Rome sur le Janicule, des touristes japonais admirent la vue sur Rome. Une chorale de femmes chante depuis l'étage de la fontaine Paola. L'un des touristes est pris d'un évanouissement et s'écroule, probablement victime du "syndrome de Stendhal".
Sur les toits d'un immeuble dans la nuit romaine une fête est donnée en l'honneur des 65 ans de Jep Gambardella. C'est Lorena, une ancienne starlette de la télévision qui a beaucoup grossi, qui sort du gâteau d'anniversaire. Romano, l'ami proche de Jep tente de séduire une jeune femme en lui proposant un rôle dans une adaptation de d'Annunzio qu'il tente de monter au théâtre. Son manque de charisme ne lui attire que le mépris de l'actrice assez snob pour vouloir écrire un roman à la manière de Proust. Romano la reconduit chez elle. Il est cinq heures, il devra attendre dans sa voiture trois longues heures pour la conduire à l'aéroport. Une naine erre sur le bord du toit déserté par les fêtards
Jep s'en retourne chez lui et croise un homme dans l'ascendeur qu'il félicite pour son costume impeccablement taillé. L'homme, son voisin de palier, ne lui répond pas. Chez lui, Jep ne se sent pas très bien au matin de ses 65 ans mais pas jusqu'à aider sa femme de ménage à ranger la cuisine. Il va s'allonger sur le lit et contemple son plafond. Il est sur son balcon donnant sur le Colisée que le soleil couchant éclaire magnifiquement. Jep a réuni ses amis qui discutent. Il a là, outre l'omniprésent Romano, Lello Cava, un riche négociant, Viola, Stefania et la belle Orietta. Jep raccompagne celle-ci place Navona. Après l'amour, Orietta veut montrer à Jep les photos qu'elle prend d'elle-même et qu'elle met en ligne sur le web. Jep n'a pas envie de se voir imposer quoi que ce soit et fuit l'appartement avant qu'Orietta ne revienne avec son ordinateur. Jep parcourt les bords du Tibre, nostalgique à l'idée d'être devenu, sans plus grand plaisir, le roi des dandys qu'il rêvait d'être en arrivant à Rome.
Jep assiste à une performance d'actrice. Celle-ci, nue, la tête couverte d'un voile court sur une estrade vers un des murs en ruine de l'Apia antica et s'y cogne violemment la tête suscitant ainsi les applaudissements. Jep, journaliste à succès, est venu l'interviewer. Talia Concept n'aime parler d'elle qu'à la troisième personne et surtout de ses traumatismes familiaux et de ses amants. Jep veut l'entendre parler de sa performance et des vibrations qu'elle prétend éprouver. Talia concept, furieuse que sa vacuité soit découverte, réagit agressivement et exige d'être interviewer par un autre journaliste.
Jep a néanmoins rédigé son article, aussi spirituel qu'à l'accoutumée, ce dont se félicite Dadina, la naine aperçue à la fête, qui est sa rédactrice en chef. Dadina aime deux choses dans la vie : une bonne soupe et l'amour car l'une et l'autre réchauffent.
En rentrant chez lui, Jep est abordé par un homme qui se révèle être le mari de Lisa qui lui apprend la mort de celle-ci. Lisa fut l'unique amour de jeunasse de Jep. Elle le quitta l'été de leurs 17 ans, après des vacances sur une ile non loin de Gelio. Jep soutient le mari de Lisa lors de l'enterrement. Il lui apprend que Lisa ne l'a aimé que comme un bon compagnon alors qu'elle n'a cessé toute sa vie d'aimer Jep comme son journal le révèle. Jep n'y croit pas, trouvant que l'écriture est souvent mensongère. Dans le Tempietto de Bramante, une mère cherche sa fille que Jep découvre dans la crypte.
Jep a de nouveau réuni ses amis sur son balcon donnant sur le Colisée. La conversation tourne autour de l'unique uvre de Gambardella, écrite il y a quarante ans, qui a pour titre "L'Appareil humain" et qui connut du succès à l'époque. Jep détruit le rempart de certitudes que Stefania s'est fabriqué pour donner des leçons de morale, d'engagement, aux autres. Plus tard Viola lui fait part de ses inquiétudes sur l'état mental de son fils, Andréa. En rentrant chez elle Viola voit son fils, nu, peint en rouge, disant avoir honte devant elle. Jep erre dans la ville et voit un vieil ami perdu de vue depuis longtemps devant son cabaret. Cet ami se plaint de ne savoir quoi faire de sa fille, Ramona, qui, à 43 ans, gagne sa vie comme strip-teaseuse dans son cabaret. Elle tente de faire oublier son âge par une sophistication dont n'ont pas besoin les jeunes prostitués de l'est.
Jep est séduit par Ramona et vient la retrouver chez elle alors qu'elle est dans sa piscine. Il l'invite à diner puis dans une soirée où, Stéfano, le gardien des clés, leur fait visiter les palais privés de princesses romaines. Jep donne ensuite des conseils à Ramona sur l'attitude à suivre lors de l'enterrement d'Andréa qui s'est suicidé. Jep et Ramona s'aiment et Ramona avoue à Jep consacrer tout son argent à se soigner.
Elle meurt bientôt. Jep se rend alors seul sur l'ile du Giglio voir l'épave échouée du Costa Concordia. Affecté par la mort de ramona, il demander à relire le journal de Lisa. Son mari l'a hélas détruit. Il vit maintenant avec une nouvelle femme ce dont le félicite Jep, lassé des mondanités. Romano parvient à monter sa pièce de théâtre sans son actrice et joue tout seul en scène devant ses amis qui l'applaudissent. Jep, ce soir là, rencontre un ami magicien qui tente de faire disparaitre une girafe. Romano vient lui annoncer son départ de Rome et son envie de regagner la province. Jep se réconcilie même avec Stefenia au cours d'une fête de mariage où est convié le Cardinal Bellucci. On ne parle que de l'arrivée prochaine d'une sainte de 104 ans. Le voisin de Jep est arrêté. C'est un mafieux très recherché et qui prétend faire tourner le pays.
Dadina a convié la sainte et son assistant à une soirée chez Jep car elle espère obtenir l'une des rares interviewes de la sainte. La soirée ne se passe pas comme prévu. L'assistant refuse tout net une interview et Jep découvre la sainte endormie sur son plancher. Au matin, Il découvre la sainte sur son balcon entourée de flamands roses. Dans un souffle elle les fait s'envoler, non sans avoir demandé à Jep pourquoi il a arrêté d'écrire. Lorsqu'il répond que la grande beauté de Rome l'a distrait elle lui conseille de revenir aux racines.
Jep se rend sur l'ile de sa jeunesse. La sainte monte à genoux les
marches du saint escalier. Jep décide se remettre à l'écriture.
Il faut oublier le bla-bla et accepter de recourir à de simples trucs
pour écrire.
Pour son neuvième film, Paolo Sorrentino reprend, 53 ans après La dolce vita le thème du film que Fellini tourna, comme lui presque, à 40 ans : un journalise mondain s'interroge sur la vacuité de son métier et est tenté de revenir à l'écriture. L'enchainement des séquences rappelle bien des points du déroulement de La dolce vita avec toutefois des changements majeurs concernant l'âge du journaliste et la rédemption possible par l'écriture. Les motifs de l'aveuglement devant les figures du spirituel sont remplacés par un appel aux simples trucs de l'art.
La dolce vita à 65 ans
Comme le Marcello de La dolce vita, Jep est un séducteur qui ne prend rien au sérieux. Jep est redoutable dans ses joutes verbales et démonte les remparts de Stéfania comme il accapare la cérémonie des funérailles d'Andréa. Mais il ne se fait guère d'illusions sur lui-même et pourrait reprendre à son compte la phrase de Marcello à Magdalena : "Nous sommes si peu nombreux à ne pas être contents de nous-mêmes". C'est en effet le sens de sa conclusion après sa cruelle tirade envers Stéfania.
Le parcourt de Jep rappelle plus ou moins celui de Marcello. Orietta joue le rôle de Magdalena et Andréa joue celui de Steiner, l'intellectuel qui choisissait le retrait du monde et le suicide. La différence d'âge des personnages fait qu'Andrea ne tue pas ses hypothétiques enfants mais entraine le suicide social de sa mère qui part en Afrique pour d'improbables missions humanitaires. Steiner et Andréa sont les figures maudites, sacrifiées du monde social celles pour qui nul espoir, nulle rédemption n'est permise.
Marcello cherchait à retrouver un accord avec son enfance au travers de la soirée en compagnie de son père. Ici, les figures de l'enfance sont plus directement représentées. C'est la jeune catéchumène qui sourit derrière les grilles après la fête des 65 ans. Jep la regarde après s'être lavé le visage près de la fontaine sortant de la "Bouche de la vérité". Ce sont les enfants que l'on ne peut plus voir dans le jardin que du haut de l'appartement. C'est la petite fille perdue dans la crypte du Tempietto de Bramante dont Jep reçoit l'injure "Tu n'es qu'un clown", depuis le haut de la grille qui la surplombe. C'est aussi la seule artiste un peu convaincante : la petite fille qui, après avoir jeté des pots de peinture sur la toile, réarrange magnifiquement les couleurs. A ces différentes figures de l'enfance se rajoute l'amour absolu de l'adolescence de ses 17 ans avec Lisa.
L'amour est bien évidemment l'une des façons de vivre plus intensément que de se laisser glisser sur le long fleuve de la dolce vita, par ailleurs idéal certes décevant mais pas si déshonorant. La mort de Ramona, magnifiquement filmée dans une étrange ellipse, empêche Jep d'atteindre cette vie plus heureuse.
Les trucs et les racines de l'art
Les signes du spirituel abondent dans La dolce vita : la statue du christ, l'ange de l'écriture, cette jeune fille du restaurant que Marcello ne reconnait pas sur la plage, Neptune dans les fontaines de Trevi. A ces signes non vus par les protagonistes s'oppose la lourdeur de l'être humain représentée par la raie géante échouée à la fin du film. Fellini sait voir une beauté qu'il donne aussi à voir à ses spectateurs alors que ses personnages passent à côté, ignorant les signes spirituels dont son uvre est emplie. Sorrentino prolonge la réflexion de Fellini dans un sens bien plus optimiste. La mort de Ramona ramène Jep là où se terminait La dolce vita. Jep projetait d'amener Ramona voir un monstre marin, allusion évidente alors à la raie géante. Juste après le décès de Ramona, Jep se rend sur l'ile du Giglio voir l'épave échouée du Costa Concordia, incarnation moderne du monstre fellinien.
A partir de là, on note un basculement dans l'évolution des personnages. Romano rentre en province ; le mari de Lisa se trouve une nouvelle compagne ; Jep renoue avec Stéfania et a des préoccupations spirituelles auxquelles le cardinal ne donne pas de réponse.
Surtout Jep rencontre son ami magicien qui lui promet la disparition de la girafe. Celui-ci ne peut faire disparaitre un homme car il ne dispose que de trucs.... et le truc ce n'est pas grand-chose. Sorrentino nous le prouve en faisant disparaitre la girafe entre deux plans : la girafe est derrière Jep, on voit l'objet de son regard et, dans le plan suivant, la girafe a disparu. Un "trucage" d'une telle désinvolture que Méliès l'aurait dédaigné. Autre truc : les flamands roses que la sainte arrête sur le balcon de Jep puis qu'elle rend à leur liberté dans un souffle malicieux.
Jep, sur les conseils de la sainte, renoue alors avec ses racines en se rendant sur l'ile de ses amours de jeunesse. Parler de soi, s'arranger avec des trucs, voilà ce qu'il faut faire plutôt que de se laisser bercer par le bla-bla ou rechercher la grande beauté. La grande beauté provoque l'effondrement du touriste japonais, de ceux qui aiment la beauté sans pour autant être capable de la créer ("Ce que Rome a de meilleur, avant ses pizzas et ses costumes, ce sont ses touristes" dit ainsi Jep). Sorrentino filme ainsi pour nous magnifiquement le Janicule et sa fontaine Paola, le bord du Tibre, le soleil couchant sur le Colisée, Le Tempietto de Bramante, Le portrait de la Fornarina du Palais Barberini, l'édifice du saint escalier monté à genoux.
Rome est alors comme le chur antique qui, comme chez Moretti ou Fellini, sert d'écrin aux interrogations d'un homme. Le film débute ainsi par des plans raccordés sous des axes divers qui semblent nier une prise en charge par un regard individuel, ce que paraît confirmer la chorale féminine et le groupe de touristes japonais. La musique viendra rappeler cette dimension de chur tragique même si celui-ci, dégradé, n'est représenté que par les figures de la grande bourgeoisie ou de l'aristocratie décadente. Le défilé devant la sainte rappelle aussi celui du défilé ecclésiastique dans Fellini Roma avec ce mélange de dérision anticléricale et son admiration pour les fastes de l'église qui se mêle ici à la possibilité d'une vraie sainteté.
Sorrentino épingle son époque avec moins de mordant et de pessimisme que Fellini mais il est aussi plus modeste sur les moyens à employer pour retrouver le goût de vivre sur les bords du Tibre. Le moindre d'entre eux n'est certainement pas de nous donner envie de revoir La dolce vita. C'est un truc qui marche.
Jean-Luc Lacuve le 26/06/2013 (après la séance du ciné-club )