Le silence de la mer

1949

Avec : Howard Vernon (Werner von Ebrennac), Jean-Marie Robain (L'oncle), Nicole Stéphane (La niéce), Ami Aarée (La fiancée de Werner), Georges Patrix (L'ordonnance). 1h26.

Un officier allemand est logé par la Kommandantur dans une maison habitée par un vieil homme et sa niéce. L'officier, féru de culture franéaise et partisan d'un rapprochement entre les deux peuples, aime venir chaque soir leur parler. Mais pendant des mois, les hétes opposent é leur locataire forcé un inébranlable silence.

Ce film, tourné en 1947, est considéré comme le tout premier précurseur de La nouvelle vague qui l'a reconnu comme tel avec Les derniéres vacances (Roger Leenhardt, 1948), La pointe courte (Agnés Varda, 1954) et Les mauvaises rencontres (Alexandre Astruc, 1955).

Alors que le coût moyen d'un film est de cinquante millions de francs, Melville le tourne en 27 jours en 1947 pour six millions de francs. Sans argent, il n'achète pas les droits d'adaptation du roman de Vercors, ancien typographe-dessinateur et fondateur dans la Résistance des Editions de Minuit. Quand l'écrivain verra le résultat, il lui donnera après coup son accord, séduit par ce film ascétique en rupture avec le ton emphatique trop souvent de rigueur à l'époque. Son chef opérateur, Henri Decae, signe lui aussi à cette occasion son premier long-métrage et travaille presque sans éclairage avec des interprètes non maquillés.

Dans la mesure où Melville n'a pas demandé d'autorisation de tournage et qu'aucun collaborateur de création n'a de carte professionnelle, la post-production est assez longue pour régulariser les diverses opérations. La première, privée, n'a lieu qu'en novembre 1948 et la sortie commerciale en avril 1949.

Le silence de la mer s'attache à analyser le refus d'une jeune française et de son oncle de lier conversation avec l'officier allemand pendant l'occupation bien que l'homme exprime un sincère intérêt pour la culture française. Cultivant déjà son goût des huis clos et des règles théâtrales, Melville accuse le monologue de l'officier en ne faisant s'exprimer le vieux narrateur qu'en voix off subjective. Le récit conserve donc l'allure réflexive du livre où un allemand idéaliste découvre qu'il n'existe pas de "bonne guerre". Assez statique la mise en scène tourne autour de l'âtre devant lequel s'exprime l'occupant. A part quelques gros plans insistants, la réserve de la réalisation traduit bien l'impossible éclosion d'un amour étouffé par les circonstances. Sans cette ascèse formelle, le film risquait de tourner à la tragédie classique de l'amour et du devoir. Grâce à elle, il propose une réflexion plus ambiguë

Source : René Prédal, Le destin trop court d’un précurseur dans Jean-Pierre Melville, de solitude et de nuit, Eclipses-revue de cinéma n°44, février 2009.