Vendredi 28 février. Dans un bar, Simon a retrouvé Charlotte qui lui avait laissé son numéro de téléphone dans une soirée précédente. Elle lui avoue sans ambages qu'elle a envie de faire l'amour avec lui. Elle n'attendait plus son appel, tant il lui avait d'amblée dit être marié et père de famille. Elle affirme vouloir saisir sa chance puisqu’il l'a appelée. Pour Simon, "cela va vite"; il ne veut pas que Charlotte se méprenne, il ne veut pas la blesser mais il ne veut pas d'une liaison avec elle, même s'il se laisse entrainer dans son appartement. Là, il a la surprise de la savoir mère d'un petit garçon qu'un demandeur d'asile, qu'elle héberge, a gardé durant la soirée. Après avoir fait l'amour, Simon s'éclipse, regardant Charlotte qui s'est doucement endormie.
Le jeudi suivant c'est devant La fée électricité du Musée d'Art Moderne de la ville de Paris que Simon et Charlotte se sont donné rendez-vous. Mais Charlotte doit repartir aussitôt pour répondre à une demande de son travail. Simon craint que ce ne soit qu'un prétexte pour ne plus se revoir. Charlotte, qui lui indique alors avoir trois enfants, lui assure que ce n'est pas le cas. Ainsi se retrouvent-ils régulièrement, plusieurs fois par semaine, chez elle ou même à l'hôtel, ce qui effraie d'abord Simon, peu habitué à sortir de sa routine.
Ils sortent en forêt puis un week-end dans les gorges du Vernon. Simon et Charlotte ont décidé de pratiquer un plan à trois. Ils ont donné rendez-vous à une jeune femme, Louise, au Petit Palais. Ils font connaissance en parcourant les collections du musée. La semaine suivante, Simon et Charlotte se rendent chez Louise qui habite une belle maison d'architecte à quelques kilomètres de Paris. Simon se montre prévenant, maladroit et timoré, comme à son habitude, et c'est Charlotte qui prend l'initiative.
En juillet, Simon doit partir trois semaines en vacances avec sa famille. A son retour, il trouve Charlotte changée. Elle a décidé de vivre avec Louise et de rompre avec Lui. Simon souffre mais refuse de se laisser aller à la jalousie. Quelques temps plus tard, il retourne dans la maison de Louise qu'elle va bientôt quitter pour vivre avec Charlotte. Devant la souffrance de Simon, Charlotte décide qu'il vaut mieux qu'ils arrêtent de se voir. Simon retarde un peu le moment de l'adieu à la portière du taxi. Les lieux où ils sont aimés sont désormais vides de leur présence.
Deux ans plus tard, Simon retrouve Charlotte à la caisse d’un cinéma. Ce n'est pas tout à fait un hasard puisque Simon lui avait longuement parlé de Scènes de la vie conjugale. Le choc n'en est pas moins grand pour Simon. Il regrette de n’avoir pas su rompre avec sa femme quand il sentit la complicité grandissante qui l'unissait à Charlotte. Mais c'est désormais trop tard, Charlotte et Louise attendent un enfant et Simon, s'il peut encore courir un instant avec Louise, reste un velléitaire indécis.
Le spectateur comprend assez vite que Chronique d’une liaison passagère est un titre cruel tant grandit la complicité qui unit Simon et Charlotte. Ces moments heureux donnés aux personnages sont-ils donc promis à une fin annoncée ? Simon et Charlotte, mais Louise aussi, aiment autant parler que faire l’amour. Ils aiment se raconter, se dévoiler et se découvrir mais butent contre la possibilité de se réinventer; d’enrayer le processus de la jouissance du pur présent pour tenter de le prolonger en quelque chose de plus durable. Reste la douce mélancolie de ce qui aurait pu être.
Le bonheur du présent
La caméra vient saisir par un zoom-avant la déception sur le visage de Charlotte préparant son gâteau, lorsque Simon se contente de lui resservir le discours de l’amour sans attache qu'il a débité sans flamme à un collègue. Alors qu'ils sont pris dans une course où paroles et déplacements se mêlent dans de longs plans-séquences qui font exister chacun de leurs moments, les plans montés cut des lieux où ils se sont aimés et qui sont désormais vidés de leur présences sont les plus cruels. Le film s'ouvre sur des plans de la Seine, suivi d’un panoramique ascendant sur Paris illuminé. Après les plans vidés de leur présence, il n’y a plus d’élévation : la Seine seulement : froide et imperturbable, étale, tristement conforme à la volonté de ne pas faire de vague, de ne pas faire de drame. Leur comportement, aussi exemplaire que celui de Louise dans Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait, ne garantit pas la perpétuation de l'amour.
La mélancolie du conditionnel passé
Mouret met ses pas dans ceux de Woody Allen et particulièrement de Annie Hall. Simon se montre aussi maladroit et auto-dépréciatif qu'Alvy. Charlotte est aussi élancée que Annie, aussi spirituelle mais plus sûre d'elle. Elle joue au badminton plutôt qu'au tennis. Alvy triomphait quand Annie emmenait son nouveau compagnon voir son film préféré, Le chagrin et la pitié et, là, c'est Charlotte qui va voir Scènes de la vie conjugale parce que Simon lui avait parlé de Bergman, par ailleurs auteur fétiche de Woody Allen. On trouve enfin dans les deux films la même mélancolie finale de quelque chose qui aurait pu être et qui n'existera pas.
Les modulations d'Anoushka et Ravi Shankar, La Javanaise qui revient comme une ritournelle, la légèreté des sonates de Mozart accompagnent aussi les sentiments des personnages. Pareillement, La fée Électricité, sous les auspices de laquelle Charlotte et Simon se retrouvent d'abord au Musée d'art moderne de la ville de Paris, ne résistera pas au Sommeil, tableau préfigurant l'homosexualité de Charlotte qui reste visible quelques secondes lorsque Simon Charlotte et Louise s'éloignent après leur visite du Petit Palais.
Jean-Luc Lacuve, le 23 octobre 2022.