façon la vie de ses colocatrices. Après quinze jours où il en se passe rien, Mike réussit à faire inviter ses filles dans une fête réunissant le gratin de la pornographie. Bella, en rejoignant Bear au milieu de la file des invités, parvient à se faire présenter à quelques réalisateurs et réalisatrices mais reste sur le seuil du salon de Spiegler. Pendant ce temps, Joy, qui tente de parler avec une vedette du hard, se fait humilier quand il l'insulte et refuse de lui parler. Elle le jette alors tout habillé dans la piscine avant de se faire expulser par le service d'ordre.
Après de nouvelles journées sans travail, Bella appelle Spiegler et lui affirme sa volonté d'être embauchée par lui. Spiegler, qui retrouve son nom dans les books à sa disposition, lui dit qu'elle n'a pas assez de vues sur Facebook ni de followers sur Instagram et, qu'en se contentant du fille-garçon et fille-fille, cela a peu de chance de s'améliorer. Bella décide donc de participer à une scène de soumission avec une réalisatrice qui se montre très professionnelle si bien que la dureté de la scène où elle est encordée se passe bien malgré tout. Bella essaie ensuite une scène de violence mais c'est la catastrophe, le dégoût et la peur, tant l'humiliation est grande. Elle en vomit.
Bellae demande à rentrer en Suède. Mais sa mère, ignorant le travail de sa fille, l'encourage à persévérer à Los Angeles. Bella tente donc l'interracial, la thématique dont lui avait parlé Bear et qui mêle racisme et sauvagerie avec l'inévitable double pénétration anale. Bella s'y prépare avec des godemichets de grandes tailles. Elle souffre lors de la séance mais parvient à finir la scène grâce à l’attention de Bear.
Cette fois, ses followers se sont multipliés. Bella obtient un rendez-vous avec Spiegler qui l'engage à l'essai jusqu'au salon de Las Vegas. Arrivée à ce sommet de la réussite, Bella ne manque pas d'envoyer des vidéos à ses fans. Elle peine pourtant à se faire remarquer ; les photographes mitraillent Eva et la laissent seule. Elle vient alors se coller à Ava dans une séance érotique que s’empressent de filmer les journalistes.
Au retour à Los Angeles, Bella est donc engagée. Pour la scène d'humiliation, elle demande la présence de Joy qui la remercie de lui donner accès à cette production luxueuse dans un décor de nabab. Mais le réalisateur annonce que le hardeur pressenti a dû être remplacé par Axel envers qui Joy éprouve toujours le plus vif rejet. Le rejet est partagé et Axel humilie et pince violemment le dos de Joy durant le tournage. Joy se révolte et demande le témoignage de Bella qui, conformément à son statut de Spiegler girl doit éviter tout scandale, ne soutient que mollement son amie. Joy s'en va, laissant Bella réussir seule la séquence. Au retour, Bella constate que Joy a jeté ses affaires de la collocation.
Bella a rendez-vous pour une scène fille-fille avec Eva. Elle doit montrer sa passion pour elle et Eva lui fouiller le sexe de sa langue. Eva refuse en prétextant des pertes blanches et une probable infection de Bella. Le réalisateur décide alors d'harnacher Bella d'un sexe masculin pour dominer et violenter Eva. Bella se donne à fond dans cette scène tant sa colère est grande contre Eva.
Dans la Cadillac qui reconduit les deux jeunes femmes, Bella, après un long silence, s'excuse vis-à-vis d'Eva. Celle-ci ne voit pas de quoi. Bella dit au chauffeur qu'elle veut descendre. Sous les yeux incrédules d'Eva, lorsque la Cadillac s'arrête, Bella ouvre la portière et descend.
Il est possible que l'industrie du porno ait connu une heure de gloire, incarnant une forme de réussite liée à la libération des mœurs et un divertissement bourgeois alimenté par les nouvelles du Journal du hard sur Canal+ (1991-2006). Ces temps où les films se réalisaient dans une économie pauvre mais régulée sont bien terminés. La prolifération des sites pornographiques met à disposition une surenchère de thématiques où les femmes n'ont plus aucune chance d'échapper à la domination masculine, veule exécutrice de la machine à broyer du capital. C'est cette expérience terrifiante à laquelle est confrontée Bella. Ce film, dans lequel aucune femme n’est nue (si on excepte la courte douche initiale), ne relève jamais de l’érotisme. C’est bien davantage un film noir dans lequel on craint pour l’héroïne plongée dans un milieu terrifiant ou un drame de l'adolescence avec un parcours initiatique raté ou bien encore, en filigrane mais constamment, un film politique.
L’auto-entrepreneuse
La force du film est de mettre en scène un vrai personnage et non un objet à scénariser dans des situations extrêmes. Bella est une jeune femme qui veut réussir à force de travail et de charme. Elle prend des décisions quand il le faut pour lancer sa carrière : téléphoner, faire des vidéos pour recueillir likes et followers, changer de registre, évaluer les rapports de force, s'imposer devant les photographes.
Mais le jeu est truqué. Lors de la scène de soumission, la coache est sympathique et l'acteur tatoué trouve un équilibre en se refugiant dans des jeux vidéo sans violence. La réalisatrice, très professionnelle, code les signes pour dire stop. Mais ces consignes peuvent vite être détournées. Ainsi dans la séquence de violence, l’actrice a le droit de dire non et doit manifester son consentement à chaque instant. Mais la pression économique est très forte : toute séquence non terminée n’est pas payée. D'où, souvent, l'obligation de continuer au-delà des limites initialement consenties.
Sortir de la Cadillac
Sur le point de réussir, Bella abandonne, se voyant condamnée à devenir une morte vivante sans conscience. Bella croyait pouvoir réussir en s'appuyant sur la valeur travail. Elle étouffe dans la Cadillac semblant revenir de Holymotors (Leos Carax, 2012) ou de Cosmopolis (David Cronenberg, 2012), et demande à sortir de ce symbole du capitalisme prêt à l'endormir.
La pornographie est l’avant-poste de l’ultralibéralisme. Elle ne peut que déshumaniser celles qui auraient le courage de s’y aventurer et ceux qui ont l’inconscience de la regarder.
Jean-Luc Lacuve, le 29 octobre 2021.