Une brume bleutée s'éclaircit s'éclaircit pour dévoiler une énorme machine. Grosse comme un château, elle ressemble à un poisson de métal qui se déplace sur des pattes de poulet. La machine déambule dans un paysage de montagnes et passe devant un berger et son troupeau. En voyant passer le château, le berger fait un signe de la main
un train à la noire fumée entre dans la ville où vit Sophie. Celle-ci, 18 ans, mène une existence terne dans la chapellerie dont elle a hérité. Au hasard d'une course en ville, son chemin croise celui de Hauru, le magicien qui réside dans le château ambulant, jeune et bel homme dont elle tombe aussitôt amoureuse. Mais cet amour suscite la jalousie de la sorcière de la lande qui jette un sort sur Sophie. Désormais, celle-ci vit dans le corps d'une femme de 90 ans.
Elle fuit alors la ville que la guerre menace et dans sa course croise le chemin du château où elle s'établit. Le château n'est pas seulement un objet qui se déplace dans l'espace. Il est aussi à la conjonction de plusieurs mondes, sur lesquels sa porte s'ouvre. A chaque monde, Hauru change d'identité. Sophie, si elle garde son nom, voit son corps vieillir et rajeunir selon les péripéties de l'histoire de cur et de guerre dans laquelle son amour pour le magicien l'a plongée. Ces mutations n'empêchent pas le personnage de s'affirmer pour devenir une héroïne de première classe.
Le Château ambulant est tiré d'un livre de Diana Wynne Jones, Le Château de Hurle.
Les moutons sont de simples globules blancs, sans volume, écrasés par cette drôle de perspective propre à l'animation japonaise . Comme ça, les règles du jeu sont posées : ici, contrairement à ce qui se passait dans Le Voyage de Chihiro, il n'y a pas de frontière entre les mondes, le quotidien coexiste avec le merveilleux (et bientôt on verra que l'un et l'autre peuvent changer de place en un clin d'il) et l'élaboration graphique la plus complexe (le château ambulant) voisine dans le même plan avec les figures un peu désuètes des feuilletons fabriqués jadis pour la télévision.
L'expression qui vient à l'esprit est "Occident de pacotille". On pourrait croire à un excès de naïveté et d'ignorance qui mêle Angleterre victorienne, Autriche habsbourgeoise et Paris de la Belle Epoque. Mais tout cela procède d'une joie de créer qui se manifeste dans le moindre détail des décors (les étiquettes de produits, les affiches aux murs qui ne sont jamais rédigées dans la même langue).
Ce n'est pas un syncrétisme crétin qui a bâti cette ville, mais une entreprise systématique de dilution de la réalité dans les fantasmes et les désirs. Miyazaki donne une profondeur signifiante au principe qui fonde le château. Non seulement celui-ci déambule et donc ne se fixe nulle part, mais surtout il possède une porte qui ouvre sur des lieux différents : campagne paisible, port d'une grande ville, lieu d'enfance... Le château permet d'accéder à des espaces qui n'ont apparemment pas de relation logique.
Le château, tout d'abord, est digne d'une sculpture de Tinguely, avec ses passerelles, ses amas de métaux et de rebuts d'usine, sa porte qui ressemble à une gueule béante, ses moteurs bricolés. C'est un anti-château qui ressemble à une grosse poule mécanique. Ce fatras chaotique est construit d'accumulations, comme si son propriétaire, Hauru, n'osait rien jeter. L'intérieur du bâtiment ressemble aussi à un vieux grenier empoussiéré où s'entasse la vaisselle sale, où aucun objet domestique n'est vraiment à sa place. C'est Sophie, sous son apparence de grand-mère, qui fera le ménage dans les pièces habitables. On rappellera la jolie scène où, aidée du jeune assistant d'Hauru et de l'Épouvantail, elle lave et étend le linge dans la campagne fleurie. Sophie, tout comme Chihiro qui travaille dans un établissement de bain, nettoie. L'intérieur du château brille, et même si cela ne résout rien, c'est le début d'un ménage intérieur salutaire pour Hauru.
Autre lieu de chaos : la chambre à coucher d'Hauru. Celle-ci est
surchargée de décorations baroques et surtout tapissée
de jouets d'enfant. Elle possède aussi des tunnels, trous noirs, placards,
où se réfugie le jeune homme quand il se transforme en démon.
La chambre d'Hauru est à l'image de sa quête d'identité,
de sa nostalgie de l'enfance et de sa peur de son devenir. Là encore,
seule Sophie osera s'aventurer pour ramener le jeune homme à sa dimension
humaine.
Mais le château ouvre aussi sur un paysage rural, idyllique, avec une prairie, un joli lac et une petite maison. Lieu de l'apaisement, mais aussi d'un souvenir traumatisant pour Hauru, le jour où un maléfice a pris son cur et l'a enfermé dans une boule de feu. C'est encore la courageuse Sophie qui ravivera ce souvenir en s'engageant dans le noir tunnel qui conduit au lieu du secret.
Chacune des tribulations de Sophie commence comme un épisode épique, une épreuve à surmonter - la montée des marches du palais royal ou le nettoyage du château ambulant -, mais ces moments sont subvertis par l'illogisme du rêve - les personnages changent, les décors muent. De même, la continuité du film ne tient aucun compte de la logique narrative pour céder au principe de libre association, pour laisser en permanence régner une délicieuse incertitude qui exalte les surprises presque jusqu'à les abolir, une fois qu'on s'est rendu à la loi du rêve.
Alors on se laisse porter par l'émerveillement et la terreur, qui fait que l'on peut tomber dans un puits sans fonds pour l'instant d'après assister à l'incendie de toute une ville.
Dans la mise en scène de ces catastrophes, comme dans celle de moments plus intimes, Miyazaki associe, avec la maîtrise que confère l'expérience, la trivialité et la grandeur, teintant les figures les plus communes d'étrangeté, comme ce champ de fleurs sur lequel s'ouvre la porte du château : on reconnaît là une mièvrerie qui fut celle - par exemple - de l'adaptation de Heidi sur laquelle travailla jadis Miyazaki, mais l'ampleur du champ, l'inscription des personnages dans le décor transforment ce cliché en une vision. Et sur l'écran, deux heures durant, les rêves d'Hayao Miyazaki donnent l'illusion de la réalité.
Les personnages évoluent dans un monde de sorciers, de génies, de talismans, et autres sortilèges. les hommes-caoutchouc peuvent représenter l'informe, les idées noires ou l'intrusion de l'angoisse. Calcifer, le génie rouge du feu entretient le foyer, le cur du château qui est aussi le cur d'Hauru. Quant à Sophie, habillée de bleu, elle représente plutôt l'eau, celle des larmes, du lac ou de la pureté.
Mais ses sorciers sont ridicules ou très incompétents. Le meilleur exemple en est la sorcière des Landes dont les pouvoirs se défont au fil du film et qui n'a d'ailleurs jamais bien su contrôler ses maléfices. Les pouvoirs d'Hauru ne parviennent pas non plus à arrêter la guerre, et ses talismans (mis à part l'anneau qui indique la direction dans laquelle il se trouve) ressemblent à des grigris décoratifs. Ce sont d'ailleurs plus par le courage et la force de caractère que grâce à des interventions magiques que les héros viennent à bout des difficultés.
La magie ici est celle des contes de fées, plus symbolique qu'active. On rappellera qu'à la fin, l'Impératrice, magicienne toute puissante, cède au souhait de son petit chien de voir l'aventure bien se terminer. Toutes ces histoires de sorcellerie n'étaient donc qu'une façon de conter l'itinéraire de deux héros qui grandissent.
Sources : Anne Henriot pour TV5, Thomas Sotinel pour le Monde