Ludivine Jarisse, une gentille paysanne, orpheline de père, vit pauvrement avec sa mère à la campagne. Un jour, elle reçoit la visite dune "payse", Roberte, partie tenter sa chance à Paris et qui fait carrière comme girl dans un music-hall, lEmpyrée. Celle-ci décide son amie à laccompagner dans la capitale, dautant quelle doit bientôt partir en tournée au Caire et a besoin dune remplaçante.
Ludivine, rebaptisée Divine, se plonge, non sans inquiétude, dans le tourbillon effréné du spectacle. Machinistes, électriciens, régisseur surexcité, filles en tenue légère, ténor bedonnant, toute la troupe lui fait bon accueil mais quy a-t-il derrière ces paillettes et ce faux luxe ? Elle va bientôt lapprendre à ses dépens : on la force à se produire dans un tableau de nu, sexhibant aux pied de linquiétant Lutuf-Allah, un acteur déguisé en fakir hindou. Ce dernier lattire dans sa loge, avec la complicité dune des girls, la perverse Dora, et tente de linitier aux délices des paradis artificiels. Furieux de ne pouvoir lentraîner dans son vice, il la compromet dans un trafic de drogue.
Heureusement, Divine est restée pure. Elle est tombée amoureuse dAntonin, le livreur qui vient chaque matin lui apporter sa bouteille de lait à domicile. Lhonnête garçon lui offre de lépouser. Elle accepte et abandonne sans regret le monde frelaté du music-hall
En 1934, Colette avait signé les dialogues du Lac aux dames de Marc Allégret d'après le roman de Vicki Baum. L'année suivante, elle écrit ce scénario directement pour l'écran et le dialogue. Elle s'inspire de sa propre carrière de danseuse de Music-hall telle qu'elle l'a racontée dans L’envers du music-hall.
On retrouve l'esprit de Colette dans les dialogues : "Tu chantes pour te changer les idées" lui demande sa mère. "A ça non, répond Ludivine. Mes idées elles sont à moi et je ne veux pas en changer" ou "Tu sais ce que c'est la dictature?" demande un policier à la danseuse : "Oui, c'est quand les flics sont dans les loges et les artistes dans le couloir".
Ophuls filme l'opposition entre la campagne, pure et douce, et la ville, artificielle et frelatée, dans des contrastes expressionnistes qui, au début du moins, font penser à L'Aurore de Murnau. Ophuls ne dédaigne pas les oppositions tranchées (campagne fleurie, cheval et charrue contre asphalte, voiture et pneu), les transparences et les contreplongées.
Il fait déjà preuve d'une extrême virtuosité dans l'utilisation des mouvements d'appareils complexes. Ainsi, la découverte par Ludivine de l'Empyrée, s'exprime par panoramique à 360° sur le théâtre que prolonge son déplacement pour un presque demi-tour supplémentaire. Dans ce plan-séquence de près d'une minute, la caméra ne cesse de décrire des arabesques, passant avec fluidité de la plongée à la contreplongée. On note aussi le long plan de 50 secondes montrant le changement opéré par Ludivine dans l'appartement de Roberte. Le plan le plus long (1'10) est celui où Ludivine demande à Victor de lui expliquer le numéro du serpent avant de se retrouver nez à nez avec le maléfique Lutuf Allah.
Jean-Luc Lacuve le 12/12/2012