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La cigogne en papier

1935

Genre : Mélodrame

(Orizuru Osen). Avec : Isuzu Yamada (Osen), Daijirô Natsukawa (Sokichi Hata), Mitsusaburô Ramon (Ukiki), Genichi Fuji (Matsuda), Ichiro Yoshizawa (Uwaki), Shin Shibata (Kumazawa). 1h27.

La salle d'attente suffocante d'une gare sous l'orage, en panne d'électricité avec un train qui n'arrive pas. Sokichi se souvient en regardant le sanctuaire de Kanda tout proche. Parti étudier la médecine, sans ressource, il avait failli se suicider devant ce sanctuaire. Mais Osen, une prostituée en fuite, l'avait sauvé avant qu'elle ne soit reprise par la bande de malfrats à laquelle elle appartenait. Sokichi avait alors intégré cette triste équipe comme homme à tout faire.

Perpétuellement humilié, Sokichi attendrit de plus en plus Osen qui reconnaît en lui un compagnon d'infortune. Il lui raconte les espoirs que son village natal et particulièrement sa grand-mère avait placé en lui. Elle lui raconte comment, très jeune, Kumazawa, le chef de la bande, l'a violée et vendue à un bordel. "Il m'a condamné à une éternité de misère" conclue-telle.

Elle est effectivement obligée de participer à une série de malversations. C'est d'abord un parchemin qui est volé à deux bonzes, juste avant leur vente parce qu'ils sont distraits par la beauté d'Osen. Comme Kumazawa leur rend l'argent, ils sont mis en confiance et acceptent de servir d'entremetteur pour que le prêtre Fuboku leur vende deux inestimables statuettes. Fuboku est saoulé par Kumazawa et sa sœur. Il demande à aller aux toilettes. Matsuda, l'homme de main le dirige alors vers la salle de bain où Osen avait été préalablement enjointe de se déshabiller. A son retour, lorsque Kumazawa propose à Fuboku d'épouser "sa sœur", celui-ci n'a plus rien à lui refuser.

Cependant, juste avant le vol des statuettes, Osen à prévenu Fuboku et la bande est arrêtée. Osen s'enfuit alors et décide de payer les études de médecine de Sokichi. Celui-ci ignore que celle qu'il considère comme sa mère ou sa sœur est obligée de se prostituer. Lorsqu'il le découvre, Osen est arrêtée.

Sokichi qui avait plongé dans son passé sans se préoccuper des bavardages autour de lui au sujet d'une femme d'une grande beauté mais misérable prend son train quand il est appelé au secours de cette femme qui vient de s'évanouir. Il essaie de soigner celle en qui il a reconnu Osen. Elle est devenue folle et ne le reconnaît plus. "Un homme, horreur !" dit-elle en le voyant s'approcher.

Dernier film muet de Mizoguchi, adaptation de l'écrivain populaire Izumi Kyoka, réputé pour le caractère fantastique de ses pièces et que Mizoguchi adapte pour la troisième fois. Les cartons sont lus par un narrateur comme dans les conditions de l'époque où les benshi officiaient surtout pour le public rural populaire, incapable de lire les cartons.

La cigogne en papier est un mélodrame flamboyant qui s'inscrit dans la lignée des mélodrames sentimentaux de Mizoguchi, très éloigné du style très sobre qu'il acquerra dans les années 40. Il y a ici musique lyrique, regards pénétrés et travellings emportés, éclairages jouant des oppositions d'ombre et de lumière.

Le film est aussi construit sur une série de flashes-back à partir de la salle d'attente en plein air. Les entrées de flash-back sont très traditionnelles depuis le vent sur les feuilles jusqu'aux raccord dans l'axe où Sokichi, aujourd'hui respectable professeur, regarde le vagabond qu'il était autrefois. Si les flashes-back sont parfois pris en charge par Osen, devenue presque folle, ils ne se départissent pas du même regard objectif. On notera aussi le flash-back dans un flash-back pour raconter comment Sokichi quitte son village pour faire des études de médecine.

Deuxième élément formel qui sera ensuite banni par Mizoguchi, les superpositions. L'une très brève dans le flash-back dans un flash-back superpose plusieurs moyens de transports pour indiquer la longueur du voyage que doit entreprendre Sokichi. La plus marquante est celle de la séquence finale ou Osen, folle, discute avec le jeune Sokichi comme elle le faisait autrefois alors que Sokichi médite avec tristesse dans le même plan sur sa folie irrémédiable.

Mizoguchi se permet aussi quelques afféteries formelles que l'on retrouve par exemple aussi chez Ozu dans Chœur de Tokyo : des plans en contre-plongée, un train qui traverse un paysage que l'on croirait tiré du John Ford expressionniste ou un jeu très formel d'ombres sur un rail renvoyant les rayons du soleil. On note aussi des touches d'humour cyniques : la matrone qui veille sur Osen et l'empêche de boire avale le verre d'une lampée satisfaite.

Belle séquence enfin que celle de la cigogne en papier que Osen avait emportée dans son kimono au moment de son arrestation. Les mains liées, elle la fait avec la bouche puis la fait s'envoler en soufflant : "Etudie, tu seras mon âme. Devient médecin et accède au bonheur, dit-elle alors en guise de message d'adieu à Sokichi qui la voit s'éloigner. Celui-ci perturbé ne voit pas une carriole s'avancer et le renverser. Il s'en sort pourtant indemne :" Sokuchi fut sauvé à l'endroit où la cigogne tomba."

Jean-Luc Lacuve, le 20 mars 2008.

critique du DVD
Kenji Mizoguchi, les années 30. Editeur : Carlotta-Films. Mars 2008. Nouveaux masters restaurés. Langue : japonais. Mono. Format : 1,37
Coffret Kenji Mizoguchi les années 30

Coffret 2 DVD, 3 films. DVD1 : La cigogne en papier. DVD2 : Oyuki la vierge, Les coquelicots.

suppléments : présentation des films par Pascal Vincent (2 à 3 mn), L'art du benshi (12 mn) , La cigogne en papier : en direct avec un benshi (15 mn), Isuzu Yamada, une vie d'actrice (19 mn).
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