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The chronology of water

2025

Genre : Biopic

Cannes 2025 D'après le roman autobiographique de Lidia Yuknavitch. Avec : Imogen Poots (Lidia), Thora Birch (Claudia), Jim Belushi (Ken Kesey), Charlie Carrick (Andy Mingo), Michael Epp (Frank), Susannah Flood (Dorothy), Earl Cave (Philipp), Tom Sturridge (Devin), Esme Creed Miles (Claire), Esme Allen (Hannah), Kim Gordon (La photographe), Eleanor Hahn (Carol Houck Smith). 2h08.

Une femme dans une piscine puis du sang qui se répand sur le sol d'une douche. Une voix off : "J’ai pensé commencer par le début mais j’en ai un autre souvenir, ce n'est qu'une série de fragments. Répétitions, formation de schémas.... Quand il n’y a pas de mots pour la douleur, laissez votre imagination changer ce que vous savez. Le mouvement de la terre dans la liberté de l’eau. Un anneau autour d’une pierre c’est de la chance ; polie jusqu'à devenir petite ; le grès est apaisant et étincelant ; le schiste est bien sûr rassurants ; une pierre rouge, c’est le sang de la terre ; vous croyez au bleu". A l'image : des cailloux, une lettre, un bras qui se lève, du sable dans une main, une femme qui s'enfonce dans l’eau d’un lac, le ventre d’une femme enceinte, une petite pierre polie sous l’eau d’un robinet, des pierres de toutes sortes, une petite pierre bleu pale, ronde, mise dans la bouche.

Claudia adulte vient enlacer Lidia dans la baignoire : "Je suis désolée" dit-elle puis off "les souvenirs sont des histoires, mieux vaut s’en créer une supportable".

I - retenir sa respiration

Lidia enfant dans la baignoire, son visage sur le dos d'une femme. Un visage souriant, une fleur, un sapin de noël. Et puis des pleurs, ceux de Lidia, mise au coin, moisi. Sa sœur, Claudia, demande à ce que cela s'arrête. Son père la renvoie dans sa chambre. Lydia enfant perçoit de la violence ; sa mère, indifférente.

Elle se rassure comme nageuse et pas comme fille ; écrit des mots sur un carnet avec un crayon dont la mine se brise ; sa mère, cicatrice à la jambe, avait été récompensée dans un concours de nouvelles et son père avait reçu un prix pour un dessin d’oiseau. Sa mère ailleurs toujours et sa sœur, son adoration, son admiration qui encaisse tout. Elle était partie lui laissant un livre sur Jeanne d’Arc. Elle panique quand son père entre dans sa chambre.

Elle veut nager pourtant machisme banal dans le club sportif : tape sur les fesses pour tout demi-kilo en trop. Images super 8. C'est le lycée. En maillot orange, Lidia regarde la piscine pour prendre le relais et plonger, nager. "Combien faut-il de kilomètres pour nager jusqu'à un soi ? Combien de foutus kilomètres ? Médaillées d’or du 200 mètres 4 nages de Floride, meilleur temps des USA. Frank, son père, refuse obstinément qu'elle intègre une université prétextant qu'elles proposent de couvrir "seulement" les trois quarts des frais.

Son père la viole encore; elle couche aussi avec des garçons, boit. Une coach de la Texas Tech la repère et, avec pour une fois, l’aide de Dorothy, sa mère, s’inscrit. Grande fureur du père. Il se fâche ; elle écrit. La nuit, dans la cuisine, il abuse d’elle en lui racontant les agissements salaces et sexuels des garçons. Son père est toujours là pour l'empêcher de partir quand elle fait ses valises; elle l'insulte ; se fait jouir. Lidia prend l'avion et dessine un emoji souriant sur le hublot de l’avion.

A l'université, Lidia nage, boit, se drogue, profite de sa liberté. Elle rencontre Philipp "si loin de mon père" qui gratte de la guitare sur le campus. Elle veut qu'il la baise, aimerait aujourd'hui lui demander pardon. Elle lui crache dessus, le rudoie. Addiction mais aussi impossibilité de parler comme ce le fut avec sa mère. Lorsque Lidia est sauvée d'une overdose, cela lui rappelle celle de sa mère. Après l'overdose elle est obligée d'intégrer un groupe de parole où elle reste muette. Elle a un diplôme. Lidia demande à Philipp de l'épouser. Il accepte.

Au mariage intime célébré sur la plage, Philipp chante ;"les femmes ne peuvent que se raccrocher à elles-mêmes. Lidia est enceinte et en veut à Philipp de lui laisser le choix sans décider. Elle le frappe.

Lidia appelle Claudia qui accepte de l'héberger à Eugene dans l’Oregon. Souvenir du traumatisme de son départ mais aussi souvenir de ce que Claudia avait subi lors d'un voyage en voiture. Frank après une interprétation sexuelle d'un simple geste de protection de Claudia, une couverture remontée, sur Lidia avait subi un viol ans la forêt, alors que la mère et Lidia étaient restées dans la voiture.

Claudia réconforte Lidia lors de son arrivée à Eugene ; souvenirs apaisants. Elle l'aide à accoucher mais bébé mort-né, retour au sang, aux cailloux, à la petite pierre bleue.

Avec Philipp, Claudia et, plus loin, ses parents, Lidia veut lancer la boîte de cendres de l'enfant dans la mer. La boite revient. Lidia s'avance dans la mer pour les disperser. Les cendres reviennent se fixer sur son manteau ; ils en rient. Mais off "Ce qui a vécu et est mort entre nous me hante toujours".

II - Sous le bleu.

Lidia dans le lac, la nuit, off, "Tu es quoi, une sirène ?"

Claire, sa copine de l'université d'Eugene, l’incite à participer aux ateliers de Ken Kesey (1935-2001) où il s'agit d'écrire un roman collectif. Lidia hésite mais est tout de suite fascinée par l'extravagance du professeur. Il lui offre de l'alcool, sachant qu'elle a perdu un enfant. Il aime la haute littérature : le poète Lawrence Ferlinghetti (1919-2021), Lord Buckley, Lenny Bruce.

L'écriture se passe dans la maison de Ken Kesey, isolée près d'un lac  Il est sûr de son talent et lorsqu'elle vient discuter avec lui le soir, l'encourage à écrire. "Personne n’est assez costaud pour supporter ce qui nous arrive. Tout ce qui arrive est entre nos mains". Lidia se rappelle: son père était artiste avant et avant un athlète. Avant que mon père soit mon père, il avait un couple magnifique, et avant encore était juste un enfant. Avant que je le haïsse, je l’aimais. Il lui avait appris le vélo, mais accident : "je n’étais que mon corps qui saignait".

Présentation de Cavers, le roman collectif, à Burlingham. C'est un succès. Son père est présent, il reçoit la dédicace de l'écrivain célèbre dont il a vu au cinéma l'adaptation de Vol au-dessus d'un nid de coucou (Milos Forman, 1975). La gêne est perceptible. Rien n'est dit. Un soir Lidia exprime à Ken Kesey son souhait d'écrire Le bruit et la fureur. Il est malade. Elle ne le reverra plus.

III - L’humidité

Son nouveau prof n'aime pas son « bruit et la fureur », elle dédaigne les encouragements de Claire et suit Hannah pour ce que l'inexpérimentée Claire appelle une "virée baise". Au retour, Lidia l'abandonne quand elle lui dit qu'elle l’aime. Claire lui remet son texte, recherché dans la poubelle.

"Je me souviens d’une enfance heureuse" ; se souvient des quatre semaines alitée "personne ne viendra te sauver". Lidia tombe entre les pattes d’une photographe perverse qui l'initie au masochisme.

IV - Réanimation

Elle écrit des nouvelles, Allégories de la violence, très sexuelles qui l'isolent des autres étudiants. Je suis une femme qui se parle en mensonges mais participe à des happenings divers mêlant provocations, sang et sexe. Elle épouse le déjanté Davin mais préfère bientôt lire et écrire plus que baiser ou boire. Elle passe de 3e en 6e directement puis en 7e où elle termine sa thèse ; doctorat en 8e ; 10e année allongée sur les rails avec Davin, elle constate que c'est fini entre eux. Elle écrit The chronology of water.

Le 9 janvier 1998, Lidia reçoit une avis positif de Poets and writers de NY, pour une lecture 15 juin 1998 de The Chronology of water du recueil Her others mouths qu'elle avait fait paraître un an plus tôt. Cette dernière lettre enfin positive lui rappelle l'épreuve des lettres que son père avait refusées pour son entrée en fac

Après le grand succès de sa lecture, elle se souvient que, récemment, sur la plage Mike a fait un malaise qui a occasionné sa perte de mémoire. Sur la plage, elle avait opéré un bouche à bouche hésitant ; "Elle ne l’a pas tué, ne l'a pas sauvé". Carol Houck Smith de Norton publishing la sollicite pour la publier.

V - De l’autre côté de la noyade

Un soir en manque d'inspiration, Lidia boit et a un accident de voiture. En cellule de dégrisement,elle est horrifiée par la souvenir que l'accidentée était enceinte. Elle accomplit des tâches d'intérêt général et anime un atelier d'écriture à l'université. Elle conseille l'écriture personnelle, à son exemple. Attentive au sort d'une prostituée, sa voisine, même si impuissante; elle-même "ancienne toxico qui grimpe dans l'échelle sociale à qui il est donné une chose aussi petite que des mots auxquels croire"; Les choses qui nous arrivent sont vraies mais l'écriture est un tout autre corps. Elle rencontre Andy Mingo, un de ses étudiants qui lui prête une voiture, va nager avec elle. Elle lui révèle les abus subis. Ils ont un bébé; reçoivent le père qui a perdu la mémoire. L'enfant, Miles, a grandi; ils s'amusent dans l'eau : "La clé, c'est d'inventer des trucs".

The chronology of water est l'adaptation du récit autobiographique de Lidia Yuknavitch (née en 1963), The Chronology of Water : A Memoir (2011) traduit en français en 2016 sous le titre plus accrocheur de La mécanique des fluides. Kristen Stewart a bataillé huit ans pour s'imposer comme réalisatrice de ce premier film, sélectionné dans la section Un certain regard à Cannes et prix de la révélation au festival du cinéma américain de Deauville.

Adapter

Le film reprend les noms des chapitres du récit autobiographique. Il est structuré en une introduction de 4' et cinq parties de longueurs inégales : I-retenir sa respiration (49'), de l'enfance au premier mariage avec l'enfant né mort ; II-Sous le bleu (18'), l'atelier d'écriture avec Ken Kesey; III- L’humidité (12'), la "virée baise" avec Claire et Hannah; IV-Réanimation (17'), 2e mariage et lecture à New York de la nouvelle The chronology of waters; V-De l’autre côté de la noyade (21') de l'accident à la rédemption. Le film dure ainsi deux heures, hors génériques.

Il tente de donner un équivalent visuel au style de l'auteur, fait de phrases hachées, émergence de souvenirs ou d'angoisses futures, venant percer une trame chronologique. Il décrit le long parcours vers la lumière de Lidia, fait de multiples tentatives pour sortir d'un passé terrifiant avec des rechutes inhérentes aux traumatismes subis. L'écriture lui permet de remodeler des séquences du passé pour le réinventer.

Une introduction programmatique

C'est l'objet de l'introduction avec d'une part une série de plans montés cut, flash forward de ce qui va être raconté, le tout explicités par la voix off "J’ai pensé commencer par le début mais j’en ai un autre souvenir, ce n'est qu'une série de fragments. Répétitions, formation de schémas.... ".

Les décadrages fréquents sont une façon de ne pas figer le souvenir, de lui laisser un hors champ, un complément comme une pièce d'un puzzle à reconstituer pour échapper à la mort. C'est cette forme qu'explore le film à savoir retrouver dans le passé de quoi échapper à une sensation totalement cauchemardesque; d'où cette fragmentation des séquences.

Le motif de l'eau est partout présent dans cette introduction : celui de la piscine, de l'eau du robinet pour laver la petite pierre bleu qui intervient plusieurs fois dans le récit, de la mer où seront dispersés les cendres de l'enfant mort né, du lac près de la maison de Kesey, et la baignoire où Claudia vient réconforter Lidia après la naissance de son enfant mort. Ce motif renvoie au thème principal,celui du titre, celui énoncé par la voix off "Quand il n’y a pas de mots pour la douleur, laissez votre imagination changer ce que vous savez. Le mouvement de la terre dans la liberté de l’eau". l'eau qui dilue le sang permet en s'immergeant tout à la fois de fuir et de se laver du passé.

La résilience par la littérature

Cette morale de la résilience n'est pas valable pour tous. Il faut de l'obstination pour faire littérature. Sont montrées ses principales publications avant 2011 : Caverns (1990) : Her Other Mouths dont  la nouvelle The Chronology of Water( 1997),  Allegories of Violence (2000). Lidia n'a pas vraiment abandonné l'idée d'écrire à nouveau Le bruit et la fureur. Elle sait, comme elle l'enseigne à ses élèves que "Les choses qui nous arrivent sont vraies mais l'écriture est un tout autre corps". Elle rend grâce que "ancienne toxico qui grimpe dans l'échelle sociale à qui il est donné une chose aussi petite que des mots auxquels croire".

Dans un premier temps, seule la voix off permettait d'unifier ces fragments d'une horreur qui paraît impossible à appréhender. "Face à la violence masculine, les enfants s'attachent à leur rêve (ou parfois à de simples cailloux trouvés) mais les femmes n'ont rien" dit-elle. Elle apprend à reformuler les fragments du passé en alternant ombre et lumière ; elle le fait à sa manière en essayant de retrouver un père qu'elle aurait pu aimer ; celui qui fut artiste, athlète, enfant, celui qui lui apprit à faire du vélo. Reconquête des corps à l'aide des mots. 

"Je voudrais rappeler à chaque personne, indique Kristen Stewart dans le dossier de presse, " Votre histoire vous appartient, c’est à vous de la réécrire". Mon espoir, c’est que les gens sortent de la salle en comprenant que se réapproprier sa voix – à travers l’écriture, l’art ou simplement en racontant sa propre histoire – est un acte d’une puissance radical"

Jean-Luc Lacuve, le 23 octobre.

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