En 1943, pendant la guerre du Pacifique, Hisako, la mère de Mahito Maki, 12 ans, est tuée dans l'incendie d'un hôpital à Tokyo. Un an plus tard, Shoichi, le père de Mahito, propriétaire d'une usine aéronautique, a décidé de déplacer celle-ci à la campagne près de la demeure familiale de Hisako et d'y emmener vivre Mahito avec lui.
A la gare, Mahito découvre combien Natsuko, la sœur cadette de sa mère morte, lui ressemble. Alors que Shoichi se rend à l'usine, Natsuko conduit Mahito à la demeure familiale. En chemin, elle lui fait toucher son ventre, heureuse du bébé qu'elle porte, ce qui met mal à l'aise Mahito. Dans l'immense domaine familiale, c'est un héron cendré qui semble saluer le premier le nouvel arrivant en s'approchant très près de lui. Natsuko le conduit au salon où un groupe de vieilles filles, les domestiques du domaine, se montrent particulièrement avides de connaître le contenu de la valise et se réjouissent d'y trouver de la nourriture en boîte qu'elles croyaient disparue depuis longtemps. Mahito est bientôt dans sa chambre et s'endort avant que Natsuko ne lui prépare le thé.
Dans son rêve, Mahito est harcelé par un mystérieux héron cendré qui l'entraîne au bord de l'eau près de la forêt vers un chemin qui ouvre vers une tour en ruine dans laquelle le héron va se réfugier. Mahito se dirige vers la tour et trouve un passage sous un éboulis qui le conduit vers des escaliers qu'il ne peut atteindre. Lorsque Mahito se réveille, il est tard et il voit les chaussons de sa tante disposés à l'entrée, à coté de ceux de son père. Lorsque celui-ci arrive, Natsuko l'embrasse etM ahito ne peut plus avoir de doute sur la relation entre sa tante et son père.
Le matin, Shoichi veut conduire Mahito à l'école en voiture, certain que cela impressionnera ses petits camarades paysans. mais ceux-ci se montrent vite jaloux et agressifs vis-à-vis de Mahito qui se bagarre avec l'un deux. Sur le chemin du retour, Mahito prend une pierre pour s'en frapper violemment la tempe. Et c'est fier de lui et ensanglanté qu'il arrive chez lui sans dire un mot de la cause de sa blessure. Natsuko le soigne et il s'endort bien vite. Le héron cendré vient frapper à la fenêtre et le somme de le suivre s'il veut retrouver sa mère qu'il dit ne pas être morte. Mahito s'apporche de la rivière maisl e héron se montre vite agressif et Mihito est recouvert de grenouilles jusqu'à l'étouffement avant que sa tante et Kiriko, la cheffe des domestiques ne viennent le secourir. Natsuko explique que la tour a été construite par son oncle, un célèbre architecte rendu fou par ses lectures, pour protéger une météorite géante. Arrive alors Shoichi, fou de colère contre ceux qui ont pu blesser son fils. Mais Mahito refuse de s'expliquer et, sa blessure nécessitant du repos, son père décide qu'il ne retournera plus à l'école.
Mahito décide de s'armer contre le héron et se confectionne un arc et une flèche. Celle-ci étant peu fiable, il l'équilibre avec une plume du héron ce qui lui permet d'atteindre ses cibles. En convalescence au domaine, Mahito trouve un exemplaire du roman "Et vous, Comment vivez-vous ?" avec l'écriture de sa mère à l'intérieur, qu'elle voulait lui offrir lorsqu'il serait plus âgé. Sa lecture du livre est interrompue lorsque Kiriko à la tête des servantes recherchent Natsuko disparue, malade à cause de sa grossesse et qu'il avait vu alors qu'elle se dirigeait vers la tour. Mahito et Kiriko, arrivent à la tour construite par le grand-oncle de Mahito,disparu. Le héron se moque de Mahito, prétend que la mère de Mahito est vivante et lui dit d'entrer dans la tour pour la sauver ainsi que Natsuko. Une fois à l'intérieur, le héron montre une illusion aqueuse qui ressemble exactement à Hisako avant que Mahito ne tire une flèche qui transperce le bec du héron et révèle le petit homme en dessous. Se sentant vaincu, le héron les conduit à travers le sol jusqu'à la tour, où ils se retrouvent dans un monde alternatif plein de magie.
Dans le monde alternatif, Mahito rencontre divers personnages, dont une version plus jeune et marine de Kiriko ; Himi, une jeune femme aux pouvoirs magiques qui assiste Mahito et Kiriko ; et le grand-oncle de Natsuko, qui dirige le monde en tant que sorcier doté de grands pouvoirs. Mahito, Himi et le héron infiltrent un château gardé par des perruches géantes mangeuses d'hommes et trouvent Natsuko qui résiste d'abord à partir avec eux jusqu'à ce que Mahito l'appelle sa vraie mère.
Himi est capturée par les perruches lors de leur fuite. Tout en sauvant Himi du roi perruche, Mahito rencontre le grand-oncle. Le grand-oncle montre à Mahito les blocs de construction qu'il a utilisés pour maintenir l'équilibre du monde ainsi qu'une pierre flottante géante qui contient le pouvoir du grand-oncle. Le grand-oncle demande à Mahito de prendre le contrôle de la pierre et de maintenir l'équilibre dans le monde, expliquant que seule une personne liée au sang et exempte de méchanceté peut contrôler la pierre. Mahito choisit plutôt de retourner dans son propre monde et dit au grand-oncle que sa blessure à la tête montre qu'il n'est pas exempt de méchanceté. Le roi perruche cherche à usurper le pouvoir du grand-oncle et fait s'écrouler les blocs de construction provoquant l'effondrement du monde alternatif. En s'échappant, Mahito propose d'emmener Himi dans son monde ; cependant, Himi refuse, révélant qu'elle est une version plus jeune d'Hisako et qu'elle et Kiriko doivent retourner à son époque pour s'assurer que Mahito naîtra. Mahito, Natsuko et le héron retournent dans leur monde et retrouvent Shoichi. Deux ans plus tard, Mahito retourne à Tokyo avec sa famille après la fin de la guerre.
Au cœur du film et de son émotion, on trouve la plasticité du rêve, sa capacité à modeler de manière toujours différente la réalité. C’est le héron, plus souvent inquiétant qu’amical, qui emporte le garçon vers l’inconscient pour trouver, après bien des tentatives, chausse-trappes, avatars et faux-semblants, une porte de sortie qui lui permettra de mieux accepter la réalité, modelée selon un nouvel imaginaire.
Qu'elle soit enfant ou adolescente, l'héroïne de Miyazaki, ou comme ici le héros, parcourt ainsi un chemin initiatique d'autant plus complexe que le traumatisme initial est simple et donc terrible. Ici, Mahito doit, après la perte de sa mère, en accepter une nouvelle. Alors que le roman dont il s'inspire, Et vous comment, vivez vous ?, titre original du film, possède une morale belle mais appuyée, Miyazaki fait confiance aux puissances du rêve pour donner à son héros une possibilité de régénérescence. Très proche d'événements autobiographiques, ce film testament, permet aussi à son créateur de s'interroger sur sa succession.
Du manuel de savoir-vivre à l'appel à l'imaginaire
Et vous, comment vivrez-vous ? est un roman de Genzaburô Yoshino publié en 1937, en pleine militarisation du Japon et montée du nazisme en Europe. Il suit les réflexions de "Coper", surnom donné à un jeune collégien tokyoïte rempli de questions sur sa vie familiale, son rapport à la nature ou au travail, ainsi qu’à ses camarades de classe issus de milieux sociaux différents. Dans l’ouvrage, il est accompagné par son oncle, là où Mahito est aidé du héron. Destiné à un jeune public, le roman humaniste et philosophique est devenu un objet majeur de la littérature populaire japonaise pour ses leçons de vie. "Même des décisions ou des actes que l’on regrette ne sont pas entièrement négatifs", explique, par exemple, la mère de Coper à son fils, incapable de trouver le sommeil depuis qu’il a commis du tort à ses amis. Ils sont irréparables, certes, mais les regrets qu’ils nous donnent nous font voir des aspects importants de la condition humaine et nous ouvrent le cœur. » Et vous, comment vivrez-vous ? a été censuré. Classée parmi les dix meilleures ventes de livres à sa sortie, il s’est écoulé à plusieurs millions d’exemplaires depuis sa parution. Et pourtant, il a bien failli ne pas connaître un tel succès. Pour sa défense de la liberté de pensée, du désir de justice et d’entraide, son auteur a été taxé d’antipatriotisme par les autorités, entraînant ainsi une interdiction du livre en 1942. Et vous, comment vivrez-vous ? a été réédité à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, mais "nettoyé". Les mentions de l’impérialisme ou des problèmes de classe sont supprimées. Les critiques du capitalisme ou de la répression des comportements antipatriotiques, aussi. Il faudra attendre plusieurs décennies avant de le retrouver dans sa version intégrale. Depuis, il a été adapté en manga par le dessinateur japonais Shōichi Haga en 2018. En 2021, il a été traduit pour la première fois en anglais aux éditions Rider, puis en français par la maison Picquier. Le film de Miyazaki fait certes écho à l'effort de transmission du roman mais il s'agit moins de donner une façon de vivre et de penser que d'en proposer le processus et par un tout autre moyen, l'imaginaire développé dans le rêve.
Les métaphores du rêve
Le film est un conte en forme de rite de passage à l'âge adulte dans lequel un enfant, après le traumatisme de la perte de sa mère, doit surmonter son souhait de repli sur le passé et accepter comme nouvelle mère celle que son père a choisie. Cette aventure intérieure, mentale, est souvent cauchemardesque car les avatars de la mère, du père et de la gouvernante sont alternativement bons ou mauvais et traversent les couloirs du temps pour entremêler passé et futur.
La jeune Himi maîtrise les puissances du feu par le souhait qu'en a Mahito de la savoir éternellement vivante et non plus morte dans l'incendie. Kiriko se transforme en son opposée, rajeunie elle-aussi. Elle est une intrépide navigatrice, connaissant les secrets de son monde et veillant sur les fragiles warawara, petites créatures blanches (qui rappellent les kodama, les esprits-champignons de Princesse Mononoké) qui vont naître dans le monde d'en haut. Ces esprits en formation des enfants appelés à naître masquent l'inquiétude de Mahito moins vis-à-vis de la sexualité que de l'accouchement dont il ne fait que pressentir la difficulté à surgir des entrailles dont se fait écho la découpe du poisson qui nourrit ces créatures. Les oiseaux sont devenus maléfiques. Les pélicans volent en escadrille et faute d'autre nourriture, chassent les wararas, comme les beaux avions du père faute d'emploi plus noble se transforment en redoutables avions de chasse, destructeurs de vies humaines. Les perruches forment elles aussi une horde militariste assoiffée de vies humaines dont le père pourrait être le roi. Une façon peut-être d'être puni de sa gloutonnerie lorsqu'il ingurgite sa tartine de confiture avidement. Le grand oncle, architecte fou, est Miyazaki lui-même veillant sur l'équilibre de son imaginaire et tentant de trouver un successeur aux qualités humanistes égales aux siennes, voyant dans tout mal une possibilité de se transformer en bien.
Ces réminiscence des angoisses durant le rêve font du film un perpétuel espace mouvant et donc inquiétant, un monde proche de celui où Alice est conduite par le lapin blanc au pays des merveilles. Comme il est écrit sur le portail à l'entrée de la première porte du temps : "Tous ceux qui cherchent à comprendre périront". Si le rêve est un processus nécessaire, c'est qu'il brouille les pistes et rabat les cartes afin de sonner une possible meilleure main pour repartir dans le réel. Les portes du temps font communiquer différents mondes possibles mais au bout du compte. La gouvernante Kiriko et la jeune Himi doivent assurer l'existence de Mahito dans le monde réel et repartir à leur époque du passé, alors que Mahito revient avec Natsuko.
Un dessin expressionniste
Le parcours consistant à sauver sa belle-mère et la nommer "mère" est complexe mais la résolution est très simple. C'est ce que dit la sèche conclusion du film : c'est la fin de la guerre, Mahiro va rejoindre sa famille. Mais pour en arriver là, il a fallu accepter la perte et souffrir de la mutation. C'est ce dont rend compte le style, aussi violent que celui de Princesse Mononoké et bien moins mignon que celui de Mon voisin Totoro ou mélancolique du Vent se lève. Le dessin est toujours aussi délicat, les couleurs vives mais les transformations sont monstrueuses. Dès l'ouverture, les visages ont des traits qui bougent et vacillent comme les flammes de l'incendie qui les entourent pour esquisser des tableaux expressionnistes. L’élégant héron cendré devient un terrible gosier qui se gonfle et se dégonfle comme une grande baudruche difforme et son grand bec sonore en s’ouvrant révèle des rangées de dents humaines, et la texture boursouflée d’un nez turgescent qui se révèle être celui d'un petit homme velléitaire. Messager envoyé par le grand-oncle, le héron est un costume qui cache mal les mutations nécessaires au rêve.
Le héron ne parle que par menaces et injures, acharné à tuer le garçon avant qu'il ait la possibilité de se défaire de sa posture de repli sur soi mais il éveille aussi son courage. C'est en effet l'endormissement qui menace Mahito telle la flotte de navires fantômes, baignée des rayons plongeants d’un soleil qui perce les surfaces, qui reprend l’imagerie mortifère des avions fantômes de Porco Rosso. Il faudra toute l'énergie de Kiriko pour sauver Mahito de l'île tombeau semblable au fameux tableau d’Arnold Böcklin (L'Île des morts, 1880).
Miyazaki dans les couloirs du temps
Le garçon et le héron a des traits autobiographiques. Le protagoniste, Mahito Maki, s'inspire de l'enfance de Miyazaki. Le père de Miyazaki, comme celui de Mahito, était employé par une entreprise impliquée dans la fabrication de composants d'avions de combat. De plus, la famille de Miyazaki a dû évacuer la ville vers la campagne pendant la guerre. L'incendie de l'hôpital au début du film évoque des parallèles personnels avec la perte par Miyazaki de sa mère envers qui il éprouvait une profonde affection et qui était connue pour ses opinions bien arrêtées, sources d'inspiration pour plusieurs personnages féminins du réalisateur. Mais ici, fait nouveau, Miyazaki se met en scène à son âge actuel, grand-oncle essayant de maintenir le fragile équilibre de son monde imaginaire, chanchant un successeur qui soit digne de lui. N'y parvenant pas, il voit son monde disparaître.
Rarement, on aura montré avec une telle évidence les capacités du rêve et de l'inconscient pour modeler l’imaginaire à un nouvel environnement. Sans l’inconscient, l’enfant serait resté figé sur le regret éternel de la perte de sa mère. La transformation est souvent terrible, parfois merveilleuse. Elle s'incarne pour l'artiste Miyazaki dans la puissance de ses dessins dans lesquels il disparaît l'œuvre terminée. Sorti de cet opus, Miyazaki-producteur pourra-t-il s'atteler à une nouvelle œuvre ?
Jean-Luc Lacuve, le 8 novembre 2023