Moran, comme chaque matin, se rend à la banque et partage avec Isnardi, son collègue, la responsabilité de conduire les liasses de billets dans la chambre forte.
Première partie. Un jour, profitant de ce que Roman, un autre de ses collèges, doit se faire ôter sa minerve et parte ainsi en avance en confiant sa tâche de caissier à Isnardi, Moran va seul à la chambre forte. Il rafle ainsi 650 000 dollars. Il convie le soir Roman dans une pizzeria et lui confie la somme en lui promettant la moitié quand il sortira de prison au bout de trois ans et demi. Il a volé l'argent qu'ils auraient touché durant 25 ans jusqu'à la retraite.
Ramon hésite mais craignant, comme le lui rappelle cyniquement Moran, d'être compromis par son absence le jour du vol, il accepte de cacher l'argent chez lui. Il est stressé au point de ne pas dormir, cachant son secret à sa compagne, Marianela, qui donne des cours de musique.
Moran se rend dans la pampa avant de se rendre. Dans la banque, Del Toro, le chef de l'agence, et Laura Ortega, l'experte comptable envoyée par l'assurance, tentent de voir s'il y a "une chaîne de responsabilités" possible chez les employés. Ils sont interrogés un à un avec le plus grand mépris.
De son côté, Moran subit en prison le racket de Garrincha et profite de l’arrivée inopinée de Roman, sous pression et incapable de dormir, pour lui demander de mettre de l'argent sur un compte afin de payer Garrincha et l'envoie où lui-même a été avant de se rendre afin de cacher l'argent.
Roman va ainsi dans la pampa à la recherche de la grosse pierre au sommet d'une colline escarpée. Il cache l'argent sous la lourde pierre qu'il fait s'affaisser en retirant un gros caillou qui la maintenait en léger déséquilibre.
Deuxième partie. En redescendant, Roman croise trois jeunes gens : Ramon, Morna et Norma qui pique-niquent au bord de la rivière. Roman souhaite partir au plus tôt mais l'insistance très amicale des trois jeunes gens et la promesse d'être ramené en moto à la nuit pour prendre le bus de Buenos-Aires le convainquent de rester avec eux. Ils se baignent, mangent et boivent en se racontant des événements parfois bizarres, tel un début d'histoire qui marqua Roman adolescent. Le soir Norma ramène Roman. Elle l'embrasse et lui demande de rester pour la nuit au moins; ce qu’il refuse.
Rentré chez lui, Roman subit les reproches de Marianela qu’il n'a pas prévenu de son escapade. Elle souhaite se séparer de lui pendant un mois ou un an, tout en restant dans l'appartement.
Roman accueille Norma à la gare routière de Buenos-Aires. Ils s'étreignent et s'aiment malgré la petite chambre d'hôtel miteuse où loge désormais Roman. Ils vont voir L'argent au cinéma. Mais Roman reçoit un appel de Moran. Celui-ci lui remet une lettre pour une femme qu'il a aimé avant de se rendre. C'est Norma avec qui il faisait des chevauchés avec son cheval et aidait à tourner le film de Ramon et Morna. Un jour, après lui avoir promis de l'épouser et de fonder une famille avec elle, il partit. Bouleversé par cette révélation, Roman ne parvient plus à faire l'amour avec Norma. Il lui donne la lettre de Moran et Norma lui lit ses mots d'amour. Roman lui raconte toute l'histoire et Norma en colère quitte Roman, l'accusant d’être un pauvre type et Moran un fou.
Trois ans plus tard, Roman est revenu avec Marianela dans leur ancien appartement avec les mêmes élèves. Il reçoit un appel de Moran qui sort de prison et lui donne rendez-vous à la grosse pierre pour y retirer l'argent. Mais, quand Moran revient dans la maison de Morna et Norma; celle-ci est abandonnée depuis des mois. Ramon attend en vain près de la grosse pierre. Moran a repris le cheval pour chercher Norma dans la pampa.
La première séquence, avec sa succession de plans brefs enserrant Moran dans un quotidien répétitif et coincé en ville par la barrière de son balcon, fait surgir le sujet d’un espace de liberté à conquérir. Ce que viendra appuyer la tonitruante chanson finale : "Où est la liberté ?'". Dans la banque, chacun est bien authentifié avec un nom et une signature ; les individus sont dans des sphères étanches les unes aux autres et la cliente ne peut encaisser son chèque si sa signature est la même que celle d’un autre client.
La première partie est ainsitrès découpée. Elle révèle que l’atmosphère apparemment bon enfant de la banque n’existe qu’en fonction du profit attendu. C’est le même acteur qui interprète Del Toro et Garrincha, marquant le danger toujours menaçant dans les univers codifiés de la banque et de la prison. En revanche, le split-screen qui relie à quelques reprises Moran et Roman dans des lieux séparés (prison et domicile) dit leur proximité.
Si la première partie est un remake de L'affaire de Buenos Aires (Hugo Fregonese, 1949), la cinéphilie irrigue tout le film ; Roman et Norma vont voir deux fois L'argent (Robert Bresson, 1983) à Buenos Aires et le disque, Poppo's blues, qui relie Moran, Milan et Norma rappelle les coups du sort mystérieux et tragiques du parcours des bijoux dans Madame de... (Max Ophuls, 1953)
Dans la pampa, les reconfigurations de destin sont possibles ; ainsi pour ces personnages dont les prénoms forment des anagrammes (Morán, Román, Norma, Morna et Ramón), et qui pourraient ainsi échanger leurs identités. Les séquences sont plus longues, incertaines. Dans ces espaces magnifiques, la liberté, c'est-à-dire la possibilité d'accepter ou de refuser de prolonger le présent, est toujours possible.
Jean-Luc Lacuve, le 1er avril 2024.