Accueil Fonctionnement Mise en scène Réalisateurs Histoires du cinéma Ethétique Les genres Les thèmes Palmarès Beaux-arts

Le temps de l'innocence

1993

(The age of innocence). Avec : Daniel Day-Lewis (Newland Archer), Michelle Pfeiffer (Ellen Olenska), Winona Ryder (May Welland) Geraldine Chaplin, Miriam Margolyes. 2h15.

Le jeune avocat Newland Archer appartient à la haute société new-yorkaise qui, en ces années 1870, mêle raffinement européen, puritanisme, hypocrisie, goût de l'intrigue. Son mariage avec l'innocente May Welland va sceller l'union de sa famille avec les puissants Mingott.

Peu après ses fiançailles, il tombe sous le charme d'une des cousines de May, Ellen Olenska, de retour d'Europe où elle a épousé un comte polonais tyrannique dont elle a l'intention de divorcer. Tant cette décision que le comportement anti-conformiste de la jeune femme effraient son entourage, qui charge Newland de la faire revenir à la raison. De plus en plus épris d'elle, Newland tente d'oublier cette passion en précipitant son mariage avec May. De retour de son voyage de noces à Londres et Paris, il retrouve Ellen et lui déclare qu'elle seule lui a fait découvrir la vraie vie et qu'il ne peut en aimer une autre. Mais, lui rappelant que c'est lui qui l'a dissuadée de divorcer, elle ne peut désormais l'aimer qu'en s'éloignant de lui. D'autant que son époux veut la rappeler en Europe et a envoyé un émissaire, Rivière, pour la "surveiller". Celui-ci remplit son office tout en exhortant Newland à tout faire pour la retenir. Mais en vain.

May, qui a fini par tout comprendre malgré sa naïveté a rassemblé autour d'elle les forces familiales pour éloigner Ellen. Elle pousse celle-ci à profiter de ses rentes - même diminuées - allouées par Manson Mingott pour partir vivre à Paris, seule, en toute indépendance.

Les années passent. May est morte. Newland part à Paris avec Ted, le fils qu'il a eu d'elle. Ted joue les intermédiaires entre Ellen Olenska et son père. Mais celui-ci a trop peur de retrouver si tard le seul amour de sa vie : au moment du rendez-vous il reste assis au pied de l'immeuble, puis s'en va.

Dans la dernière séquence, Newland, qui a laissé à son fils le soin de prévenir Ellen de sa présence, regarde la fenêtre de l'appartement de celle-ci. Le soleil joue dans la fenêtre. L'éclair du soleil suscite un flash mental : Newland se revoit au bord de la mer lorsqu'il avait faillir partir avec Ellen si celle-ci s'était retournée vers lui dans le court laps de temps du passage d'un voilier entre un ponton et le phare. Alors que dans la réalité, Ellen n'avait pas bougé, dans le flash, elle se retourne souriante sur un arrière plan de la mer. Ce pur contentement romanesque est cependant brisé dès la sortie du flash mental. Newland regarde à nouveau la fenêtre qui est fermée par un Rivière vieilli mais toujours probablement l'amant d'Ellen. Une nouvelle fois découragé, Newland s'en va.

Scorsese pourrait probablement reprendre à son compte la formule de Mallarmé : "L'art rétribue les imperfections de la vie". Newland, attaché au confort et au raffinement de la société dans laquelle il vit, n'accepterait de partir avec Ellen que si son amour était aussi parfait que les œuvres d'art, tableaux, opéras ou livres, qu'il admire. Or à chaque rencontre avec Ellen, quelque chose vient le troubler et le faire renoncer. Il ne trouve pas de roses jaunes pour signifier à Ellen son désir d'être son amant. Lorsqu'il lui avoue son amour dans la maison de campagne, il imagine dans un premier flash mental qu'elle va venir derrière lui et poser ses mains sur son cœur mais, avant que cela ne survienne, le banquier arrive. Il ne veut abandonner son monde que si Ellen se retourne vers lui sur le ponton face à la mer. Ne trouvant pas dans la vie la perfection qu'il trouve dans l'art, Newland renonce.

A l'inverse de la froideur de Newland, Scorsese n'hésite par à surcharger d'effets de mises en scène ce drame sentimental classique. Le générique de Saul Bass installe dès l'abord le film dans un idéal de sensualité avec ces éclosions de roses jaunes, oranges et rouges qui se déploient sous un gaz de dentelle. Le fondu sur une fleur jaune que l'actrice qui joue Marguerite du Faust de Gounod jette d'un bouquet de fleurs sur l'avant scène de l'opéra amorce l'installation dans un espace public. Ce passage de l'espace intime à l'espace public est emblématique de la situation des amants dont l'amour sera détruit par le milieu social. Des zooms rapides en fondu mettent en effet rapidement en scène la venue scandaleuse d'Ellen à l'Opéra.

N'hésitant pas à faire entendre longuement le beau texte d'Edith Wharton, Scorsese utilise avec maestria les somptueux décors qui lui sont offerts ; la scène du bal n'est pas si éloignée que cela de celle du Guépard, le jardin de fleurs blanches dans lequel Newland retrouve May elle-même vétue de cette couleur offre un contraste saisissant avec les brumes et le feu de la maison de campagne où il a rencontré Ellen. On citera aussi les fondus au jaune ou au rouge qui séparent certaines scènes.

Les tableaux académiques et raffinés de James Tissot accompagnent le film.

Scène du bal
 
Scène du bal
 
Scène du bal

Source : Jérôme Leauté et Olivier Marie dans Eclipses n°35, juin 2003.