La nuit du 12 octobre 2016, le commissaire de la PJ fête son départ en retraite au commissariat de Grenoble. Dans la vallée de Saint-Jean-de-Maurienne, Clara Royer quitte la maison de son amie Nanie chez qui elle est venue pour une fête entre copines. Il est 3 heures. Un homme cagoulé aborde Clara, lui jette de l'essence l'enflamme avec un briquet.
Au matin, la PJ de Grenoble est appelée dans la vallée pour identifier le corps carbonisé. C’est la première mission de Yohan en tant que chef de groupe. Celui-ci est composé de Fred, macho de service, du jeune Boris, de Willy, Loïc et Jérôme et de Marceau, inspecteur expérimenté et volubile.
La police scientifique photographie le corps carbonisé et en retire un téléphone. Un appel téléphonique de Nanie leur révèle que le corps est celui de son amie Clara Royer. Yohan se charge d’annoncer la terrible nouvelle aux parents.
Les interrogatoires se succèdent, les suspects ne manquent pas : son petit ami, Wesley Fontana, le rappeur Gaby Lacazette, auteur d'une chanson appelant à "cramer"; son sex-friend de l'école d'escalade, Jules Leroy, le marginal Denis Douet, le violent Vincent Caron que protège plus ou moins sa compagne, Nathalie. Marceau, de plus en plus fragilisé par la demande de divorce de sa femme, ne peut s'empêcher d’identifier Caron à l'amant de sa femme en écoutant sa compagne qui porte le même prénom qu’elle. Il devient fou au point d’aller tabasser Caron. Yohan intervient à temps pour empêcher son ami de commettre l’irréparable mais l’avertit qu'il ne lui pardonnera pas si Caron tire partie de son intervention pour les dessaisir de l’enquête.
Trois ans plus tard, la nouvelle procureure de Grenoble décide de relancer l’enquête sur ce féminicide irrésolu. Elle tente de convaincre Yohan de la reprendre. Celui-ci refuse dans un premier temps. Il lui explique qu’à la PJ chaque enquêteur tombe un jour ou l’autre sur un crime qu’il n’arrive pas à résoudre et qui le dévore de l’intérieur. Pour lui c’est Clara. Néanmoins la juge estime que la nuit anniversaire du crime, son auteur pourra se manifester. Elle met à sa disposition une camionnette de surveillance sur le lieu du meurtre et une caméra cachée sur la tombe de Clara.
Yohan et la nouvelle inspectrice, Nadia, planquent dans la camionnette. Ils voient arriver les parents de Clara portant une bougie sur le lieu du crime de leur fille. Nul suspect ne se présente. En revanche, la caméra cachée révèle qu'un individu est venu s'exhiber sur sa tombe. Nadia réussit à l’identifier en remontant les indices laissés sur les réseaux sociaux au moment du meurtre. Mats est arrêté mais relâché presque aussitôt, il était au moment du crime interné dans un hôpital psychiatrique.
Nadia explique à Yohan qu’il faut savoir vivre avec ses fantômes. Il écrit alors à Marceau, le remerciant de sa photo et lui proposant de se revoir. Il a maintenant arrêté de tourner en rond sur le vélodrome pour grimper les cols des Alpes.
Des intertitres viennent signaler dès le début du film qu’en France des milliers d’enquêtes criminelles ne sont pas résolues chaque année et que celle-ci est l'une d’entre elles. Ainsi, comme dans Zodiac (David Fincher, 2007) mais plus généralement comme dans tout film noir, l’on s’intéresse moins à l’avancée de l’enquête qu’à la personnalité des protagonistes. Le film leur subordonne toutefois une question plus vaste et sans cesse répétée : faut-il confier les enquêtes sur les féminicides aux hommes qui tournent en rond depuis trop longtemps ?
Vélodrome, ordinateurs et morphing
En trois ans, à l'orée des années soixante-dix, cinq films avaient tracé les portraits de policiers aux prises avec une banalisation du mal dans l'exercice de leur métier dont ils ne peuvent sortir indemnes. Ce sont French connection (William Friedkin, 1971), L'inspecteur Harry (Don Siegel, 1971), Les flics ne dorment pas la nuit (Richard Fleischer, 1972) et The offence (Sidney Lumet, 1973) et Serpico (Sidney Lumet, 1973). Yohan prolonge cette reflexion quand il fait part à la juge des cas obsédants jamais résolus qui tournent en rond dans la tête de tout enquêteur chevronné : une grand-mère assassinée s'enroulant elle-même dans une couverture pour ne pas tacher le sol de son hémorragie mortelle ; une petite fille enlevée ou, pour lui, la mort atroce de Clara. Formellement, Dominik Moll en donne une métaphore avec le vélodrome comme effort constant qui n’aboutit pas à autre chose que des tours de piste sans fin.
Dans cette enquête policière, il n'y a qu'un seul plan sur une arme : Yohan rentre chez lui et la dépose avant de travailler. Bien plus nombreux sont les plans des agents tapant des rapports derrière leur ordinateur. Marceau s’en plaint mais la juge leur rendra grâce les jugeant bien écrits, précis et recoupant les faits.
Le morphing est utilisé comme métaphore d'un mal intrinsèquement lié à la masculinité. Chacun des suspects aurait pu être le criminel mais Yohan, comme homme, aurait aussi bien pu l'être. C'est ce qu'il le ressent par le morphing qui lui fait endosser pour la moitié de son visage celui des suspects. Le trucage, sciemment désuet, renvoie à celui de Persona (Bergman, 1966) dont la profondeur psychologique n’est plus à prouver.
Une police trop masculine
Le féminicide dont il est question dans le film s'inspire de l'un de ceux qui figure dans 18.3, une année à la P. J. de Pauline Guéna (Denoël, 2020), ouvrage qui relate ses douze mois d’immersion dans les services de la P. J. de Versailles. C’est ce fait divers d’une jeune fille brûlée vive qui a retenu l’attention de Dominik Moll.
Le film rassemble les ingrédients classiques de l'enquête policière avec un couple de policiers aussi différents que possible : un jeune commissaire Yohan, pointilleux et taciturne et un vieux coéquipier, Marceau, qui rêvait d'être professeur. Il cite Verlaine et reprend volontiers ses collègues sur leurs fautes de langue. C'est un homme au bord du divorce alors que Yohan semble avoir exclu toute vie de famille.
Le contexte économique se traduit par la photocopieuse toujours en panne, par l'incapacité d'obtenir rapidement une camionnette pour une planque la nuit ou une caméra de surveillance. L'état de la police face aux manques de moyens conduit à un surinvestissement dans le métier au détriment de la vie privée. C'est sans doute pourquoi la police est un même système, essentiellement masculin, comme l'est celui des assassins qui laissent peu de place aux femmes, largement majoritaires parmi les victimes. Marceau l’affirme : ce sont toujours les femmes que l’on brûle, depuis Jeanne d’Arc et en passant par les sorcières.
Ce fait apparaît bien plus général que celui d’une victime tombant facilement amoureuse de garçons qui ne lui convenaient pas. Nanie l’affirme : si son amie a été tuée, c’est d’abord parce qu’elle était une fille. Non parce qu’elle couchait, ou pas, avec des garçons.
L’échange entre Yohan et la juge d'instruction de Grenoble met définitivement les points sur les i: "Je suis peut-être fou, mais j’ai la conviction que si on ne trouve pas l’assassin, c’est parce que ce sont tous les hommes qui ont tué Clara. C’est quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes." Des enquêtrices féminines se seraient révélées plus empathiques, perspicaces et méthodiques. La juge relance l’enquête et Nadia accomplit le seul acte perspicace du film en retrouvant Mats par son interrogation systématique des réseaux sociaux. Elle donne surtout à Yohan les moyens d’échapper à son traumatisme.
Le commissaire était parti à la retraite, Marceau a mis fin à sa carrière et envoyé une photo mystérieuse à Yohan ; celui-ci a quitté son vélodrome. L'effacement des hommes est ainsi le thème profond du film, lui donnant, pour une fois, plus de cohérence que les constructions brillantes mais un peu vaines auxquelles Dominik Moll nous avait habitués.
Jean-Luc Lacuve, le 31juillet 2022.