Michael Dorsey, comédien honorable mais très exigeant et littéralement boycotté par les metteurs en scène de théâtre, songe à monter lui-même une pièce dans un petit théâtre d'avant-garde, avec l'aide de son amie Sandy, également comédienne. Mais ce sont les fonds qui manquent le plus.
En attendant, Sandy passe une audition pour un rôle dans un feuilleton télé à grande audience. Mais elle est refusée. Ce qui donne à Michael l'idée de se déguiser en femme et de postuler pour le même rôle ! C'est ainsi que Michael Dorsey, perruqué, maquillé, rasé et habillé en conséquence, devient Dorothy Michaels. Dorothy décroche le rôle, et c'est le début d'un numéro de haute voltige, où il / elle doit cacher la chose à son amie Sandy tout en la voyant régulièrement, faire face à l'hostilité du réalisateur du feuilleton, Ron - le genre parfaitement " macho " - repousser les avances de John Van Horn, vieux cabot qui joue le rôle d'un médecin dans le feuilleton; et surtout, Michael tombe amoureux de Julie, sa partenaire dans la mini-saga télévisée, et petite amie du metteur en scène.
Mais, pour le moment, Michael ne peut que devenir la confidente de Julie puisqu'ils sont censés être du même sexe ! Complètement coincé et pris à son propre piège, Michael demande à son agent - George Fields - de le sortir de ce mauvais pas et, heureusement, se défoule le soir en redevenant lui-même avec son ami Jeff, qui partage son appartement. La situation se complique encore lorsque Julie présente à Dorothy / Michael son vieux père Les... qui voudrait se remarier ! N'en pouvant plus, Michael dévoile sa véritable identité, en direct, à la télévision ! Il parviendra finalement à retenir Julie.
Le film est plus proche d'une comédie de Woody Allen (Le mensonge mène aussi à la vérité des sentiments) sur les intellectuels new-yorkais que du théâtre de boulevard abordant le sujet de l'homosexualité (façon Cage au folles) ou de la comédie burlesque (façon Certains l'aiment chaud, ou Victor Victoria). Tootsie est d'abord une réflexion sur l'identité et la guerre des sexes, alors très conventionnelle, et pourrait faire office de précurseur du mouvement MeToo. Le film parvient aussi à saisir la difficulté d'être acteur au sein d'une société de consommation décervelée par les feuilletons télévisés
Dorothy comme une annonce de MeToo dès 1982
Les hommes de pouvoir prennent les femmes pour des proies sans tenir compte de leur dignité. Cependant, ils seront tous ici plus ou moins sauvés par Pollack tant est forte la révélation que Tootsie va apporter à chacun. Même le vieil acteur libidineux à la mémoire qui flanche, John Van Horn, saura partir dignement de chez Dorothy. Michael ne se fera néanmoins pas faute d'expliquer à son colocataire, Jeff (et donc à tout spectateur), l'horrible traumatisme qu'une femme ressent à être menacée de viol.
La révélation de la nécessité d'une dignité à reconquérir est la plus forte pour Julie. Elle décide de rompre avec Ron. Celui-ci estime n'être pas en faute puisqu'il n'a rien promis. Michael, sous les traits de Dorothy, reconnaît qu'il le comprend puisqu'il a pratiqué, jusque-là, la même chose avec toutes les femmes (scène de la fête d'anniversaire et plus tard avec Sandy, qu'il dédaigne après avoir couché avec elle).
Le dignité retrouvée des femmes de toute la galaxie du soap, actrices, techniciennes et productrice sous l'impulsion de Dorothy ne va pas sans changer profondément Michael, jusqu'alors autocentré, et aussi négligent qu'irascible. C'est ce que révèle le très beau dialogue final. Dorothy redevenu Michael demande à Julie s'il pourra l'appeler quelques fois. Julie qui s'apprêtait à partir avoue alors :
- Dorothy me manque.
- Ce n'est pas la peine, elle est ici...Et tu lui manques aussi. Écoute, tu ne sais rien de moi. Mais j'ai été un mec mieux avec toi en tant que femme que je ne l'ai jamais été en tant qu'homme avec une femme. Tu vois ce que je veux dire ? Il faut juste que j'apprenne à faire ça sans la robe. Et puis, ça pourrait être un avantage que je porte un pantalon. Le plus dur est fait, tu sais... On était déjà bons amis.
-Tu me prêteras ton petit ensemble jaune....
Être acteur dans l'enfer des feuilletons télévisés
Michael Dorsey court les rôles comme acteur de théâtre mais il est aussi à la tête d'une petite troupe d'acteurs débutants dont il est le metteur en scène. Ses conseils portent essentiellement sur la façon de s'approprier un texte de manière personnelle, notamment en décidant de sa façon de placer l'accent tonique. Il inculquera aussi à Sandy et Julie quelques conseils lorsqu'il les fera répéter leur texte : être vraiment en colère pour jouer un rôle, montrer un instant de surprise lorsqu'on entend une question. Sans être révolutionnaire, sa méthode est en accord avec le message du film : trouver sa vraie personnalité au-delà des stéréotypes.
"Je ne crois pas à l'enfer, je crois au chômage" affirme Michael qui ne cache pas à ses élèves que 70 % à 90 % d'entre eux seront chômeurs. Lui-même, mis au défi par son agent de trouver un emploi, n'a d'autre ressource que de le faire incognito et travesti pour la télévision où sa personnalité suffira à en faire une vedette.
Les stéréotypes pullulent en effet dans les feuilletons avant l'arrivée de Dorothy /Michael. La productrice l'avoue : il n'y avait, avant elle, aucun personnage avec une vraie individualité. Le tout était de continuer à plaire aux fans (et ils sont nombreux, visitant le studio ou attendant un autographe) en restant sur les clichés. Certes, la productrice a imposé que l'on parle de feuilleton et non de soap sous peine d'une amende de 25 cts (ce qui lui aurait permis de s'acheter une voiture !) mais les conditions de tournages restent très précaires; textes donnés souvent au dernier moment; bandes gâchées, perdues d'où deuxième prise ou, en dernier recours, menace du direct. Michael décidera d'être intègre jusqu'au bout et de jouer "Retour à Venise Canal" avec ses amis et les gains de sa prestation en Tootsie.
Jean-Luc Lacuve, le 24 mars 2020