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Le moine noir

2022

D'après la nouvelle d'Anton Tchekhov. Capté au festival d'Avigon le 9 juillet 2022 par Dominique Thiel. Surtitré en français et en anglais. Avec : Filipp Avdeev, Odin Biron et Mirco Kreibich (Andreï Kovrine), Bernd Grawert (Pessotski), Viktoria Miroschnichenko et Gabriela Maria Schmeide (Tania), Gurgen Tsaturyan (Le moine noir). Et les chanteurs : Genadijus Bergorulko (baryton), Pavel Gogadze (ténor), Friedo Henken (baryton), Sergey Pisarev (ténor), Azamat Tsaliti (baryton), Alexander Tremmel (ténor), Vitalijs Stankevich (baryton). Et les danseurs : Tillmann Becker, Arseniy Gordeev, Andrey Ostapenko, Laran, Ilia Manylov, Andreï Petrushenkov, Ivan Sachkov, Daniel Vliek. 2h30.

Acte 1 (en allemand) : Andreï Kovrine, un intellectuel surmené et déprimé, est parti se reposer à la campagne chez son ami Pessotski, qui l’a en partie élevé, et sa fille Tania. Pessotski est à la tête d’un domaine magnifique, un paradis d’arbres fruitiers et de fleurs. Il fait part à Andreï de sa philosophie de la vie: il y a les tiges, belles mais fragiles, les demi-tiges et les buissons qui survivent au raz de la terre. Kovrine ne l'entend pas ainsi : Être libre, c’est être l’élu, servir la vérité, chercher la vérité, être de ceux qui rendront l’humanité meilleure (…). La liberté n’est peut-être qu’une illusion, mais n’est-il pas préférable de vivre d’une grande illusion ? Pousser librement dans le vent, comme une haute tige, plutôt que de se multiplier comme des arbustes résistants au froid. Pessotski est importuné par les estivants italiens qui viennent chaque jour jouer de la musique et auxquels sa fille Tania, n'est pas insensible. Pourtant il veut la garder près de lui pour prendre sa succession. Si un jour, il devait donner sa main à quelqu'un ce serait à lui. Andreï Kovrine s'étouffe d'une telle proposition.Pourtant il est ému quand Tania dit l'admirer et il décide de l'épouser. Quand ils reviennent quelque temps plus tard chez Pessotski; celui est content de voir sa fille mais il voit bien quelque chose ne avs pas ce que confirme Tania: Kovrine est de plus en plus étrange. Tout semble s'assombrir autour de lui.Il fait une crise de démence puis enveloppé de parkas,immobilisé, suant,amorphe, il regrettant les jours où il était fou et accuse Pessotski d'avoir fait le malheur de sa fille en l'incitant à l'épouser. Pessotski en meure de chagrin.

Acte 1 (en anglais). Tania donne la pleine mesure de son sentiment sur le retour de Kovrine, son amour pour lui et la joie quand il l'a demandée en mariage puis sa détresse après l'avoir épousé.

Acte 3 (en Russe) : Kovrine se souvient qu'à peine arrivé à la campagne, il avait été l’objet d’étranges hallucinations : un moine noir lui apparaît, surgi de vieilles légendes, qui lui tient des propos exaltant la garndeur du poète.

Les arbustes résistants symbolisant ici la médiocrité d’une vie ordinaire et simple, normée comme des arbres que l’on taille et tuteure pour leur donner une forme, opposée à l’appel d’une vie plus élevée, plus exaltante et plus dangereuse, en un conflit existentiel qui traverse toute l’œuvre de Tchekhov. Conflit qui va mener Kovrine sur les rivages de la folie.

Cette nouvelle d’une vingtaine de pages, Kirill Serebrennikov la déploie sur un spectacle de deux heures trente, en un geste de mise en scène ample et puissant, qui creuse le point de vue de chacun des personnages dans chacun des trois actes : le premier pour Pessotski, si fier de son jardin, le second pour Tania qui se dédouble en deux actrices et le troisième pour Kovrine dans son obsession de courir plus vite que la médiocrité qui le rattrape, quitte à se faire aspirer par un gouffre. Sur le grand plateau de la cour d’honneur, le mistral est bien accordé avec le chaos. Sont installées trois petites cahutes ressemblant à des serres, qui vont se recomposer en différents espaces au fil de la représentation.

A chaque étape, Kirill Serebrennikov diffracte un peu plus la narration. En éclatant les rôles entre plusieurs acteurs, en doublant leur présence sur le plateau par leur image filmée en direct (avec des téléphones), en creusant les interrogations ouvertes par Tchekhov, il offre un fascinant voyage, dans les trois premières parties de son spectacle. Un voyage où les images s’impriment sur la rétine, celle d’une mariée au long voile blanc et vaporeux comme un mirage, celles de ces tableaux de groupes avec ouvriers brechtiens, et toutes ces images qui renvoient aux avant-gardes russes des années 1920.

Peu à peu, la dimension cosmique s’approfondit, le tourbillon dans lequel apparaît le moine noir se matérialise – si l’on peut dire – en une autre vision superbe : un maelström graphique qui donne l’impression d’aspirer et de faire palpiter la muraille de la cour d’honneur. La quatrième partie du spectacle est celle du moine noir, qui jusque-là était resté hors champ, traité pour ce qu’il était : un fruit du psychisme perturbé de Kovrine. Avec le risque que les délires hallucinatoires imaginés par Tchekhov ne contaminent Kirill Serebrennikov, qui perd alors un peu son spectacle et ses spectateurs.

La musique de Jekabs Nimanis et la danse prennent le dessus sur le théâtre. Le Moine noir s’engage sur le chemin d’une cérémonie qui, certes, là encore, a une vraie force spectaculaire, mais dont on ne sait plus trop ce qu’elle veut dire, à quelle mystique elle s’accroche.

Les acteurs viennent de l’ensemble du Thalia Theater de Hambourg, où le spectacle a été créé, et de la troupe qu’avait formée Kirill Serebrennikov en son Gogol Center de Moscou.

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