"Les graines du figuier sauvage sont contenues dans des déjections d’oiseaux et chutent sur d’autres arbres. Par la suite, elles germent dans les interstices des branches et les racines naissantes poussent vers le sol. Apparaissent alors de nouvelles branches qui enlacent le tronc de l’arbre hôte jusqu’à l’étrangler. Enfin, le figuier sauvage se dresse, libéré de son socle".
Téhéran. Septembre 2022. Une arme et des balles sont remises contre signature à Iman, un juriste honnête. Il se rend dans le village abandonné de son enfance pour prier dans une mosquée déserte puis rentre chez lui dans la nuit. Sa femme, Najmeh, l'attend et le félicite pour la promotion qu'il vient d'obtenir au bout de vingt ans : il est nommé enquêteur judiciaire au tribunal révolutionnaire de Téhéran. Ils vont bientôt obtenir un appartement de quatre pièces avec une chambre pour chacune de leurs filles : Rezvan, lycéenne et Sana encore collégienne. Iman obtiendra presque automatiquement ensuite le poste de juge d'instruction garantissant à sa famille un statut de notable. L'arme qu'il a obtenue est destinée à le protéger ainsi que sa famille. Les parents décident que c'est le moment opportun pour parler à leurs filles du travail d'Iman au tribunal révolutionnaire qu'ils leurs avaient caché jusque là. Décision est prise d'aller fêter la promotion dans un restaurant le samedi.
Dès le lendemain, Iman découvre qu'il n'a pas été embauché en raison de ses qualités juridiques. Il est censé approuver les jugements qui lui sont présentés par ses supérieurs sans évaluer les preuves, y compris les condamnations à mort. Pour cette raison, il est tenu de garder l'anonymat. Il est sommé de ne pas divulguer d'informations à ses amis et à sa famille qui pourraient être pris pour cible pour faire pression sur lui. Iman fait part de ses doutes à Najmeh mais tous deux ne veulent pas renoncer à leur tout nouveau rêve de promotion sociale et finissent par se convaincre que, puisque l'on ordonne à Iman de prononcer les peines capitales, il n'en est pas responsable, d'autant que des appels de condamnation sont toujours possibles. Iman, perturbé, n'a pas l'habitude de posséder une arme et l'abandonne un peu négligemment dans la salle de bain avant que Najmeh ne la remette en place dans le tiroir de la chambre.
Rezvan et Sana ne sont pas enchantées de la soudaine invitation au restaurant de leurs parents mais quand Najmeh lâche qu'elles vont bénéficier chacune de leur chambre, elles annulent bien volontiers leurs projets antérieurs. Lors du repas, elles sont un peu déçues d'apprendre que le métier de leur père est non seulement dangereux les obligenat à vivre dans une résidence sécurisée mais qu'il exige une confidentialité telle qu'elles doivent rester à l'écart des réseaux sociaux.
C'est bientôt la rentrée des classes et Rezvan, Sana et Najmeh font les courses nécessaires, notamment l'achat de l'uniforme couvrant exigé au lycée. Les filles négocient auprès de la couturière compréhensive un vêtement mieux coupé et moins ample pour Rezvan. Ce soir-là, elle a invité son amie, Sadaf, venue de province, à dormir à la maison en attendant que sa chambre à l'internat du lycée se libère. Najmeh voit d'un mauvais œil la présence de Sadaf qui par son ton très libre heurte sa foi religieuse et lui fait craindre le mécontentement de son mari. Sadaf devra rester cloitrée dans sa chambre et ne plus revenir dormir chez eux.
Le lendemain Iman téléphone à Najmeh lui donnant l'ordre de garder leurs filles à la maison car la rue gronde de manifestations. Le 16 septembre 2022, Mahsa Amini a succombé à l'hôpital à la suite aux coups de la police des mœurs parce qu'elle n'avait pas "bien" porté son voile. La télévision diffuse des images montrant une jeune femme s'écroulant dans une salle d'attente et affirmant que Mahsa Amini est morte des suites d'une faiblesse cardiaque. Rezvan et Sana ne sont pas dupes et suivent sur leur téléphone les protestations de la foule et la brutale répression policière.
Alors que les manifestations politiques s'intensifient dans tout le pays, la vie d'Iman est envahie par la méfiance et la paranoïa. Les manifestations l'obligent à signer plusieurs condamnations à mort par jour. Pendant ce temps, Rezvan et Sana suivent les manifestations avec effroi sur leurs téléphones portables et se rebellent contre leur père à table. Il les réprimande pour leur sensibilité féministe qu'il considère comme de la propagande ennemie. Najmeh, qui est tout aussi pieuse qu'Iman, conseille à ses filles de rester loin de leurs amies révolutionnaires. La relation entre parents et filles se détériore de plus en plus. Lorsque Sadaf, reçoit une balle dans le visage dans la rue lors d'une manifestation contre le voile obligatoire, Najmeh et ses filles lui prodiguent les premiers soins dans leur appartement. Elles décident de garder l'incident secret pour Iman. Peu de temps après, Sadaf est arrêtée. Najmeh tente en vain de savoir auprès de son amie Fatemeh, la femme de Ghaderi, où elle est retenue.
Au même moment, l'arme d'Iman disparaît mystérieusement et il se méfie des femmes de sa famille, croyant que l'une d'elles l'a prise et lui ment. Il oblige ses deux filles et sa femme à rencontrer son collègue Alireza pour un interrogatoire. Iman justifie ce traitement en disant qu'il ne se sent plus en sécurité chez lui car il ne peut plus faire confiance à sa famille.
Le nom, la photo et l'adresse d'Iman sont révélés sur les réseaux sociaux. Pour leur propre protection, il décide de se rendre avec sa femme et ses filles dans la maison de son enfance dans les montagnes. Avant de partir, son collègue Ghaderi lui donne une arme supplémentaire pour se protéger.
Lors de leur fuite, Iman est reconnu par un couple de villageois qui le filme. Iman les prend en chasse avec sa voiture et les contraint à s'arrêter. Il dégaine son arme pour qu'ils rendent leur téléphone. Rezvan est surprise qu'il l'ait retrouvée mais Sana lui déclare que c'est une autre... puisque c'est elle qui cache l'arme dérobée sur elle. Les filles informent leur père que les téléphones ne captent pas internet et que la menace des villageois de transmettre leur vidéo est inopérante. Ils sont contraints d'abandonner leur téléphone.
Dans la maison d'enfance, Iman se montre d'abord gentil avant de faire le procès de sa famille. Il essaie de les forcer à avouer devant la caméra. C'est d'abord Najmeh qui tente de faux aveux, puis Rezvan qui prend sur elle de révéler la cachette où sa sœur a caché l'arme mais celle-ci a disparu. Du coup, Iman enferme Najmeh et Rezvan mais Sana parvient à s'échapper et fuir dans le jardin sans que son père ne la retrouve. Elle le piège ensuite avec d'antiques hauts-parleurs qu'elle dissémine sur les arbres du jardin et qu'elle relie à un radio-cassette dans une réserve. Iman court après les hauts parleurs et découvre le radiocassette mais se fait enfermer dans la réserve. Sana parvient à libérer sa mère et sa sœur et toutes trois courent dans la citée abandonnée toute proche. Iman parvient à se libérer et poursuit les femmes dans le dédales des maisons et des rues. Iman parvient à coincer Sana au bord d'un précipice et veut la forcer à lui rendre l'arme, ce qu'elle ne fait pas et acculée au bord de la falaise, tire sur lui le blessant mortellement avant d'être enseveli par un éboulement causé par sa chute. Les trois femmes en pleurs se réconfortent mutuellement.
Le film se termine par des images capturées par des téléphones portables montrant les manifestations sanglantes et répétées dans les rues de Téhéran
Le titre du film fait référence à un arbre qui se trouve dans une île au sud de l’Iran sur laquelle Mohammad Rasoulof a vécu pendant plusieurs années. Le nom scientifique du figuier sauvage est « ficus religiosa ». C’est en s’intéressant au cycle de vie de cet arbre que le réalisateur a trouvé la métaphore pleine d'espoir qu'il explicite dans la citation initiale du film. Pour que figuier sauvage se dresse, libéré de son socle, il faut pourtant qu'il étrangle progressivement son hôte. C'est dire la violence et la radicalité que propose Rasoulof.
Les graines germent dans la maison familiale, domaine de la mère qui veille sur l'éducation de ses filles. Dans la seconde partie, l'espace est celui où domine le père un décor brut, nu, froid, métallique mais aussi humide et végétal lorsque Sana, réfugiée au pied d'un arbre décide ensuite d'y installer des porte-voix. Iman applique à sa propre famille les techniques d'extorsion d'aveux de la police politique : fausse douceur, faux aveux filmés, enfermement. La force politique du film en appelant à la fin du patriarcat, au parricide même, comme condition nécessaire à la fin du régime, est radicale.
Cette métaphore est doublée d'une progression plus linéaire des révoltes des iraniens contre le pouvoir au nom de "Femme, Vie, Liberté" saisies sur les téléphones portables de Rezvan et Sana avant que les dernières images soient prises en charge, sans intermédiaire, par Rasoulof. Le réalisateur introduit ainsi dans son film les vidéos ayant le plus circulé sur internet documentant à jamais toutes ces graines de figuier sauvage qui finiront par avoir raison de la dictature religieuse.
Jean-Luc Lacuve, le 1er octobre 2024.