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Angel

2007

Genre : Mélodrame

D'après Angel d’Elizabeth Taylor. Avec : Romola Garai (Angel Deverell), Lucy Russell (Nora Howe-Nevinson), Michael Fassbender (Esmé), Sam Neill (Théo), Charlotte Rampling (Hermione), Jemma Powell (Angelica). 2h14.

À l’aube du XXe siècle, Angel Deverell, orpheline de père et adolescente fantasque, se morfond dans la bourgade anglaise de Norley. Elle se considère comme une étrangère dans la ville. Elle a une imagination fantaisiste et préfère être seule à écrire. Sa mère, une commerçante, et sa tante, qui est une domestique de la grande demeure, Paradise, à l'écart de la ville, ne la comprennent pas. Pour s’évader, Angel noircit des pages d’aventures romanesques.

Elle termine d'écrire son roman, Lady Irania, et l'envoie aux éditeurs londoniens. Theo Gilbright propose de publier son roman, mais il exige qu'elle fasse quelques changements. Angel refuse et part en larmes. Théo la poursuit et propose de publier le roman tel quel. Ce soir-là, ils dînent chez Theo, où la femme de Theo, Hermione, n'apprécie ni l'écriture, ni les manières impertinentes d'Angel.

Angel rencontre un succès immédiat et publie plusieurs romans qui nourrissent sa mégalomanie. En proie à la folie des grandeurs, Angel rachète la propriété Paradise qu’elle contemplait enfant et s’invente une vie digne de ses rêves, entre mondanités et dépenses somptuaires. Lors d'une réception, elle rencontre Nora, qui est une grande et sincère admiratrice de ses romans, et son frère, Esmé, un peintre. Angel engage Nora comme secrétaire personnelle. Elle épouse Esmé.

Angel défend la peinture de son mari, lui construit un studio (au sud !) et attend bientôt un enfant de lui. Mais la Grande Guerre éclate. Esmé s'enrôle et Angel a le cœur brisé. Elle décide d'écrire un roman antimilitariste qui prend son public en porte-à-faux et refuse toute participation à l'effort de guerre. Toute à son chagrin, elle perd son enfant. Théo qui a invité Nora à Londres lui fait part de l'insuccès grandissant d’Angel. Ils découvrent qu'Esmé est revenu secrètement en permission et a une maîtresse. Nora n'en dit rien à Angel.

Esmé revient de la guerre traumatisé et unijambiste. Il sombre dans l'alcool et les dettes de jeu. Pour lui, Angel se met à écrire un nouveau roman dans la veine de ses premiers succès. En vain, après une sortie en ville, Esmé se suicide.

Des années plus tard. Un critique vient rendre visite à Angel pour écrire sur la peinture d'Esmé, dorénavant reconnue. En consultant son livre préféré, Angel découvre deux lettres prouvant que son mari avait uen maîtresse, Angelica. Nora avoue alors à Angel ce qu'elle sait : les dettes d'argent d'Esmé, c'était pour subvenir au besoin de d'Angelica et à l’enfant qu’il avait avec celle-ci. Nora lui rend visite, et découvre qu'Angelica est la fille des anciens propriétaires de Paradise. Elle reconnaît en son enfant l'enfant d'Esmé qu'elle aurait voulu avoir avec lui.

Contrairement à ce que pense Théo, Angel, abandonnant toute raison, se laisse mourir comme l'une des héroïnes de ses romans qu'elle avait autrefois vue mettre en scène. Angel reconnait toutefois que Nora est le seul être qui l'ait passionnément aimée.

Paradise deviendra sans doute un musée pour mettre en valeur la peinture d'Esmé.

François Ozon adapte le roman d’Elizabeth Taylor (1912–1975), romancière anglaise (rien à voir donc avec l'actrice américaine) qui décrit avec finesse et sensibilité des situations du quotidien de personnages presque toujours issus de la classe moyenne de la société britannique, dans une veine qui rappelle les œuvres de Jane Austen. Angel (1957) fait toutefois exception car beaucoup plus sombre et sarcastique. Ozon, en étant beaucoup plus proche des aspirations d'Angel et en rendant plus sincères et émouvants les personnages de Nora et Esmé réussit là un beau mélodrame, son premier avant Frantz (2016).

Désirer, désirer et encore désirer pour en faire une réalité

L’héroïne, grisée par les vertiges de la gloire, tour à tour émeut par sa fragilité et agace par son aveuglement égocentrique. Drapée dans d’extravagantes tenues théâtrales, Angel, éternelle enfant, s’aliène dans la satisfaction de ses plaisirs et un déni désespéré pour échapper à la réalité. D’abord portée par son ambition et son opiniâtreté à écrire sa vie, la romancière se vide inexorablement, hermétique aux mouvements du monde et aux émotions de ses proches.

La première promenade en calèche d'Angel dans Londres ou son voyage de noces sont la réalisation de son rêve et sont traités avec le même irréalisme grâce à une transparence visible et assumée. La transparence souligne tout à la fois, la joie du moment, et sa fragilité vis-à-vis de l'avenir. Angel, à trop se complaire dans le rêve de la beauté, perd pied pour affronter la réalité de la guerre.

Même lyrisme et prémonition mortuaire dans l'utilisation de l'effet de "nuit américaine", exagérément bleutée lors de la découverte de Paradise à vendre. La musique lyrique et déjà mélancolique ainsi que le zoom avant soulignent l'exaltation d'Angel : "On me disait que mes rêves étaient des mensonges car je disais tout haut ce que j’aurais du garder secret. Je ne voulais que les réaliser : désirer, désirer et encore désirer pour en faire une réalité".

Le peintre et la romancière

Esmé est un peintre qui, comme Angel, ne représente pas ce qu’il voit. Mais, au lieu de substituer une réalité délibérément fausse à la vraie, comme Angel, il peint ce qu'il ressent.

Les tableaux d'Esmé sont l'oeuvre de Gilbert Pignol, peintre qui avait déjà signé des toiles pour Van Gogh - l'idée est venue de la décoratrice Katia Wyszkop, qui avait travaillé sur le long métrage de Maurice Pialat en 1991. Les tableaux oscillent entre symbolisme et expressionnisme.

Jean-Luc Lacuve, le 9 mars 2021.

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