The strangers

2016

Genre : Fantastique

(Goksung). Avec : Kwak Do-Won (Jong-Goo), Hwang Jeong-min (Il-Gwang, le chaman), Chun Woo-hee (La femme sans nom), Jun Kunimura (L'étranger), Kim Hwan-hee (Hyo-jin), Jang So-yeon, Jo Han-Cheo. 2h36.

Mais Jésus leur dit : "Pourquoi êtes-vous troublés ? Pourquoi avez-vous ces doutes dans vos cœurs ? Regardez mes mains et mes pieds : c'est bien moi ! Touchez-moi et voyez, car un fantôme n'a ni chair ni os, contrairement à moi, comme vous pouvez le constater"  - Évangile selon Luc 24, 38-39.

Un pécheur au bord de l'eau accroche un ver de terre au bout de son hameçon. District de Goksung entre Jeolla du Sud et Jeolla du Nord de la péninsule coréenne, dans un village perdu dans la montagne, un matin d'averse. Jong-Goo, sergent de police, doit partir enquêter sur le meurtre soudain de la femme d'un cultivateur de ginseng. Sa belle-mère et sa compagne insistent pour qu'il prenne auparavant son petit déjeuner si bien qu'il arrive très en retard sur le lieu du crime.

L'assassin, le neveu du couple, aux yeux révulsés, en état de quasi-catatonie, est inapte à tout interrogatoire et, au passage, recouvert d'une vilaine maladie de peau qui n'a rien de très naturel.

Un homme parcourt la forêt pour chercher un chevreuil qu'il avait pris au piège. Emporté par le poids de la bête, il s'écroule et est assommé par un rocher. A son réveil, il a la stupeur de voir un homme vêtu d'une simple couche culotte manger la chair crue de l'animal. Puis l'homme l'aperçoit et ses yeux s'illuminent de rouge et, après avoir disparu un court instant, s'empare de lui.

C'est du moins ce que la rumeur prétend affirme le collègue de Jong-Goo. Celui-ci ne veut pas y croire et prétend, comme le rapport médical officiel, que le meurtrier est devenu fou suite à une intoxication aux champignons. Un orage violent coupe soudain l'électricité et une forme féminine dévêtue apparait derrière la fenêtre du commissariat. Paniqué, Jong-Goo constate cependant qu'il n'y a rien dehors. Dans son sommeil, il hurle après la putain, la femme de la veille qui lui a fait si peur. Sa belle-mère et sa compagne sont stupéfaites. Mais celle-ci est légèrement excitée des paroles de son compagnon. Bientôt tous deux font l'amour dans la voiture. Mais Jong-Goo a la désagréable surprise de voir arriver sa fille, Hyo-jin, et soupçonne qu'elle a assisté à toute la scène. Il tente ensuite, au bord de la rivière, de savoir si elle a été choquée par la scène mais comprend vite que Hyo-jin  sait depuis longtemps qu'il fait l'amour avec sa compagne. Le père et la fille s'en vont acheter un bijou fantaisie Hyo-jin.

Un nouveau meurtre a été commis dans le village. Deux vieilles femmes sont devenues presque folles après avoir incendié leur maison. Jong-Goo, arrivé une nouvelle fois tard sur les lieux, est pris à partie par l'une d'elles. Jong-Goo, terrorisé, est la risée des spectateurs assistant à la scène. C'est penaud qu'il subit les remontrances de son capitaine et qu'il voit arriver sa fille lui apporter des vêtements propres. Soudain alors qu'il s'approche de la vitre, il identifie la folle meurtrière avec l'apparition le soir de l'orage devant le commissariat. Bientôt la femme est retrouvée pendue à un arbre. C'en est trop pour Jong-Goo qui croit dorénavant la théorie du fantôme propagée par son collègue. Les champignons n'expliquent pas tout. La venue d'un ermite japonais depuis peu dans la montagne pourrait bien avoir déclenché cette vague de crimes. Alors qu'il demande à son collègue d'aller enquêter auprès des dermatologues en ville, puisque les assassins sont couverts d'urticaire, il est pris à partie par une jeune fille sans nom, de blanc vêtue, qui lui explique comment s'est passé le meurtre. Il appelle son collègue pour qu'il revienne immédiatement mais la jeune fille a disparu. Pire, il a alors l'hallucination de l'homme-diable rôdant autour de la maison mangeant le chevreuil crû et le poursuivant. Ce n'était qu'un cauchemar. Mais c'est de nouveau penaud d'avoir perdu un témoin clé, qu'il doit affronter ses chefs. Pire encore, chez lui le soir, sa fille est prise d'un violent cauchemar : quelqu'un de terrible frappe à l'entrée de son crâne et menace d'y entrer.

Cette fois c'en est trop. Accompagnés de l'homme qui prétend avoir vu l'homme-diable, Jong-Goo et son collègue vont voir l'ermite japonais en haut de la montagne. Le témoin est terrorisé d'autant plus que l'orage se déclenche sans prévenir. Il dit que ses compagnons mériteraient d'être foudroyés pour l'avoir amené là. C'est lui qui est frappé par la foudre. Il est ramené d'urgence à l'hôpital et sa femme espère que la boisson fortifiante qu'elle lui avait donnée l'aidera à passer le choc. Dans une autre chambre, c'est l'assassin de la première famille qui est pris de convulsions violentes et qui meurt, os brisés, dans des flaques de sang.

Jong-Goo et son collège demandent au neveu de celui-ci, jeune prêtre catholique en formation parlant le japonais de les accompagner jusqu'à la cabane de l'ermite. Le collègue découvre une salle pleine de photos de victimes éclairées à la bougie et parsemée d'objets et de crânes d'animaux. Le chien féroce du japonais attaque le diacre, Jong-Goo tente de l'aider mais le chien brise son piquet d'attache et ils trouvent un refuge précaire dans la maison du Japonais. C'est soulagés qu'ils le voit apparaitre et calmer le chien.

Au retour, le collègue montre à Jong-Goo une chaussure de Hyo-jin qu'il a trouvée dans la cabane Hyo-jin nie que la chaussure soit à elle mais répond vertement à son père avec des cris pleins de rage. La nuit elle est prise  de cauchemars violents. Le matin, elle se met à aimer le poisson qu'elle détestait auparavant. Devant ces signes inquiétants, la belle-mère décide de faire appel à un chaman.

Jong-Goo  veut en avoir le cœur net et amène le diacre avec lui pour interroger le Japonais. Devant son silence, il tue le chien à coup de pioche et saccage sa maison. Tous les indices ont disparu, brulés et il n'en reste plus que des traces. Il donne trois jours au Japonais pour partir.

Un troisième meurtre familial à lieu. Jong-Goo constate que les cuisses de sa fille sont couvertes d'urticaire et accepte la proposition du chaman de jeter un sort contre le Japonais. Ses demandes de secours auprès de l'église ou de la médecine sont en effet restées sans effet.  De son coté, le Japonais  a retrouvé dans la forêt le cadavre du troisième meurtrier. Le chaman dans une luxueuse cérémonie ou viandes, fruits et végétaux sont conviés en abondance pour chasser le démon de Hyo-jin, finit par enfoncer des gros clous de fer dans une statue de bois ce qui cloue sur place le Japonais... occupé de son côté à une cérémonie rituelle pour récupérer l'âme du troisième meurtrier. Mais la cérémonie du chaman menace de tuer Hyo-jin comme avait été tué le premier meurtrier dans d'affreuses convulsions. Jong-Goo l'interrompt. Le Japonais ressuscite mais c'est inquiet qu'il court jusqu'au camion : le cadavre a disparu.

Cette fois persuadé que le Japonais est responsable du sort qui envoute sa fille, Jong-Goo convainc la petite bande de ses amis de participer à une expédition punitive chez le Japonais. La maison et les alentours sont vides mais, ils sont bientôt attaqués par le zombie du troisième meurtrier; doué d'une force herculéenne. Ni coup de râteau dans la tête, ni coups de pioche n'en viennent d'abord à bout et il arrache à pleine dent la joue du diacre. Au moment où Jong Goo va être dévoré, tous ses amis se ruent sur le zombie et finissent par le tuer. C'est alors que la petite bande voit le Japonais caché derrière la végétation. Une course poursuite s'engage mais le Japonais terrorisé finit par réussir à fuir. Sur le chemin du retour, la pluie tombe en abondance autour de la camionnette de la petite bande. Tout à coup, un corps tombe sur le pare-brise. C'est le corps du Japonais que, soulagée enfin, la petite bande laisse pour mort en le jetant dans le ravin.

La femme sans nom du haut de la montagne n'en semble pas persuadée. Pourtant Hyo-jin semble guérie. Alors que  Jong Goo tente d'oublier ses douleurs par une séance d'acuponcture, le chaman le prévient qu'il s'est trompé :  le diable n'était pas le Japonais mais la femme sans nom. Jong Goo, sa compagne et la mère de celle-ci reviennent d'urgence à la maison : trop tard : Hyo-jin a truffé de coups de ciseaux la voisine qui en avait la garde et a fui. Le diacre est quant à lui appelé : son oncle vient de commettre le quatrième meurtre familial dans le village. Armé d'une faucille et d'une lampe, le diacre s'en va dans la montagne à la recherche du Japonais. Le chaman qui s'approche de la maison de  Jong Goo en est chassé par la femme sans nom qui le fait vomir et saigner du nez. Elle tente de l'envouter à distance avec une nuée de papillons lorsque, ayant fuit, il tente néanmoins de revenir.  Le diacre a trouvé la retraite cachée du Japonais au sein d'une grotte à proximité de sa maison. Il s'y enfonce et demande au Japonais sa vraie nature alors que celui-ci lui indique qu'il ne le laissera pas repartir. De son côté, Jong Goo a repéré la femme sans nom. Elle prétend aider Jong-Goo en lui ordonnant de rester tranquille d'avoir foie en elle et ses sortilèges pour chasser le démon jusqu'à ce que le coq ait chanté trois fois. Dans la grotte, Le Japonais se transforme en diable et prend le diacre en photo. Celui-ci demande à sa foi de le protéger mais a peau se couvre de pustules. Jong Goo tente de croire la femme sans nom qui lui affirme que le chaman est au service du diable et qu'il ne faut surtout pas rentrer chez lui où il provoquera le carnage qu'il redoute. A l'instant, sa fille est en train de dévorer goulument le frigo familial devant la compagne de Jong Goo et sa mère. Mais, mauvais policer, Jong Goo aperçoit la broche de sa fille par terre et en déduit que la femme sans nom est l'envouteuse : il se précipite chez lui sans voir les fétiches protecteurs dont il avait pourtant vu la trace chez les premières victimes. Chez lui,  le carnage a eu lieu et sa fille git, catatonique, près des cadavres. Au petit matin, le chaman arrive et vient prendre en photo Jong Goo et sa fille avec son appareil Minolta, il range les clichés dans la grande boite où se trouvent d'autres photos de victimes du diable.

Jong-Goo dans une demi-inconscience croit encore qu'il va pouvoir sauver sa fille, après tout il est policier... Mais c'est un si mauvais policier et l'innocence (le manège des jours heureux vu en flash-back) est si loin.

En dépit de la citation de l'évangile qui ouvre le film et du plan du pécheur préparant son hameçon, le spectateur n'est nullement préparé à un film fantastique. Jusqu'à la chute du Japonais sur le pare-brise, il pense suivre une nouvelle variation sur la présence du mal et les méfaits du racisme comme dans les deux précédents opus de Na Hong-jin, The chaser (2008) ou de The murderer (2010). Les personnages parvenaient à préserver in extremis leur humanité évitant de commettre l'irréparable. En optant pour la métaphore fantastique, Na Hong-jin fait subir l'enfer à son gentil policier tant il est impossible de vaincre le diable lorsque l'on a installé le mal en soi.

Une nébuleuse de personnages maléfiques

La transformation finale du Japonais dans la grotte indique qu'il est bien le diable. Le diable étant un ange déchu qui plagie le Christ, il peut même présenter au diacre des stigmates dans ses mains. Ainsi, accepter la citation de l'évangile au début du film, c'est aussi pouvoir accepter la vision du diable à la fin et se soumettre à la suspension d'incrédulité qui caractérise tout bon secteur de film fanatique. Certes ici le mobile du diable est très conventionnel : récupérer l'âme des damnés. Le rituel est en revanche particulièrement syncrétique : rites chamaniques avec animaux égorgés, bougies christiques, et superstitions plus modernes comme celle assimilant la photographie à la personne et même à l'âme de la personne. D'où la nécessite de photographier aux moments précédent ou suivant l'acte criminel. Le processus d'extraction de l'âme interrompu conduit le personnage à n'être ni un cadavre ni un vivant, seulement un zombie désarticulé à la force surhumaine

Le diable joue aussi du racisme toujours bien présent des Coréens vis à vis des Japonais. En endossant cette nationalité, il provoque plus facilement les sentiments de haine et de vengeance chez ses victimes. Il utilise aussi un Minolta appareil représentatif de l'industrie japonaise. Cette firme née en 1928 a pendant longtemps été abonnée à la copie de matériel allemand, puis progressivement au détour des années 1950, prend la tête de la compétition technologique, mais n'a pas su se reconvertir au numérique et cessé de produire des appareils photo en 2006.

La femme sans nom depuis son apparition aux pieds de Jde ce dernier demeure longtemps une possible créature maléfique. Elle est, plus vraisemblablement, un ange gardien. Ses pouvoirs sont faibles vis à vis du diable mais plus importants que ceux du chaman. Celui-ci collabore avec le diable probablement dans un but vénal : il demande beaucoup d'argent pour l'exorcisme (scène brillante, colorée, et intense) et s'habille de vêtements griffés Nike. Les photos qui tombent dans l'eau à la fin disent sa complicité mais aussi sa fébrilité. En cherchant à exorciser Hyo-jin, peut-être, outre la bonne affaire financière, cherche-t-il à éloigner le diable de son incarnation devenue trop terrible dans le village.

L'enfer pavé de bonnes intentions

Jong-Goo, le policier est tout ce qu'il y a de plus bonhomme et gentil. Assez rondouillard, il se laisse facilement convaincre par sa belle-mère de manger avant de travailler, par sa compagne de faire l'amour dans la voiture alors que cela ne lui semble plus de son âge. Il prend soin de sa fille et ne brille pas par son courage et sa perspicacité mais tente de faire honnêtement son travail. Le premier tiers du film accumule les notations burlesques qui vont jusque le faire traiter de froussard aux couilles de souris par ses collègues peu charitables, les femmes sont censées préparer des boissons revigorantes pour leurs hommes en mal d'érection et même les séquences du foudroyé ou du zombie sont traitées à la limite de la parodie.

C'est pourtant Jong-Goo, l'enfer étant pavé de bonnes intentions, qui va être pris au piège du diable. Les visions du diable aux yeux rouges se révèlent être la visualisation d'une rumeur puis d'un cauchemar. Ensuite soumis à la pression, à la pluie, à la douleur qui l'entoure, Jong-Goo va de petits riens, de petits renoncements, de petites peurs qui se cumulent être entrainé dans un engrenage effroyable. Jong-Goo se laisse aller à la violence mais est devenu incapable d'aller jusqu'au bout de quoi que ce soit : il renonce à l'exorcisme du chaman, comme au conseil de la femme sans nom.

Comme le dit la femme sans nom, le diable pêche au bord de l'eau mais ne sait pas qui va mordre à l'hameçon : en l'occurrence Jong-Goo qui a attaqué quelqu'un sur la seule rumeur et le racisme sans savoir s'il est coupable. Son châtiment sera la transformation en monstre de sa fille chérie. Il suffit de prendre les gens en photo tels qu'ils sont pour profiter de leurs imperfections. Et le spectateur, lui-même ayant espéré une solution plus complexe après la série de solutions possibles, doit se contenter de l'explication la plus simple et la plus cruelle et la moins retorse, celle qui lui est donnée depuis le début : le diable est là.

Jean-Luc Lacuve, le 12/07/2016.