1924. A Paris, Louise est couturière, elle s'évanouit, le médecin diagnostique rapidement qu'elle est enceinte. Louise rejoint son mari, Paul Grappe, dans un cabaret où, sous la direction de Samuel, directeur d'un cabaret, il joue son propre rôle, celui d'un homme travesti en femme pour fuir la guerre et devenu Suzanne, prostituée vedette du bois de Boulogne avant d'être amnistié. Louise refuse pourtant de dire à son mari qu'elle est enceinte.
En 1916, Louise était déjà très amoureuse de son mari qu'elle retrouvait durant ses rares permissions dans une chambre pour y faire l'amour et boire du vin. Paul n'en peut plus du front d'autant plus que, blessé au doigt, il est accusé de s'être mutilé pour échapper à la guerre. Louise lui procure un revolver et il s'enfuit de l'infirmerie. Louise le cache puis le transforme en femme pour qu'il puisse respirer à l'air libre.
Paul est réticent puis, Samuel nous l'apprend, totalement séduit par sa composition de prostituée vedette du bois de Boulogne. Il y entraine parfois Louise qui n'est pas à l'aise dans ce rôle.
Un matin vers 1920, Louise reçoit la visite du comte Charles de Lauzin, qui se prétend amoureux de Suzanne. Louise l'éconduit mais Paul/Suzanne apprécie les soirées folles, sexuelles et décadentes que le comte, féru de culture allemande, donne dans son hôtel particulier. Charles de Lauzin ne tarde pas à mépriser Suzanne et voudrait séduire Louise. Si celle-ci accepte de coucher avec lui, elle reste néanmoins amoureuse de son mari. Pour briser celui-ci, le comte lui apprend que sa femme est enceinte. Paul ne veut pas de l'enfant et frappe Louise. Celle-ci fait ses valises. Paul la retrouve chez le comte et Louise accepte de le suivre refusant l'amour et la protection du comte. Paul accepte l'enfant mais est incapable de l'aimer, de rependre son rôle au théâtre tout comme de faire les efforts pour être une Suzanne attrayante. Se laissant entrainer à boire, il devient violent et tente même de tuer son enfant en ouvrant la fenêtre de sa chambre par une nuit d'hiver. Suzanne essaie alors de fuir. Il l'en empêche. Elle le tue avec le revolver qu'il gardait toujours dans son sac à main. Plus tard, graciée, Louise revient voir ses amies couturières qui l'accueillent avec chaleur. Son fils s'appellera Paul, comme son mari.
Du livre La Garçonne et l’Assassin (Payot, 2011) des historiens Fabrice Virgili et Danièle Voldman, Téchiné tire un spectacle à la fois très doux et terriblement monstrueux. La nature et l'atelier de modiste de Louise d'un côté, l'activité sexuelle débordante de Paul/ Suzanne de l'autre, le film ne cesse, via la représentation théâtrale, d'osciller entre douceur et excès, entre présent et passé, entre des possibilités qui se dilatent puis se réduisent.
Une base historique profondément remaniée
Téchiné invente le dispositif du spectacle de cabaret. Paul n'a jamais reçu une telle proposition. Louise a peint des soldats de plomb mais n’a jamais été couturière. Seul Paul, lorsqu’il était Suzanne, a fait un moment ce métier. Il n'est rien dit de leur rencontre en 1911 et de leur passion commune pour la mandoline qui les rapproche. L’amnistie de Paul n’intervient qu’en 1925. Entre temps, ils vont en Espagne, entre 1920 et 1922. C’est au retour d’Espagne qu’ils font l’expérience d'une sexualité débridée, initiée par Paco qui, amant de Paul-Susanne, deviendra celui de Louise. Celle-ci qui n’avait jamais eu d’enfant avec Paul auparavant et tombe alors enceinte. Le bébé meurt de méningite à deux ans et demi.
Au profit d'un film mental
Sur les plans du générique, les petites mains d'une couturière superposent, couche après couche, entre de mince feuilles de papier, les éléments d'une toilette féminine complète qu'elles renferment dans un grand carton. A ce petit monde sage et clôt va répondre la guerre et la personnalité bien plus trouble de Paul/Suzanne : les couches mentales vont glisser les unes sur les autres jusqu'à l'effondrement.
Dès les premières scènes, quelque chose ne va pas chez Paul Grappe; le spectacle a l'air de marcher mais il manque un doigt à l'acteur. Il dort au lieu d'être déjà présent sur scène. Il est le héros mais il ne sait pas porter sa voix. Il ne sait pas danser. Quelques choses ne va pas non plus chez Louise, sa femme : elle est enceinte mais refuse d'en parler à son mari. Elle va le voir sur scène et félicite sans enthousiasme celle qui tient son rôle.
A ce questionnement, pourrait répondre le flash-back sur la guerre dans les tranchées. L'explication du doigt coupé est donnée puis la transformation imposée de Paul en Suzanne. Mais, presque immédiatement, par une scène de théâtre, Suzanne n'est plus un déguisement maladroit mais une femme incandescente qui, sur un piédestal de pierre, allume hommes et femme. Si Paul avait été jusque là une figure effacée derrière la lumière des champs de batailles, il devient une demi-déesse qui accumule argent, gloire et beauté. Le temps d'un printemps et d'un été (l'oiseau dans sa cage au dehors prend l'air ; la promenade sur la falaise) le bonheur est présent.
Le spectacle théâtral a permis jusqu'alors de passer du présent au passé, de magnifier les changements de personnalités et de décors; il théâtralise la vie pour mieux la magnifier. Mais, tel Peter Ustinov en maître du cirque dans Lola Montes (Max Ophuls, 1955) Michel Fau en Samuel, propriétaire d'un cabaret parisien, sait que sa vedette est fragile, cassée, désarticulée. A la séquence majestueuse de Suzanne dans sa robe dorée, répond une Suzanne dans les bois, tâtée, harcelée, mise à terre par ses prétendants hostiles dorénavant. Elle git comme une poupée désarticulée.
Sous la personnalité trop longtemps refoulée de Paul avait surgit Suzanne. Paul est relaps. Il a changé une fois de personnalité en devenant Suzanne puis une seconde fois en redevenant Paul. Il est ainsi devenu un monstre vide, traversé de pulsions. Se défaire de la personnalité de Suzanne le fait tomber dans la déchéance alcoolique et la violence. Paul n'était jamais en sureté dans cette peau qui le conduit dans sa fuite en avant. Le revolver qu'il portait toujours sur lui sera son châtiment et sa délivrance.
Avec le bébé qu’attend sa femme, la réalité reprend brutalement possession de lui. La mise à mort de l'enfant en ouvrant la fenêtre est sans doute une réminiscence de L'innocent (Luchino Visconti, 1976). Face à lui, face à la tragédie Ophuls-Visconti, on trouve le petit monde des ouvrières françaises qu'affectionnent Renoir et Becker : l'attention aux broderie dans l'atelier de couture, aux frémissements de la nature lors des pauses déjeuner où l'on discute en mangeant dehors.
Jean-Luc Lacuve, le 19/09/2017.
Lecture comparée avec
« La garçonne et l’assassin – histoire de Louise et de Paul, déserteur travesti, dans le Paris des années folles » (Fabrice Virgili & Danièle Voldman, 2011)
par Jean-Benoît Massif
Apports également du documentaire de l‘émission « La Fabrique de l’histoire » de 2011 sur France Culture : Nous n’irons plus au bois - La drôle d’histoire de Paul Louise et Suzy ou plus accessoirement, d’Au cœur de l’histoire par Franck Ferrand (2011 et 2017) sur Europe 1 et Hondelatte raconte (2017)
1 - Chronologie reconstituée par les historiens :
- 30/08/1891 : naissance de Paul
- 10/03/1892 : naissance de Louise
- ???? : Départ du foyer du père de Paul
- ???? : Décès du père de Louise
- 1901-1903 : Paul confié par sa mère à sa grand-mère dans le Jura
- 1905 : certificat d’études pour Louise
- Paul devient ouvrier d’optique
- 1910 ( ?) : rencontre de Paul et Louise au cours de mandoline
- 09/12/1911 : mariage de Paul et Louise
- 09/10/1912 : Paul incorporé au service militaire pour 2 ans, alors qu’il a un bon poste d’opticien
- 07/08/1914 : Paul part sur le front dans la Meuse (la guerre est déclarée 37 jours avant la quille…)
- 31/08/1914 : Paul est blessé à la cuisse, évacué à Reims, puis à l’hôpital Val de Grâce.
- 10/1914 : Paul, guéri, est renvoyé sur le front (guerre de tranchées désormais)
- 04/11/1914 : Paul est de nouveau blessé, au doigt. Soupçonné d’automutilation, il est mis aux arrêts.
- 16/11/1914 : non-lieu prononcé grâce aux témoignages de ses camarades
- Amputé de deux phalanges à Creil, transféré au dépôt du 102e RI à Chartres
- Mi-mai 1915, comme Paul ne guérit pas, menace du capitaine de l’abattre s’il ne repart pas au front le lendemain ; réponse bravache de Paul : « Non mon capitaine, car dans 48h je serai déserteur »
- 19 mai 1915 : Paul est porté manquant
- 22 mai 1915 : Paul est déclaré déserteur
- 27 mai 1915 : condamné par contumace de désertion
- Différents refuges, dont auprès de la mère de Louise, concierge de locaux industriels pratiques pour se cacher. Echappe de justesse 3 fois à la visite de gendarmes à sa recherche.
- Juin ( ?) 1915 : Paul devient Suzanne Landgard (« au bout de 5 minutes dans la rue, une homme se retournait sur lui »). Louise dépense un quart de ses revenus pour les crèmes de Suzanne, Suzanne devient façonneuse de bretelles à domicile, pour se distraire commence à se promener au bois de Boulogne, fait des rencontres, plaît aux deux sexes
- 23/10/1919 : loi d’amnistie auquel Paul ne peut prétendre
- 02/1920 : Paul (travesti ou non ?) et Louise passent la frontière espagnole, s’installent à San Sebastian
- 17/11/1920 : Paul enregistré comme réfugié pour désertion (identité masculine, taille 1m60, absence de l’index parmi les empreintes digitales)
- Août 1922 : départ de l’Espagne
- 02/09/1922 : installation à Paris, sous de fausses identités, comme un couple de garçonnes. Mode des garçonnes, liée au roman « La garçonne » de Victor Margueritte. Paul complète sa transformation physique, aidé par cette évolution de la mode féminine : jupes raccourcies, cheveux courts à la garçonne de Louise Brooks, mode des petites poitrines. Question de la barbe réglée par l’épilation par électrolyse.
- Parmi des emplois très courts, un qui dure plus longtemps pour Suzanne : dans une maison de couture. Suzanne gravit les échelons jusqu’à devenir « première ». Surnommée par ses collègues la jolie Suzie. Renvoyée à cause d’une aventure avec une petite main de 16 ans…
- 1923 : meeting annuel de parachutisme à Vincennes, Suzanne réalise 16 sauts dans la journée. La presse exalte le « courage de l’intrépide Mme Suzanne Landgard ».
- Suzanne est désormais connue comme « la reine des garçonnes » au bois de Boulogne, toujours plus avide d’expériences inédites. Aux dires de Louise plus tard, « avait en sa possession 5 ou 6 femmes tous les soirs ». Amours passionnées : lettres scrupuleusement gardées, nombreuses photos prises. Petite annonce dans « Mon flirt » en 1923 : Suzanne se dépeint comme « voluptueuse, violente et perverse ». Mystère sur la tenue des ébats… Encouragée par les réponses à ses annonces, activités sexuelles multiples, bois de Boulogne, Montmartre, le tout consigné dans une sorte de journal avec noms, types de parties ou partouzes et évaluation du plaisir pris. ; abandon de plus en plus fréquent de son travail…
- Milieu de 1924 : Suzanne proposa à Louise de l’accompagner dans ses sorties nocturnes. Louise n’est pas enthousiaste. Il ne se privait pas de lui dire qu’elle n’était finalement qu’une bonne à rien sauf à récurer le cul des casseroles, et la surnommait la femme popote. Quand elle accepte de l’accompagner en août 1924, il trouve à redire : « avec une gueule comme t’en as une, je suis sûre de na pas partouser ce soir ». Suzanne demande à Louise de s’attacher à un Espagnol, et de le posséder en sa présence. Paco devint un familier du couple
- Aout 1924 : Paco et Louise sont amants
- Octobre ou novembre 1924 : Suzanne révèle à Paco qu’il est un homme… mais le frère de Louise, pas son mari.
- Décembre 1924 : Suzanne impose à Louise pendant 1 mois la présence d’une de ses maîtresses au domicile conjugal.
- Paul découvre qu’il aime aussi les hommes. Cet oscillation entre ses 2 identités le rend déprimé et suicidaire de long mois durant. Idées noires oubliées dans l’alcool et les orgies. Vie dangereuse, Suzanne commence à avoir peur de certaines relations (Henri)
- 3 janvier 1925 : loi d’amnistie générale à tous les faits de désertion. Dès la nouvelle connue, Suzanne reprend ses habits d’homme et file se déclarer aux autorités militaires (rayé des contrôles le 28 janvier 1925)
- En moins d’une semaine, le cas du déserteur travesti fait le tour des rédactions. En quelques jours, Paul passe de la clandestinité à la célébrité (lettres des lecteurs à propos de l’épilation de la barbe par l’électrolyse)
- Mars 1925 : Suzanne, redevenue Paul, la propriétaire de leur logement veut les expulser. La cause de Paul et Louise est soutenus par les communistes : titre de L’Humanité « Va-t-on expulser la garçonne ? » le 11 mars 1925
- Mars 1925 : Louise tombe enceinte. Qui est le père ? Paul soupçonne Paco malgré les dénégations de Louise. Rien ne permet de savoir si c’était sa première grossesse. Pourquoi cette grossesse alors qu’ils savaient manifestement l’éviter depuis 1911 ?
- Incessantes tournées des bars, muni d’un album contenant les meilleurs clichés de Suzanne dans 20 costumes et 100 poses différentes. Louise raconta plus tard : « Le succès est toujours de plus en plus grand, mon mari boit de plus en plus et ne pense plus du tout à travailler, il tremble au point qu’il ne peut plus porter à sa bouche son bol de café, il devient méchant, l’argent commence à manquer, il ne veut plus s’habiller en homme. Habillé en femme, son banjo sous le bras, il va sur les bords de la Marne jouer de la musique, raconter sa vie de femme, exhiber son maudit album, et boire, boire toujours, il rentre à toute heure de la nuit, il sait que je suis enceinte, il commence à me gifler et tente de me tuer , au milieu de la journée, au milieu de la nuit peu importe ; puis toujours sous l’empire de la boisson, c’est la menace du rasoir : je vais te sortir ton salé que tu as dans le ventre. »
- Avril 1925 : Louise décide de s’enfuir, chez sa mère, puis son amant Paco. Ils quittent Paris pour Lyon, où vit une tante de Louise. Paul vit très mal cette absence de Louise.
- Mai 1925 : Paul est défendu par une avocate communiste qui obtient le non-lieu le 12 mai dans une affaire d’attentat à la pudeur dans un bar. Remerciements signés « Paul Grappe ou Suzanne Landgard dite La garçonne »
- Juin 1925 : Paul pense pouvoir tirer profit de sa célébrité. Engage un impresario en échange de la moitié des gains.
- Septembre 1925 : Louise reçoit une lettre de repentance de Paul, décide de repartir à Paris « car j’aimais mon mari ». Louise déprimait à Lyon, et a été empêchée de se jeter dans le Rhône.
- Léon, le frère de Louise, organise les retrouvailles. Paul et Louise prennent une chambre pour la nuit, et décident de se réinstaller ensemble dès le lendemain
- Paul, qui a un emploi dans une entreprise d’optique depuis le mois d’août, recommence vite à battre Louise enceinte de 6 mois
- 11 décembre 1925 : naissance du garçon de Louise. Reconnu par Paul, qui veut qu’il prenne son prénom. Cette naissance apaise Paul un temps, qui est bien considéré dans son nouvel emploi dans une entreprise d’optique de Levallois. Les collègues de Louise se cotisent pour remplir leur garde-manger. Louise prend des travaux à domicile, elle peint en particulier des soldats de plomb.
- Octobre 1926 : Paul perd son emploi à Levallois : cela illustre le retour d’épisodes violents et les disputes de bistrot.
- 1927 : mort de Léon, le frère de Louise. Le cercle familial se réduit aux 2 mères.
- 4 mars 1928 : violente esclandre avec un autre client du bar
- Avril 1928 : enquête diligentée sur Paul à propos de menaces de mort sur le maire du 20e arrondissement. Elle n’aboutit pas.
- Pentecôte 1928 : Paul Jr (Popol) attrape la rougeole et a besoin de traitements. Colère de Paul, pour qui rien d’autre ne compte plus que ses dépenses en boissons.
- Juillet 1928 : les voisins se plaignent de scènes violentes quasi-quotidiennes, sans avertir la police
- 21 juillet 1928 : Popol a 38,8° de fièvre, Louise va chez le dispensaire, Paul fait la tournée des bars. Paul rentre tôt à 19h30 mais pour passer prendre son fameux albums de photos. Vers 22h, Paul rentre. Louise le couche, Paul se débat, la gifle plus ou moins. Popol se réveille et pleure, mettant en rage Paul. Louise saisit le revolver sur le rebord de la cheminée et tire plusieurs fois (version de Louise ; le voisinage n’a pas entendu de dispute ce soir-là). A 0h20, elle se livre à la police. Le décès de Paul est déclaré à 0h30 à l’hôpital.
- 23 juillet 1928 : Louise est aux arrêts à la prison pour femmes de Saint-Lazare
- 12 août 1928 : Popol meurt d’une méningite tuberculeuse, après une seule et courte visite le 10 août obtenue par Louise
- 24 août 1928 : Liberté provisoire accordée à Louise
- 19 Janvier 1929 : procès de Louise qui est acquittée après un 1/4h de délibérations du jury grâce à la star du barreau Maurice Garçon
- 2 juillet 1929 : Louise se remarie, à un ouvrier tourneur de son âge, Jean-Marie Machin. Mystère : depuis quand Louise le connaît-elle ? avant ou après la mort de Paul ? est-ce lui l’homme mystérieux qui a réglé les frais d’avocat ?
- 1949 : la mère de Louise meurt
- 1978 : Louise est mise sous tutelle
- 14 avril 1981 : décès de Louise
2- Ce que Téchiné élude :
Louise et Paul sont déjà en couple, leur enfance et leur rencontre sont éludées.
Pour résumer lapidairement, Téchiné utilise une citation du livre, la met telle quelle dans la bouche du Monsieur Loyal du spectacle : " Paul Grappe et Louise Landy se sont aimés dans le Paris ouvrier de la Belle Epoque, au début des années 1910. Semblables à bien d’autres Parisiens, ils étaient issus de familles populaires, fraîchement immigrées dans la capitale"
Né le 30 août 1891, son père quitte le foyer à une date inconnue, ses parents divorcent (rare à l’époque). Paul est expédié chez sa grand-mère paternelle dans le Jura, qui le place chez des cultivateurs pour travailler. A 14 ans, sans qualification ni formation, mais volontaire, indépendant, indocile, il finit par obtenir son certificat d’études grâce à ses cours du soir. Il réussit en même temps à devenir opticien.
naît dans le 13e arrondissement le 10 mars 1892, 8 ans après son frère Léon, ses parents ayant dépassé la quarantaine.
L’acte civil mentionne Louise comme « fille de Jean-Baptiste Ambroise Landy qui la reconnaît et de mère non nommée ». (pareil pour le frère Léon).
Le père meurt.
Discrète, modeste et appliquée, certificat d’études en 1905 à 13 ans (peu fréquent pour une fille à cette époque). Mais se plaça immédiatement comme journalière sans qualification pour seconder sa mère, alors que son diplôme lui ouvrait potentiellement un emploi public par exemple.
Employée dans une verrerie, puis 3 ans aux équipements militaires, ce qui lui permit de se dire couturière.
Puis place chez un fabricant de matériel scolaire. Y reste plusieurs années, au moins jusqu’en 1915.
Louise joue du violon et de la mandoline (rare pour classes populaires).
Douée et dévouée, suit des cours à 17 ans puis assiste le professeur de solfège.
Paul Grappe est parmi les élèves.
Se montra galant et lui conta fleurette, Louise fut conquise (1910 ?).
Premier amour entier et passionné pour Louise « j’ai aimé, adoré cet homme » dira-t-elle plus tard.
Réticences à accepter les relations sexuelles, ce qui n’est pas du goût de Paul.
Leur mariage est célébré le samedi 9 décembre 1911.
Téchiné a éludé la mandoline, qui aurait pourtant pu cadrer avec la représentation théâtrale, et qui était un élément très original pour des personnes des classes populaires.
Le banjo/mandoline a une place importante chez Paul : il en joue quand il est contraint à rester enfermé pendant toutes les années de sa clandestinité pour désertion ; emporte son banjo pour ses escapades
- Suzanne et Louise sont passés en Espagne de 1920 à 1922, car Paul ne pouvait pas bénéficier de l’amnistie de 1919.
- Louise est jugée 6 mois après le meurtre de Paul, il y a non-lieu grâce notamment à la star du barreau Maurice Garçon. Honoraires versés par un homme dont on ignore tout…
- Louise meurt en 1981, sans qu’on n’entende plus du tout parler d’elle après son procès…
3 - Ce que Téchiné transforme :
- Louise n’a pas travaillé dans un atelier de couturière, c’est Paul (en Suzanne) qui l’a fait. Mais une certaine camaraderie des collègues de Louise au moment de sa grossesse pour que le couple puisse se nourrir, que Téchiné aurait transposée ?
- Pour le premier travestissement de Paul, ce n’est pas une vieille robe de la mère de Louise qui est utilisée comme dans le film, mais la plus belle robe de Louise
- Le revolver : chez Téchiné, apporté par Louise à Paul pendant la convalescence de son doigt amputé, puis conservé en permanence sur lui par Suzanne pour se protéger au cas où ; dans la réalité, le revolver qui sert à l’assassinat pourrait venir du séjour en Espagne (?), et il était posé sur la cheminée et non dans le sac à main.
- Pas de Comte de Lauzin évoqué dans le livre : Louise a bien eu un amant, Paco, un espagnol, que Suzanne lui avait mis dans les pattes pour une aventure, mais dont il/elle est devenu très jaloux. Louise a quitté Paul pendant 6 mois, et a même migré à Lyon un temps avec Paco. La repentance de Paul la fait revenir.
- L’enfant de Louise et Paul (« Popol ») est déjà très malade au moment de l’assassinat (le 21 juillet 1928), il meurt de méningite tuberculeuse le 12 août 1928 à l’âge de 2 ans et 8 mois (ce n’est pas un bébé comme chez Téchiné, et il parlait : « moi l’a peur papa »), alors que Louise est aux arrêts en prison => pas la fin heureuse du film avec la présentation du bébé aux couturières
- Epilation par électrolyse : Téchiné ne montre que l’épilation du torse, alors que barbe importante de Paul, et beaucoup de lettres reçues par lecteurs de la presse à ce sujet
4 - Ce que Téchiné apporte/comble :
- Pas moyen pour les historiens de savoir qui a eu l’idée du travestissement : Téchiné fait de Louise l’instigatrice de cette idée ; et dans le spectacle théâtral il est dit que c’est Louise qui fait retraverser le miroir à Suzanne pour redevenir Paul après l’amnistie des déserteurs en 1925 : dans la réalité, Paul se serait précipité de lui-même aux affaires militaires pour se signaler au plus tôt, reprenant son identité masculine sans apparemment hésiter. Téchiné présume donc une influence majeure de Louise sur Paul.
- Spectacle théâtral : Paul n’a jamais joué dans un spectacle. Il avait recruté un impresario suite à la parution dans la presse du cas du déserteur travesti, mais ça n’a jamais rien donné (si ce n’est peut-être la vente d’autographes de photographies grimé en Suzanne mais signées Paul Grappe 1915-1925 ? une telle photo a été retrouvée). Paul se voyait en artiste et en homme raffiné contrarié. « Tu ne me viens pas à la cheville, je suis un raffiné, je veux sortir de cette masse, cette masse brute qui va travailler le matin comme les esclaves. » Le raffinement d’une sexualité libérée et d’un travestissement dont il était fier le constituait à ses propres yeux en artiste, en homme aux qualités exceptionnelles.
Jean-Benoit Massif, le 14 septembre 2017